Éric Fottorino : « Nous demandons à l’État la mise en place d’un fonds de soutien de la presse »

À nos lecteurs,
 
En décidant le 15 mai la mise en règlement judiciaire de Presstalis et la liquidation de ses filiales locales (SAD et Soprocom), le tribunal de commerce de Paris a acté la situation de faillite du principal diffuseur de presse écrite en France. Alors qu’un plan de relance d’une nouvelle structure tente difficilement d’aboutir, les conséquences de cette décision sont très lourdes pour nos publications. Ce sont à ce jour quelque 800 000 euros de créances qui sont gelées dans les « tuyaux » de Presstalis, correspondant aux recettes attendues de nos trois publications, le 1, America et Zadig, ainsi qu’aux financements « forcés » que nos sociétés ont dû consentir au diffuseur sur les trois dernières années.

Une gestion désastreuse

Comme la quasi-totalité des éditeurs indépendants, de Society à We Demain, en passant par L’Éléphant, Polka et tant d’autres, nous n’avons jamais été associés à la gestion désastreuse – et frauduleuse par bien des aspects – de Presstalis. Nous demander, encore une fois, de remettre au pot dans une nouvelle structure alors que nos trésoreries sont rendues exsangues est inenvisageable, et avant tout indécent.
 
Depuis le lancement du 1 en avril 2014, nous nous sommes toujours montrés solidaires de Presstalis. Avec America (2017) et Zadig (2019), nous avons confié chacun de nos titres à ce réseau, lui apportant près de 5 millions d’euros de chiffre d’affaires. En contrepartie, nous avons dû subir tous les aléas, les surcoûts et les retards de paiements de cette entreprise en pleine débâcle. L’instabilité du management et la valse des directeurs généraux au cours des dernières années déviant sans cesse le cap de ce bateau ivre.
 
Il nous a fallu supporter, non sans difficultés, des variations de barèmes toujours plus lourds et des délais de règlement toujours plus longs. Nous avons dû trouver des solutions d’urgence pour pallier les impacts de ces décisions tarifaires chaque fois imposées du jour au lendemain : ici, allongement de quinze jours des délais de paiement ; là, alourdissement de la charge des invendus… Un summum fut atteint avec la décision brutale et unilatérale prise par Presstalis, fin 2017, de conserver sine die 25 % de notre chiffre d’affaires ; puis d’instaurer une retenue de 2,25 % du chiffre d’affaires. Pour autant, très conscients des difficultés de la filière, nous avons fait le choix délibéré et solidaire de lancer Zadig en mars 2019 chez Presstalis, à la demande pressante de la direction de l’époque.
 
Depuis l’ouverture des récentes négociations, notre position n’a pas changé : nous ne pouvions envisager un avenir éventuel avec Presstalis sans une condition préalable minimale et nécessaire : que nos encours soient garantis.
 
Malgré nos demandes répétées, malgré les notes précises envoyées aux différents interlocuteurs de ce dossier, nos démarches ont été ignorées. Et lorsqu’enfin une proposition a été faite, son absurdité nous a confortés dans la certitude que Presstalis n’aurait aucune considération pour nos problématiques pourtant très objectives, et que rien ne nous serait proposé dans le cadre des négociations en cours.

Quitter Presstalis, non sans conséquences

Dès lors, ce n’est plus Presstalis ou les groupes de travail réunis à son chevet que nous interpellons.
 
L’autorité de régulation de la distribution de la presse (l’Arcep), ayant compris la fragilité extrême et l’urgence de notre situation, nous a autorisés à quitter Presstalis sans préavis. C’est pourquoi nos titres seront désormais distribués par les Messageries lyonnaises de presse (MLP). Nous lisons bien, entre les lignes des récents communiqués, que l’on souhaite nous faire payer ce départ, au nom d’une solidarité que nous aurions trahie.

Autrement dit, que nos encours sont considérés comme non prioritaires, dès lors que nous n’avons pas rejoint le plan de redressement proposé par les quotidiens dans leur seul intérêt – des quotidiens qui sont, rappelons-le, largement à l’origine de la situation de Presstalis par leur refus chronique de payer le coût de leur distribution et par leurs pratiques commerciales répréhensibles. Il est bon de rappeler ici que ces recettes, perçues sur les ventes de nos publications, nous reviennent. Presstalis se fait payer – assez cher – pour assurer leur distribution et collecter nos encours ; ces sommes ne lui appartiennent pas, même si la société avait pris de grandes libertés avec l’usage de nos liquidités depuis des années. Ne pas les restituer serait tout simplement du vol.

C’est l’État que nous interpellons

À présent, c’est l’État que nous interpellons. Il est et sera le payeur final. Ces dernières semaines, il a versé à fonds perdu 70 millions d’euros à Presstalis, sans qu’aucun plan viable ne soit conclu pour la continuité de l’entreprise. À l’État, donc, nous demandons la mise en place d’un fonds de soutien de la presse nous permettant de récupérer nos encours. À condition que ces sommes ne passent pas par Presstalis, sans quoi elles ne nous parviendraient jamais, ou au mieux partiellement.
 
Nous appelons aussi à un audit des encours, afin que les éditeurs puissent faire valoir leurs droits sur ce fonds en toute transparence. Nous sommes à la disposition des pouvoirs publics pour travailler à ce dispositif et à sa mise en œuvre. Nous avons émis des propositions précises correspondant à la réalité de nos situations.  
Enfin, nous demandons une fois de plus, face à ce scandale d’État, et compte tenu des sommes abyssales englouties par l’entreprise Presstalis, que soit ouverte une commission d’enquête parlementaire pour connaître l’usage réel de ces fonds. Certains actes de gestion pourraient à l’évidence être portés au pénal.
 
Je le rappelle une fois encore, avant qu’il ne soit trop tard. Si nos recettes ne nous sont pas rapidement versées, nous disparaîtrons dans les semaines ou dans les mois qui viennent. Si tel était le cas, si nos titres, caractérisés par leur indépendance, étaient amenés à cesser leur parution, ce ne serait pas seulement une atteinte grave au pluralisme de l’information, à sa diversité, à la capacité d’innover et de questionner les modèles dominants qu’incarnent nos publications. Pareille hécatombe signifierait qu’en France, désormais, l’information est le monopole des grands groupes industriels. Une situation indigne d’une démocratie, où les chiffres – l’argent – auraient le dernier mot. En toute impunité.
Éric Fottorino

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