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Circuits courts : Combien de kilomètres avez-vous avalé ce midi ?

Tribune. Par Hélène Binet, Porte-parole de La Ruche qui dit Oui !

Le 30/01/2019 par WeDemain

Parce que la consommation locale permet de lutter contre le changement climatique, d’offrir une alimentation plus saine et accessible et de développer la résilience des territoires, la Ruche qui dit Oui ! lance la pétition Stop aux kilomètres dans mon assiette (1) . Objectif ? Sensibiliser le public aux bienfaits des circuits courts et interpeller les politiques. Le tout sur fond de petits plats.

Vous avez avalé combien de kilomètres ce midi ? Faites-voir l’addition de votre salade detox ? Des poires bio du Chili (11 642 km), des cubes de féta (942 km), des noisettes du premier pays producteur et exportateur mondial (Turquie, 2803 km), des pousses d’épinard à l’origine non identifiée et une baguette parisienne qui pourrait un jour rejoindre le patrimoine mondial de l’Unesco mais en attendant vient sans doute d’une pâte surgelée d’Europe de l’Est (1500 km). Résultat des courses ? 16 887 kilomètres pour un simple plat, et encore je vous fais grâce de l’huile d’olive. Peut mieux faire.

En cette période d’urgence climatique, il est encore temps de revoir le menu. De limiter le nombre de kilomètres dans l’assiette et d’encourager la diversité des productions agricoles sur l’ensemble du territoire. À en croire les sondages, tout le monde semble séduit par l’idée : 8 Français sur 10 pensent que manger local peut réduire l’impact de l’activité humaine sur l’environnement.

Dans les faits pourtant seulement 16 % d’entre eux sont adeptes du bio/local . En d’autres termes, 84% ne le sont pas encore. Manger local serait encore trop compliqué, pas assez accessible, pas forcément compréhensible ? Voici quelques pistes à souffler aux politiques pour faire grandir la communauté de ceux qui préservent la planète avec leur fourchette.

Plus de transparence sur la provenance

En dehors des circuits courts qui connectent directement producteurs et consommateurs et permettent de connaître le code postal du moindre brin de persil, difficile de savoir combien de kilomètres a parcouru votre caddie. Certes, l’origine géographique des fruits et légumes fait partie des mentions obligatoires sur les étals depuis 10 ans mais n’indique que le pays (entre Lille et Marseille il y a quand même plus de 1 000 kilomètres).

D’accord, les viandes doivent afficher le pays de naissance, d’élevage et d’abattage des bêtes… Pour le reste, c’est le grand flou. Essayez de calculer le nombre de kilomètres parcouru par un pot de miel quand les seules indications géographiques données sur l’étiquette sont UE ou hors UE (et souvent les deux). Tentez de décrypter codes barre et estampilles sanitaires ! Même muni de lunettes à double foyer, la succession de chiffres et de lettres, véritable message cabalistique, n’est accessible qu’aux initiés.

> Mettre en place un étiquetage géographique clair sur les produits alimentaires permettrait de répondre aux appétences de transparence revendiquées par 9 consommateurs sur 10 et les inciterait à acheter au plus près de chez eux. Par ailleurs, à l’instar des étiquettes énergie qui résument les performances environnementales des appareils électroménagers et ont poussé les industriels à s’améliorer, elle conduirait immanquablement à ce que les marques relocalisent une partie de leur production.

Vers une souveraineté alimentaire des territoires

Sachant qu’il faut 50 m2 de terres maraîchères pour nourrir un habitant en légumes et 0,36 ha pour parvenir à son auto-suffisance complète (élevage, céréales, fruits), selon les calculs de l’association Terre de liens, encourager l’installation d’agriculteurs en circuit court dans chaque commune permettrait de nourrir localement la population et de tendre vers la résilience alimentaire des territoires. Certaines collectivités se sont déjà engagées dans cette voie.

À Grande-Synthe (59), 14 hectares de terres communales sont mis à la disposition d’agriculteurs qui pratiquent l’agroécologie ou la permaculture et fournissent en retour les cantines scolaires et les établissements de personnes âgées. Même engagement à Ungersheim en Alsace, Langouët en Bretagne, Mouans-Sartoux , Toulouse, dans la métropole de Lille et de nombreuses villes ailleurs. Cette relocalisation de la production permet non seulement de dynamiser nos campagnes, de créer de l’emploi (les exploitations en circuit court emploient en moyenne 2,2 personnes contre 1,4 dans les exploitations traditionnelles) mais aussi de mieux redistribuer les richesses.

D’après une étude de la London school of economics, un achat de 10 euros effectué auprès d’un producteur du marché permet de redistribuer 25 euros dans l’économie locale, alors que la même somme dépensée dans une grande surface n’injecte que 14 euros dans l’économie locale.

> L’État qui s’est déjà engagé à ce que la restauration collective offre 50 % de produits locaux ou sous signes d’origine et de qualité d’ici 2022 pourrait également demander aux communes de consacrer un pourcentage de leur foncier à la production locale. La loi Solidarité et renouvellement urbaine prône la mixité sociale et l’accès au logement en imposant 20 % de logements sociaux. Et si le même mécanisme était envisageable du côté de la production agricole locale pour restaurer la souveraineté alimentaire des territoires ? Il pourrait être intéressant d’y réfléchir.

Manger, bouger, informer

Manger mieux, c’est bien. Bouger plus, aussi. Mais en 2019, il manque une information essentielle dans le programme national nutrition santé (PNNS) : comprendre l’impact de sa fourchette sur l’environnement. En effet, plus personne ne peut le nier : la santé des individus est intimement liée à celle de la planète. Cette notion est d’autant plus essentielle dans notre pays où le secteur agricole et alimentaire est responsable d’environ un tiers des émissions de gaz à effet de serre (GES) du territoire.

Il devient donc urgent de rappeler aux consommateurs qu’une tomate produite hors saison sous serre chauffée émet jusqu’à dix fois plus de gaz à effet de serre qu’une tomate produite sous serre non chauffée en saison. Que la viande issue d’un élevage local nourri aux prairies permet d’économiser 30 % de CO2 par rapport à un élevage industriel. Que produire un kilo de légumes secs émet 90 fois moins de CO2 qu’un kilo de bœuf nourri au soja d’Amérique du Sud.

> Pour faire comprendre au plus grand nombre les enjeux d’une alimentation durable, une grande campagne d’information nationale pourrait être lancée : spots télé, affichages, articles de presse… La gastronomie française reconnue au patrimoine de l’Unesco pourrait alors relever un défi plus vaste : assurer l’avenir de l’humanité.  Aujourd’hui, “ l’état de la planète ne s’accommode plus des petits pas ”, rappelait Nicolas Hulot. Ensemble osons la révolution des petits plats. Le pouvoir de cuisiner un avenir durable est de la responsabilité de tous : entreprises, citoyens, État, collectivités, ONG. À petits plats ou à renfort de grandes lois, mettons tous la main à la pâte ! Que le #fourchettepower soit avec nous !

Post scriptum

Pour finir, parce qu’on est la Ruche qui dit Oui ! et qu’on ne laisse jamais personne rester sur sa faim, voici notre recette locale (version Paris) pour votre salade : optez pour le mesclun de Zone sensible à Saint-Deni s (10 km), le crottin de chèvre de la Laiterie de Paris (0 km), le pain paysan bio de la Budinerie dans la Vallée de Chevreuse (41 km), des poires de Groslay (18 km) et si vraiment vous ne pouvez pas vous en passer des noisettes du Lot-et Garonne, première région de France à cultiver le fruit (600 km). Soit au total 659 km pour votre assiette (et 59 km sans le fruit à coque). C’est mieux non ?

(1)  Toutes les 10 000 signatures, la Ruche et ses amis iront frapper à la porte des différents ministères un petit plat sous le bras pour leur dire de faire un grand pas en avant et récolter leurs engagements. Vous signez ? C’est ICI.

A propos de l’auteure
Hélène Binet est Porte-parole de la Ruche qui dit Oui !, elle est également en charge de l’éditorial et de la communication de l’entreprise. Journaliste de formation, elle gère sa propre ruche à Paris, l’une des premières et des plus grandes de France.

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