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Feu vert à la tour Triangle : 4 autres bâtiments qui ont divisé Paris

Après l’adoption de ce projet pharaonique par le Conseil de Paris fin juin, retour sur quatre autres projets architecturaux parisiens qui, en leur temps, ont rencontré une forte opposition citoyenne et politique.

Le 17/07/2015 par WeDemain
Après l'adoption de ce projet pharaonique par le Conseil de Paris fin juin, retour sur quatre autres projets architecturaux parisiens qui, en leur temps, ont rencontré une forte opposition citoyenne et politique.
Après l'adoption de ce projet pharaonique par le Conseil de Paris fin juin, retour sur quatre autres projets architecturaux parisiens qui, en leur temps, ont rencontré une forte opposition citoyenne et politique.

Elle va s’élever à 180 mètres de haut dans le ciel parisien. Après plus de sept ans de négociations, la tour Triangle, ce projet urbain pharaonique conduit par l’élue socialiste et désormais maire de Paris Anne Hidalgo, a finalement été approuvée le 30 juin par le Conseil de Paris.
 
Conçu par le cabinet d’architecture suisse Herzog et de Meuron, financé par la société immobilière Unibail-Rodamco, le projet avait été rejeté de peu en novembre 2014 par une alliance entre l’UMP, le groupe UDI-MoDem et Europe Écologie-Les Verts. Ces derniers s’étaient alors rangés derrière Nathalie Kosciusko-Morizet (Les Républicains, ex-UMP), farouche opposante à l’élévation de cette tour, dont elle juge l’emplacement « isolé ».
 
C’est au cœur du Parc des expositions de la porte de Versailles (15e arrondissement), que le bâtiment devrait voir le jour autour de 2020. De forme pyramidale, il devrait compter 42 étages, un hôtel quatre étoiles de 120 chambres, un restaurant et un « skybar » ouvert au public. 70 000 m2 abriteraient des bureaux traditionnels, alors que 2 200 m2 seraient consacrés à des espaces de coworking et 540 m2 à un espace culturel.

Les partisans du projet mettent aussi en avant son exemplarité écologique : panneaux solaires, géothermie, isolation dernier cri de type « double peau »système d’éclairage intelligent… Mais aussi le fait que ce bâtiment, financé à hauteur de 500 millions d’euros par Unibail-Rodamco, pourrait générer 5 000 emplois durant sa construction, puis 5 000 autres une fois achevé, selon ses promoteurs. 

« Symbole de la future attractivité » du Grand Paris pour Anne Hidalgo, « tour la plus écologique du monde » selon Unibail, ce gratte-ciel est pourtant loin de faire l’unanimité chez les élus et les habitants de la capitale. À la suite du vote du 30 juin, ses opposants ont été nombreux à se manifester via les médias.
 
Parmi eux, les membres du Collectif contre la tour Triangle, qui fédère cinq associations composées d’habitants, d’élus, mais aussi de juristes et d’architectes. Ce collectif dénonce « un projet inutile » et non conforme au Plan Climat  « un signal néfaste (…) montrant que l’exécutif ne pense pas la ville demain » à quatre mois de la COP21 (Conférence sur le climat, à Paris). Ses membres interpellent ainsi les promoteurs de la tour Triangle :
 

« Vous voulez créer la ville du XXIe siècle dans le Paris du XIXe siècle, barricadé à l’abri de son périph’, avec des tours de bureaux énergétivores et sans transports en commun adaptés. »

 
Et le collectif de promettre : « Nous maintenons le recours contentieux contre la procédure de révision simplifiée du PLU, quand bien même nous devrions porter l’affaire devant la Cour européenne ». De même, il annonce prévoir d’autres recours administratifs, notamment contre le permis de construire, si ce dernier est accordé.

Dans l’opposition à la tour Triangle, on retrouve aussi de nombreux membres du Europe Écologie-Les Verts. Sur le site du Groupe écologiste de Paris, plusieurs élus critiquent notamment la construction d’une « tour de bureaux à l’heure où la priorité doit être donnée au logement ». Une « aberration », estiment-ils, « alors que le foncier est rare à Paris ». En Île-de-France, en effet, 3,6 millions de mètres carrés de bureaux sont vides.
 
Des arguments balayés par les défenseurs de la tour, dont l’adjoint parisien en charge de l’urbanisme et du développement économique Jean-Louis Missika, pour qui ce projet incarne « l’entrée de Paris dans la modernité ». « La tour Eiffel ne s’insérait déjà pas dans le paysage en son temps », s’agace-t-il sur BFM TV.
 
Les réticences autour de ce projet, à présent nommé Triangle 2, sont à l’image de celles qui ont accompagné l’édification de plusieurs ouvrages dans la capitale française. We Demain revient sur quatre de ces projets, qui, en leur temps, ont provoqué l’ire de nombreux élus et de citoyens.

La plus vieille, la tour Eiffel

Érigée en 1889 pour l’Exposition universelle de Paris, la « tour de 300 mètres », comme elle était communément appelée à l’époque, a été dessinée par Gustave Eiffel. Composé de fer puddlé, cet édifice était alors une aberration pour beaucoup de Parisiens habitués aux immeubles haussmanniens de six étages.

Le 14 février 1887, un collectif d’artistes, dont Guy de Maupassant, Alexandre Dumas fils et Leconte de Lisle, adresse une lettre « contre la tour de M. Eiffel » à Jean-Charles Alphand, l’ingénieur en charge de sa construction. Ils lui demandent d’y renoncer :
 

 « Il suffit, d’ailleurs, pour se rendre compte de ce que nous avançons, de se figurer un instant une tour vertigineusement ridicule, dominant Paris, ainsi qu’une gigantesque et noire cheminée d’usine, écrasant de sa masse barbare Notre-Dame, la Sainte Chapelle, la tour Saint-Jacques, le Louvre, le dôme des Invalides, l’Arc de Triomphe, tous nos monuments humiliés, toutes nos architectures rapetissées, qui disparaîtront dans ce rêve stupéfiant. Et pendant vingt ans nous verrons s’allonger sur la ville entière, frémissante encore du génie de tant de siècles, nous verrons s’allonger comme une tache d’encre l’ombre odieuse de l’odieuse colonne de tôle boulonnée. »

 
L’édifice était destiné à être déboulonné quelques années plus tard. Son destin a été tout autre. La tour Eiffel est devenue l’un des symboles de la France, avec plus de 250 millions de visiteurs venus « de tous les coins de la planète », selon son site officiel.

Le plus décrié, le centre Georges-Pompidou

Il voulait créer une institution culturelle originale, destinée à la promotion de l’art moderne et contemporain. C’est sous l’impulsion du président Georges Pompidou que s’est ouvert en 1977 le Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou. Communément appelé « Centre Pompidou » ou « Beaubourg », du nom de son quartier, il s’élève dans le 4e arrondissement de Paris.

Pompidou voulait que la capitale française détienne elle aussi un grand monument s’inscrivant dans les courants architecturaux de la seconde moitié du XXe siècle – un style qui, justement, a choqué nombre d’auteurs et de citoyens de l’époque, peu habitués à voir des tuyaux, gouttières, escaliers automatiques et passerelles métalliques exposés sur des façades. En témoigne cet extrait de la tribune particulièrement remarquée de l’écrivain René Barjavel dans le Journal du dimanche du 30 janvier 1977 : 
 

« Prenez une jolie femme et mettez lui, par imagination, les tripes en dehors de la peau… Vous voyez ce que ça pourra donner. Vous savez maintenant pourquoi, physiologiquement et inévitablement, Beaubourg est laid ».

Dans cette tribune pamphlétaire, sobrement intitulé « Dieu que c’est laid » ,  l’auteur revient également sur l’architecture du Centre, tout en lignes droites. Pour lui, elle est tout sauf moderne : elle est même « périmée », puisqu’elle n’utilise pas des matériaux comme le béton, par exemple, avec lequel on peut tracer des lignes courbes.

Le centre, que des détracteurs d’alors surnommaient « Notre-Dame de la Tuyauterie », « usine à gaz »« fourre-tout culturel » ou encore « verrue d’avant-garde », est aujourd’hui parfaitement intégré au paysage parisien. Il emploie un millier de personnes et a attiré 3,5 millions de visiteurs en 2014, selon l’OTCP  (office du tourisme et des congrès de Paris). Il renferme surtout l’une des trois plus importantes collections d’art moderne et contemporain au monde avec celle du Museum of Modern Art de New York et de la Tate Modern de Londres.

La plus politique, la pyramide du Louvre

Conçue par l’architecte sino-américain Ieoh Ming Pei, elle a, elle aussi, été commandée par un président, cette fois François Mitterrand, en 1983. Constituée de métal et de verre, la pyramide du Louvre se situe au milieu de la cour Napoléon du palais du Louvre. Pour le Président, il s’agit d’entamer une « révolution muséographique ».

Une révolution qui n’est pas du goût de tout le monde : le 27 janvier 1984, au lendemain de l’annonce de François Mitterrand devant la Commission nationale des musées historiques, France Soir titre : « Le nouveau Louvre fait déjà scandale ». 

S’ensuit un combat politique, mené essentiellement par sept associations de défense du patrimoine, qui interpellent le ministre de la Culture de l’époque, Jack Lang : 
 

 « Par son style comme par ses matériaux, une pyramide de verre et de métal jurerait avec tout ce qui l’entourerait. »

En février, la fronde prend la forme d’une pétition menée par le maire (RPR) du 1er arrondissement, Michel Caldaguès : « Je ne veux pas que le Louvre soit défiguré. Je demande que les Parisiens soient consultés. »

Ils ne le seront pas. Après de nombreux rebondissements, la pyramide est finalement inaugurée le 4 mars 1988. Elle est aujourd’hui l’un des lieux les plus fréquentés de Paris.

La moins intégrée, la tour Montparnasse

Déjà, en 1934, la ville de Paris envisageait de réorganiser le quartier de Montparnasse, peu adapté au trafic urbain. Ce ne sera finalement qu’en 1973 que sa tour homonyme est inaugurée, là encore par Georges Pompidou.

Son objectif, comme dans le cas de Beaubourg, est de moderniser la ville et de la doter d’infrastructures imposantes. Il confie le projet de restructuration du quartier, dans lequel s’insère une grande tour, aux architectes Beaudouin, Cassan, de Marien et Saubot. 

Seulement voilà, dès les premières études préliminaires à la construction du bâtiment, en 1958, le projet est critiqué. En cause, principalement, sa hauteur (59 étages pour une hauteur de 210 mètres). Le gratte-ciel doit reposer sur 56 piliers s’enfonçant à 62 mètres sous la surface du sol.

Mais le projet finit par se concrétiser. Une fois debout, la tour jure avec l’architecture parisienne selon ses détracteurs. Leur blague préférée ? « Le plus beau point de vue [de Paris], c’est le sommet de la tour, car c’est le seul endroit où on ne la voit pas. »  Sa couleur nicotine ne plaît pas, pas plus que son coût exorbitant, la destruction de trois gares, dont une hausmannienne, ainsi que de 70 ateliers d’artistes pour la construire.

Pour Sylvie Andreu et Michèle Leloup, les auteurs de La Tour Montparnasse 1973-2013, Je t’aime… moi non plus (2013, Éditions de La Martinière), « [la tour] a commis l’irréparable en détruisant la perspective de Paris et défié le sacré en s’élevant aussi haut. Construire un gratte-ciel, c’était donner l’impression que le pouvoir économique était au-dessus de tout ! ».

Même si, aujourd’hui, environ 1,2 million de visiteurs le visitent chaque année, le gratte-ciel reste mal aimé par les Parisiens. En 2010, un projet de rénovation de la tour a été envisagé. Mais celui-ci se retrouve gelé, à la suite d’un désaccord entre les quelque 400 copropriétaires du gratte-ciel. Prévue pour être construite non loin de là, la tour Triangle saura-t-elle gagner la clémence des habitants de la capitale ?

Lara Charmeil
Journaliste à We Demain
@LaraCharmeil

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