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L’État de droit, arme des démocraties face à l’islamisme

TRIBUNE. Par André Viau, ancien préfet de région et ancien directeur de cabinet du ministre de la Défense, gérant d’Ares Audit.

Le 21/08/2017 par WeDemain
TRIBUNE. Par André Viau, ancien préfet de région et ancien directeur de cabinet du ministre de la Défense, gérant d’Ares Audit.
TRIBUNE. Par André Viau, ancien préfet de région et ancien directeur de cabinet du ministre de la Défense, gérant d’Ares Audit.

Après les attentats qui viennent de frapper les villes espagnoles de Barcelone et Cambrils, mais aussi la Finlande et la Russie, le lexique de guerre contre le terrorisme refait surface. Et, une fois de plus, se pose la question : comment l’État doit-il réagir face à ces agressions barbares ?

En France, l’état d’urgence est toujours en vigueur, prorogé le 6 juillet par le Parlement pour la 6e fois, avant, peut-être, que le projet de loi antiterroriste actuellement en débat ne fasse entrer certaines dispositions du régime d’exception dans le droit commun.

La lutte contre le terrorisme, selon l’ancien préfet de région André Viau, nous amène à nous questionner en profondeur sur la notion d’État de droit.

S’interroger sur la réaction des démocraties aux attaques terroristes revient souvent à des questions simples : les moyens mis en œuvre pour améliorer la sécurité sont-ils compatibles avec les libertés publiques ? Doit-on, pour assurer la sécurité des citoyens, renoncer aux protections des libertés garanties par nos institutions? En combattant le terrorisme, nos démocraties occidentales risquent-elles de perdre leur âme ? L’Etat de droit est-il compatible avec la guerre contre le terrorisme ?

S’agit-il d’une guerre ?

Popularisée par l’administration Bush après le 11 septembre, l’expression a fait florès. Est-elle fondée ? Suivant sa définition traditionnelle, on distingue le temps de guerre et le temps de paix, la guerre a un début et une fin. Elle suspend l’application des lois ordinaires pour en substituer d’autres. Les combattants sont des militaires et non des policiers. Les prisonniers ne sont pas jugés et condamnés, ils sont en principe libérés à la fin du conflit. Sauf exception, on ne les considère pas comme des criminels. L’ennemi est un Etat avec lequel on pourra le moment venu engager des discussions. Les buts de guerre sont définis et les puissances belligérantes identifiées.

Rien de tel en ce qui concerne le terrorisme : l’ennemi n’est identifié qu’au terme d’une enquête ou lorsqu’il revendique son acte ; contrairement aux Etats belligérants il n’a pas de caractère institutionnel, ni aucun représentant légitime avec qui négocier la fin du conflit. Les guerres, si longues soient elles, ont une fin, par la défaite d’un des belligérants ou par la recherche d’un consensus de paix. Mais en ce qui concerne le terrorisme, peut-on vraiment négocier avec une organisation criminelle ? Le combat où nous sommes engagés aura-t-il une fin? Est-il un affrontement de type nouveau ou un simple cas particulier de la répression de la criminalité ?

Les auteurs d’actes terroristes ne peuvent au regard de nos lois être considérés comme des combattants, mais comme des criminels, qui dès lors qu’ils sont arrêtés, sont jugés et bénéficient des services d’un avocat.

On s’indigne à juste titre du statut des prisonniers de Guantanamo mais comment traiter des individus que l’on ne veut pas considérer comme des prisonniers de guerre, protégés par des conventions internationales, ni comme des prisonniers de droit commun, et soumis aux règles de la justice ordinaire ? Ne tranchons pas ces difficiles problèmes mais il faut avoir en tête les questions fondamentales qu’ils entrainent. En particulier la question de l’Etat de droit.

« Il y a des juges à Berlin »

On connait l’anecdote exemplaire de l’Etat de droit. Le grand Fréderic, despote éclairé et parmi les plus puissants des souverains de son temps, voulait accroître le domaine de son château de Sans-Souci et acquérir les moulins qui en déparaient la perspective. Il va voir le meunier, lui demande de les lui céder. Le meunier refuse. Frédéric fait valoir l’argument d’autorité : après tout, la Prusse est à moi ! Le meunier de lui répondre : « il y a des juges à Berlin ». Cette confiance dans les institutions, dit-on, fit renoncer le monarque.

Que l’Etat se soumette aux règles de droit qu’il a lui-même établi, voilà ce miracle qui fonde nos sociétés politiques ! Voilà l’Etat de droit. L’affirmation de ce principe passe à raison pour un acquis majeur dans l’organisation de nos sociétés modernes. Nos institutions ont construit peu à peu des dispositifs juridiques qui encadrent l’action des pouvoirs publics, les maintiennent dans le cadre défini par nos lois et les sanctionnent si elles s’en écartent.

L’autorité judiciaire y trouve une de ses toutes premières vocations. C’est ainsi que les libertés publiques – droit d’aller et venir, liberté de conscience, liberté d’expression, secret des correspondances, droit de se réunir, de manifester, etc – sont garanties par ce même Etat. Il en accepte l’exercice, même si elles gênent son action.

Certains ont voulu voir dans ces principes l’aveu de la faiblesse des démocraties incapables de se défendre face à des Etats autoritaires ou à des organisations criminelles. Cette crainte ou ce reproche agitaient le débat public dans les années 30 alors que prospéraient des régimes dictatoriaux et que les démocraties semblaient se perdre dans des querelles intestines. Ces reproches n’étaient pas fondés. Nos Etats ont compris depuis longtemps que les circonstances exceptionnelles donnaient un autre cadre aux libertés publiques, en cas de guerre notamment. Le général de Gaulle admirait la solidité du parlement britannique qui se réunissait même sous les bombes.

Pour mener la combat contre le terrorisme, rien n’empêche nos démocraties occidentales, respectueuses de leurs valeurs et de l’Etat de droit, de prendre des mesures restrictives des libertés, sous réserve qu’elles soient efficaces, proportionnées et que leur application soit soumise, dans des conditions qui n’entravent pas leur efficacité, au contrôle du juge. Opposer l’état de droit à l’état d’urgence est un contre sens dont il faut se débarrasser. Cela ne nous dispense pas d’être très attentifs à l’application de ces principes qui peut connaître d’importantes dérives.

Nommer l’ennemi

Est-ce si facile que cela ? Un candidat à la présidence désignait les auteurs de la fusillade du Bataclan comme des crétins sanglants. D’autres comme des pauvres hères victimes de l’exclusion. Un troisième expliquait le terrorisme islamique par l’échec de la politique de la ville ! Quelle erreur ! Il n’est jamais bon de sous-estimer son adversaire et n’y voir que des imbéciles perdus est une faute grave. Notre ennemi c’est le terrorisme islamiste, intelligent et déterminé. L’admettre, le connaître, et j’oserai dire, le comprendre, c’est la première étape pour le vaincre. Franchir cette étape suppose le désigner par son nom.

Le terrorisme n’est pas un phénomène nouveau en Occident : nous avons connu le terrorisme des nihilistes, le terrorisme idéologique (allemand, italien notamment), le terrorisme identitaire, anti colonial ou nationaliste, et maintenant le terrorisme islamiste. Il est bien clair que leurs buts, leurs méthodes, leur dangerosité sont très différents et partant les moyens pour les combattre. Une chose est sûre : le succès dépendra de notre courage.

Être courageux

Le terroriste veut miner la volonté collective de se défendre. C’est une guerre menée sur le terrain de la communication. Au spectacle des pleurs des victimes le terrorisme pourrait croire qu’il a atteint son premier objectif. Or, rien n’est plus faux. Le lendemain d’une attaque terroriste, l’immense majorité de nos concitoyens retourne à ses occupations et n’a jamais donné l’image d’une population abattue. Courage et intelligence sont les premières vertus dont il faudra faire preuve durant les longues années où nous affronterons le terrorisme islamiste. La leçon que Thucydide met dans la bouche de Périclès est toujours actuelle : il n’y a pas de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage.

André Viau

Ancien préfet de région, il fut directeur adjoint du cabinet du ministre de l’Intérieur (2006/2007), conseiller au cabinet du Premier Ministre (2002/2004) et directeur de cabinet du ministre de la Défense (2007/2009). Il est gérant d’Ares Audit depuis 2016.

André Viau participera au forum Sécurité et résilience, à la table ronde « Le terrorisme peut-il gagner la guerre contre les démocraties ? »

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