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Pour que les drames liés à la crise du Covid ne soient pas vains

TRIBUNE. Par Fabrice Bonnifet, président du Collège des Directeurs du développement durable (C3D).

Le 16/04/2020 par WeDemain
Une première en Belgique : une maison et un jardin construits sous une serre. Micro-climat garanti ! (Crédit : Kaseco)
Une première en Belgique : une maison et un jardin construits sous une serre. Micro-climat garanti ! (Crédit : Kaseco)

À l’instar des décisions récentes du gouvernement finlandais pour booster la relance post-crise sanitaire, exigeons des industriels qui bénéficieront des aides publiques des contreparties climatiques fortes et compatibles avec l’accord de Paris. L’enjeu est de profiter du choc généré par la pandémie pour repartir sur des paradigmes économiques de prospérité sans croissance des flux physiques (énergies) compatibles avec l’indispensable neutralité carbone et l’impérieuse nécessité de préserver la biodiversité.
 
Ainsi, la mémoire des milliers de victimes du covid-19 aura au moins servi à notre sursaut. Il n’y aura jamais de vaccin contre la crise climatique. Notons au passage que les scientifiques du climat nous avaient largement averti des risques accrus de zoonoses, du fait notamment de la destruction des forêts primaires. Il est regrettable, une fois encore, de n’écouter la science que lorsque les crises sont installées.
    

Bataille entre économistes néo-classiques et réalistes

Il est temps de faire preuve de courage, l’absence de décisions contraignantes à l’encontre des laudateurs du « monde d’avant » conduira, bien avant la fin de la décennie en cours, à mettre dans des bateaux de fortune des millions de réfugiés climatiques et à dégrader toujours plus violemment des écosystèmes déjà à bout de souffle, alors qu’ils sont indispensables à la vie et à l’économie.
 
Si le déconfinement tant attendu est forcément synonyme de relance économique, l’enjeu est de bien réfléchir à ce que nous voulons faire du monde d’après qui s’annonce. Il semble bien que nous allons entrer dans l’ultime bataille entre l’école économique néo-classique et les réalistes à l’écoute des scientifiques (les vrais).
 
Autrement dit le sujet ne sera pas de choisir dans les mois à venir entre les libéraux sociaux démocrates et les populistes pour nous sortir de la crise, mais entre les partisans du mondialisme cornucopiens et ceux de la sanctuarisation du vivant car il est la source de toutes les solutions. 
 
Les économistes dans leur grande majorité sont persuadés de l’infinitude des ressources et considèrent que l’accroissement de la consommation d’énergie et le sacrosaint PIB découlent de l’activité des entreprises. Alors que c’est l’exact contraire !
 
Ils soutiennent les théories de soutenabilité faible en nous vendant à longueur de discours le mensonge de la « croissance verte » qui promeut la substitution des ressources pour poursuivre dans l’idéologie de l’économie sans limite. Leur credo est bien entendu de laisser opérer une concurrence mondiale « pure et parfaite » et l’équilibre des marchés comme remède à tous nos défis.      

Limites de la mondialisation et des recettes du passé

Oui mais voilà toutes ces fables ont de plus de plus de mal à être crues par les gens, avec ou sans gilet jaune ! L’épisode dramatique en cours de la crise du covid-19 montre les limites de la mondialisation exacerbée et cela participe à faire sérieusement douter l’ensemble des parties prenantes.
 
Alors que l’humanité va entrer dans une récession inédite en temps de paix, les politiques et les industriels vont donc devoir faire preuve de lucidité pour décider des modalités de la relance.
 
La tentation d’activer les mêmes leviers prédateurs que ceux utilisés lors de la sortie de la crise de 2008 va être maximale de la part des partisans du modèle de la civilisation thermo-industrielle profondément ancré dans les certitudes du consumérisme sans boussole.
 
Mais les effets néfastes de plus en plus perceptibles de la crise climatique et la déplétion des réserves pétrolières (malgré le prix bas conjoncturel du baril actuel) vont vite montrer que les recettes du passé ne garantiront en rien la reprise tant espérée, bien au contraire. 

Aider seulement ceux qui réduisent leur impact environnemental

Le collège des directeurs du développement durable propose une autre voie. Bien entendu il convient tout d’abord de sauver prioritairement les milliers de PME et petites entreprises en leur apportant les liquidités nécessaires à leur survie, il n’y a pas de débat sur ce point.
 
En revanche, la question est de savoir comment flécher les milliards qui vont être injectés dans l’économie réelle. Contrairement aux crises précédentes nous n’avons ni le temps ni les moyens de simplement saupoudrer les subsides vers tous ceux qui crient ou menacent le plus, à grand renfort de chantage à propos de la préservation des emplois du « monde d’avant ». 
 
Définitivement non ! Un programme pour un monde d’après décarboné, ultra-sobre en ressources et inclusif ne fera pas que des gagnants. Si l’on continue de penser que les acteurs économiques qui génèrent le plus d’externalités négatives pourront gagner le combat climatique juste en usant des outils de la compensation ou des activités des fondations d’entreprises, nous continuerons dans notre déni mortifère. 
 
La conditionnalité de tout type d’aides ou régulations ne doit suivre qu’une seule règle : la réduction mesurable de l’impact environnemental à l’échelle requise par une trajectoire 1,5°, tout autre critère ne sera qu’une excuse pour refuser l’évidence. Arrêtons de nous mentir, il y a clairement des activités, des produits et des comportements individuels et collectifs auxquels il va falloir renoncer. 

S’inspirer de la Convention Citoyenne pour le Climat

Entendons-nous bien. Oui, il faut sauver l’automobile, l’agriculture, l’aviation civile ou le tourisme, particulièrement sinistrés. Mais uniquement en réinventant les bases de leur offre. Voulons-nous vraiment continuer avec le tourisme de masse dévastateur des paysages, avec des billets d’avion à 50 €, des voitures de plus de 2 tonnes en ville fussent-elles électriques, des opérations promotionnelles telles le pitoyable blackfriday pour combler notre vide émotionnel, des fraises gorgées de pesticide en hiver, des produits manufacturés assemblés à l’autre du bout du monde dans des conditions de travail déplorables…. et la liste est infinie comme la bêtise humaine.
 
Sachons profiter dès maintenant des conclusions des travaux de la Convention Citoyenne pour le Climat et du programme Green New Deal européen qui visent à décarbonner notre continent en le rendant plus résilient et indépendant d’un point de vue énergétique et alimentaire. 
 

 
En outre, la nécessaire relocalisation de plusieurs activités stratégiques doit être l’occasion de ne laisser personne sur le bord de la route. Bonne nouvelle, des milliers d’entreprises ont des solutions pour faire autrement et créer des emplois par millions !

Frugalité et nouveau vivre ensemble

La voiture à 2 litres au 100km, le bâtiment hybride à économie positive, la rénovation industrielle des logements, la construction hors site, l’agroforesterie et la permaculture, l’écotourisme, l’électro mobilité intégrée au bâti… et tant d’autres solutions et innovations de rupture ne sont pas des utopies mais des réalités tangibles.
 
La difficulté n’est pas de savoir quoi faire mais comment initier une accélération décisive dans le changement d’échelle de la transition. Pour cela les entreprises les moins avancées vont devoir prendre des décisions stratégiques en aval des réflexions sur leur raison d’être. L’objectif est d’établir un nouveau narratif du mieux vivre ensemble. Ce qui induit une nouvelle forme de collaboration entre acteurs basée sur la confiance, d’arrêter de penser qu’il faut toujours travailler plus alors qu’il faut surtout travailler mieux et d’une manière plus utile, et ce afin de rendre plus désirable pour tous un avenir pour le moins incertain.
 
Enfin, la révolution numérique doit être mis au service exclusif de la frugalité dans l’utilisation des ressources, du partage des infrastructures et des produits pour accroître leur intensité d’usage et lutter contre les effets rebonds. La finance ne doit plus être un instrument de spéculation mais un moyen pour soutenir les investissements réellement utiles pour l’intérêt général sur le long terme. L’économie circulaire du réemploi et non du recyclage doit être privilégiée en tout domaine. 
 
La vraie liberté de demain pour les citoyens sera de pouvoir jouir de tout sans pour autant vouloir tout posséder. Devenons tous les co-propriétaires responsables des communs que nous aurons à cœur de préserver.

À PROPOS DE L’AUTEUR

Fabrice Bonnifet est président du Collège des Directeurs du développement durable (C3D).

Créé en 2007, le C3D est une association réunissant plus de 150 directeurs du développement durable et de la RSE d’entreprises et d’organisations. Notre ambition : être l’association de référence des acteurs qui œuvrent pour des entreprises plus responsables.

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