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Pour une autre PAC : “Il faut mieux distribuer ces milliards versés aux agriculteurs »

Le 01/03/2019 par Pauline Vallée

C’est un symbole, presque un dinosaure de la construction européenne. Unique exemple de politique vraiment commune aux 27 États membres de l’Union, la Politique agricole commune (PAC) essuie de plus en plus de critiques. Sa dernière réforme, en 2015, devait la repeindre aux couleurs de la transition écologique. Faux espoir : les retards accumulés dans le versement des aides à l’agriculture biologique prouvent que le programme ne s’est pas montré à la hauteur de ses ambitions.

Les ONG dénoncent une répartition du budget inégalitaire, qui profite avant tout aux grandes exploitations et au modèle agro-industriel intensif. La Cour des comptes elle-même a estimé que « le mode de répartition de ces aides, facteur de fortes inégalités, n’a plus de justification pertinente ».

Quelle PAC pour les prochaines années ? Alors que le Conseil de l’Europe et le Parlement européen négocient actuellement le budget et les grandes orientations de la PAC 2021-2027, la plateforme “Pour une Autre PAC” milite pour une refonte de la politique agricole européenne.

Composé de plusieurs organisations (Attac, Greenpeace, Confédération Paysanne…) depuis 2009, ce collectif vient de lancer une grande campagne de sensibilisation “Tablons sur nos paysans” à l’occasion du Salon de l’Agriculture 2019. Entretien avec son porte-parole Jacques Morineau.
 

  • We Demain : À travers votre projet de Politique Agricole et Alimentaire Commune (PAAC), vous défendez une refonte complète du système des aides aux agriculteurs. En quoi la PAC actuelle est-elle devenue obsolète ?

Jacques Morineau : La PAC propose aux agriculteurs des aides financières en fonction de la surface de leurs exploitations, en se fondant sur un historique de rendement qui date de 1992. Autrement dit, les agriculteurs avec de bons rendements touchent beaucoup plus d’argent que ceux qui en ont de plus faibles. Ça n’a plus de sens ! Il y a eu plusieurs tentatives pour faire converger les aides, mais le syndicat majoritaire, la FNSEA, se charge à chaque fois de bloquer les évolutions.

La dernière réforme en 2015 a mis en place des « paiements verts », accordés à ceux qui respectent des critères bénéfiques pour l’environnement. Je ne connais pas un agriculteur qui n’en profite pas. Même les exploitations des Landes, qui produisent du maïs de façon intensive, en utilisant beaucoup d’eau et de produits chimiques, ont réussi à obtenir ce paiement vert… On est en plein greenwashing. Tout n’est pourtant pas à jeter dans la PAC. Certaines mesures sont intéressantes, comme les aides à l’agriculture biologique.
 

  • Les autorités européennes ont déjà prévu une baisse du budget pour le volet 2021-2027 de la PAC, du fait des répercussions du Brexit…  Qui sera le plus touché par cette baisse ?

La France reçoit environ 9 milliards d’euros par an de la PAC. C’est largement suffisant. L’agriculture vit sous perfusion depuis trop longtemps. Le prix des produits devrait dépendre du marché et pas des subventions européennes… Les paysans peuvent gagner correctement leur vie sans que cela revienne trop cher pour les consommateurs. Il faut surtout mieux distribuer ces 9 milliards.
 

« Les paysans peuvent gagner correctement leur vie sans que cela revienne trop cher pour les consommateurs. »

Les politiques européens veulent faire porter cette baisse sur le second pilier de la PAC, c’est-à-dire sur les mesures environnementales et sociétales, au profit du premier pilier consacré aux aides à la surface. Nous militons pour garder une équivalence entre les deux piliers. Si le budget est réduit, autant qu’il soit utilisé à bon escient !
 

  • Le fonctionnement de la PAC reste peu connu du grand public et peut sembler technocratique. Comment allez-vous vous y prendre pour mobiliser et peser sur les décisions ?

Nous voulons constituer un lobbying citoyen sur ces questions essentielles. Le vote aux élections européennes est important. Les citoyens doivent prendre conscience que la PAC touche directement leur alimentation. 

En parallèle, nous sommes en contact avec des députés européens de tous bords politiques. Nous allons amender leurs propositions et les porter devant le Parlement européen. Nous sommes également en lien avec les ministères, ainsi qu’avec d’autres plateformes en Allemagne, en Italie, en Pologne…
 

  • Votre programme prône une meilleure régulation des volumes de production. Doit-on comprendre que vous soutenez le retour des quotas ?

Je sais que ce n’est pas la solution miracle, mais ils permettaient une meilleure rémunération des paysans. La fin des quotas pour le lait ou les betteraves a entraîné une explosion de la production et la chute des prix. Dans l’agroalimentaire, augmenter la production de quelques points au-dessus du niveau du marché fait chuter les prix de 20 à 30 %, voire plus.

Il faut revenir sur certaines productions à une régulation de marché. Nous voulons aussi que ceux qui exportent en dehors de l’Union Européenne remboursent leurs subventions, de façon à ne pas concurrencer les producteurs locaux.
 

  • Les agriculteurs sont-ils prêts selon vous à changer radicalement de modèle?

Le modèle d’agriculture conventionnelle chimique des trente dernières années est à bout de souffle. Beaucoup d’agriculteurs ne demandent qu’à être accompagnés pour changer leurs méthodes de travail. Si nous mettons en place des règles différentes, ils s’adapteront pour pouvoir continuer à toucher les aides de la PAC, qui représentent pratiquement l’ensemble des revenus des exploitations. Il faut une politique de la carotte.

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