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Written by 16 h 36 min Déchiffrer, Planete, Tech-Sciences

Pourquoi envoyer moins de mail n’aura pas grand effet sur le climat

Même si l’impact des services numériques est bien réelle, celle spécifique du mail a été largement exagérée. Explications.

Le 14/01/2023 par The Conversation
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L'empreinte carbone du mail a été largement exagérée. Crédit : Maksim Goncharenok / Pexels.
L'empreinte carbone du mail a été largement exagérée. Crédit : Maksim Goncharenok / Pexels.

L’empreinte carbone présumée gigantesque du mail est un sujet traité fréquemment dans les médias, mais souvent de manière exagérée ou même erronée. Selon eux (et même selon la ministre française de la Transition énergétique), réduire la quantité de courriels envoyés et les effacer serait des mesures importantes pour réduire notre empreinte carbone.

L’impact des services numériques (regarder des films et des séries en continu, écouter de la musique, envoyer des courriels, faire des rencontres en visioconférence, etc.) est bel et bien réel et en croissance depuis plusieurs années. Le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) représente 2,1-3,9 % des émissions mondiales annuelles de gaz à effet de serre (GES) d’origine anthropique. Cependant, l’empreinte carbone exagérée des courriels est trompeuse vis-à-vis d’autres leviers d’action qui permettraient de réduire substantiellement l’impact des utilisateurs associés aux TIC.

En tant que chercheurs travaillant sur la quantification des émissions de GES anthropiques, dont celles provenant de l’utilisation des TIC, nous pensons qu’il est important de déboulonner ce mythe, qui perdure depuis plusieurs années, afin que nous puissions nous concentrer sur la réduction des sources les plus importantes de GES dans le secteur des TIC.

L’origine de la popularité de l’empreinte carbone du mail

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de comprendre l’origine des premiers chiffres ventilés par les médias à propos de l’impact de courriels.

L’idée qu’envoyer moins de mail permettrait de réduire une quantité importante de GES a été popularisée par Mike Berners-Lee dans son livre How Bad Are Bananas ? The Carbon Footprint of Everything, publié en 2010. Pour la petite histoire, l’auteur est frère de Tim Berners-Lee, créateur de la navigation via les adresses web (www, URL) et l’un des précurseurs de l’Internet.

Deux mains tapant sur un ordinateur portable
Quantifier l’empreinte carbone de l’envoi d’un mail, ou de tout autre service numérique, n’est pas une tâche facile.(Unsplash)

Les chiffres mentionnés dans ce livre ont été repris par plusieurs médias autour du globe, même au Canada, ce qui a contribué à renforcer cette idée.

Par ailleurs, dans une déclaration pour le Financial Times en 2020, Mike Berners-Lee s’est montré prudent par rapport à l’interprétation de ses calculs. Il a déclaré que ses estimations étaient utiles pour lancer des conversations plus larges, mais qu’il était essentiel de mettre l’accent sur des questions plus importantes liées aux TIC.

Envoyer moins ou supprimer des courriels n’est qu’un geste symbolique

Que se passerait-il si nous décidions d’envoyer significativement moins de courriels ou encore de supprimer nos courriels qui ne sont plus utiles ? À part libérer un peu de place dans les serveurs qui les hébergent, rien ne laisse croire que cela pourrait réduire de manière importante la consommation énergétique des infrastructures numériques. Voici pourquoi :

1) Les systèmes de stockage et de transmission de données numériques fonctionnent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 avec une consommation d’énergie de base plus ou moins constante, même lorsqu’ils ne sont pas sollicités. En effet, les réseaux sont dimensionnés pour faire face aux demandes de pointe. Que le mail soit envoyé ou pas, les réseaux utiliseront à peu près la même quantité d’énergie.

2) Il est vrai qu’une quantité incroyable de pourriels (122 milliards en 2022) et de courriels authentiques (22 milliards) sont envoyés par jour. Même si ces chiffres semblent inquiétants, l’échange de courriels ne représente que 1 % du trafic Internet. À titre de comparaison, les services de vidéo représentent environ 82 % du trafic Internet et pourraient encore augmenter dans les années à venir.

3) Sachant que 85 % du trafic des courriels sont en fait des pourriels, envoyer moins de courriels à l’échelle individuelle a une influence limitée pour diminuer la quantité de courriels qui circulent sur le web.

un router
La consommation d’électricité associée aux appareils électroniques reste plus ou moins la même, car nos ordinateurs et nos routeurs restent souvent allumés. (Unsplash)

4) Que le courriel soit envoyé ou pas, nos ordinateurs et routeurs seront toujours allumés. La consommation d’électricité associée aux appareils électroniques sera donc plus ou moins toujours la même. Il est très rare que nous allumions un ordinateur uniquement pour envoyer un courriel.

5) L’impact associé à l’utilisation des centres de données et les réseaux de transmission est extrêmement faible lors de l’envoi des courriels. Pour avoir un ordre d’idée, parcourir 1 km avec une voiture compacte émet autant de GES que l’électricité utilisée pour transférer et stocker 3 500 courriels de 5 Mo. Un autre exemple, l’électricité nécessaire pour chauffer une tasse de thé dans une bouilloire consomme autant d’électricité que le transfert et le stockage de 1 500 courriels d’un Mo.

6) Dépendamment du temps nécessaire pour trier et effacer des courriels, l’empreinte carbone de l’utilisation de l’ordinateur et l’impact imputé à sa fabrication peuvent être plus importants que ce qu’on pourrait éventuellement réduire en les supprimant. Par exemple, effacer 1 000 courriels aurait un bénéfice carbone d’environ 5 g d’éq. CO2. En se basant sur le bouquet électrique de la province de l’Alberta (électricité très carbonée), l’impact d’utiliser un ordinateur portable pour 30 minutes émet 28 g d’éq. CO2 (fabrication + électricité). Dans un contexte québécois (électricité bas carbone), ce chiffre baisse à 5 g d’éq. CO2. En résumé, supprimer manuellement ses courriels peut entraîner plus d’impact que de simplement les stocker, puisque cela représente du temps passé devant l’ordinateur.

Comment réduire l’empreinte carbone du mail ?

Pour quantifier l’empreinte carbone d’un courriel, il faut prendre en compte l’ensemble des étapes impliquées dans son cycle de vie ; depuis l’écriture jusqu’à la réception et lecture de courriels.

L’empreinte carbone des courriels est principalement associée à la fabrication des appareils électroniques qui sont utilisés pour les écrire et les lire (environ 70-90 %). La phase d’utilisation gagne de l’importance, et peut être même supérieure à la fabrication, lorsque l’électricité utilisée pour alimenter les appareils électroniques est majoritairement produite à partir de combustibles fossiles (comme en Alberta).

La meilleure manière de réduire l’empreinte carbone des courriels consiste à allonger la durée de vie des appareils électroniques et à utiliser ceux moins gourmands en électricité.

Choisissons nos batailles

Il s’avère ainsi plus judicieux de concentrer notre temps et notre énergie dans des actions qui sont vraiment efficaces pour réduire notre empreinte carbone associée à l’utilisation de services numériques (acheter moins de produits électroniques et surtout prolonger leur durée de vie) et à d’autres activités quotidiennes à fort impact (transport, alimentation et le chauffage).

En somme, vous pouvez supprimer vos courriels pour gagner de la place de stockage ou pour trouver ce que vous cherchez plus rapidement… mais pas nécessairement pour sauver la planète !

À propos des auteurs :
Luciano Rodrigues Viana.
Doctorant en sciences de l’environnement, Département des sciences fondamentales, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).
Jean-François Boucher. Professeur, Eco-consulting, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).
Mohamed Cheriet. Full Professor, System Engineering Department & General Director, CIRODD: Interdisciplinary Research Centre on the Opérationnalisation of Sustainability Development, École de technologie supérieure (ÉTS).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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