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Pourquoi le contenu de votre assiette peut favoriser la propagation des épidémies

Alors que la Covid-19 continue de faire des victimes dans le monde, un nouveau virus apparaît dans les élevages porcins en Chine : le G4, un dérivé de la grippe H1N1. Ces virus, qui se transmettent de l’animal à l’Homme, entrent dans la catégorie des zoonoses. Nos modes de production alimentaires basés sur l’élevage intensif ont une véritable responsabilité dans leur propagation.

Le 24/08/2020 par Aziliz Le Corre
La plupart des zoonoses se transmettent essentiellement de l'animal sauvage à l'animal d'élevage, puis à l'homme. (Crédit : Shutterstock)
La plupart des zoonoses se transmettent essentiellement de l'animal sauvage à l'animal d'élevage, puis à l'homme. (Crédit : Shutterstock)

Six mois après le début de l’épidémie de Covid-19, en Chine, le virus de la grippe porcine G4 EA H1N1 a été retrouvé chez 10 % des ouvriers travaillant au contact de porcs et chez 4 % de la population générale, ont révélé des chercheurs dans une récente étude. Apparu dans les élevages chinois de porcs dès 2006, ce dérivé de la grippe H1N1 représente un problème croissant et, à terme, un risque potentiel pour la santé humaine.

L’évolution des épidémies

G4 EA H1N1, Ebola, ou encore le SARS-CoV-2 (responsable de la Covid-19) entrent dans la catégorie des zoonoses. C’est-à-dire, selon la définition de l’OMS, des « maladies infectieuses qui se transmettent naturellement de l’animal à l’homme. »

La plupart des zoonoses se transmettent de l’animal sauvage à l’animal d’élevage, puis à l’homme. Et l’incursion humaine dans les écosystèmes sauvages intensifie le phénomène : les interactions entre animaux sauvages, animaux domestiques, animaux d’élevage et êtres humains sont favorisées par cette proximité forcée. 

« Nos modes de production alimentaires sont des conditions favorables à l’émergence de zoonose »

Serge Morand, biologiste et écologue, chercheur au CNRS et au Cirad, constate depuis les années 1950 une augmentation des épidémies zoonotiques à l’échelle mondiale, à cause de l’augmentation de l’urbanisation et de la mobilité humaine : « Avec l’extension des centres urbains, les zoonoses se diffusent immédiatement. Il y a aussi une augmentation de 1 300 % du trafic aérien depuis les années 1950, ce qui permet aux virus de se diffuser au niveau mondial.« 

La responsabilité des élevages industriels

Initialement, les virus sont adaptés à une espèce. Mais un contact continu avec une autre espèce permet à certains virus touchant les oiseaux, par exemple, de s’adapter au système immunitaire des mammifères. Nos modes de production alimentaires, en particulier l’élevage intensif qui s’étend à la lisière d’espaces naturels, favorisent le processus, devenant une condition favorables à l’émergence des zoonose. 

« C’est ce qu’il s’est passé avec le virus Nipah », explique le spécialiste en écologie parasitaire, basé en Thaïlande. Le virus circulait normalement sur les grandes chauves-souris, jusqu’en 1998, quand Bornéo et un ensemble d’îles malaisiennes sont déforestées.

« Les chauves-souris se sont réfugiées dans des élevages semi-intensifs de cochons sous vergers. Les cochons ont mangé les fruits des arbres fruitiers, infectés au préalable par les chauves-souris. Le virus est passé de la chauve-souris aux cochons, les cochons ont commencé à mourir, puis les ouvriers. Cet élevage était conçu pour l’exportation, ce qui a créé un virus dangereux mondialement : il y a eu 200 morts et 2 millions de cochons abattus », déplore Serge Morand.

Les systèmes industriels de production sont devenus la norme dans les pays développés et deviennent de plus en plus répandus dans les pays en développement.

« Quand on regarde les petits élevages, il y a moins d’épidémies. Dans les élevages industriels, les animaux sont isolés, mais jamais complètement. Dès qu’un animal sauvage entre dedans, cela créé les conditions optimales pour favoriser les virus. Il y a beaucoup de problèmes sanitaires associées à ces grandes fermes », explique l’écologue.

De plus, le nombre important d’animaux élevés en confinement, dotés d’une variabilité génétique très pauvre, et soumis à une croissance rapide, crée les conditions idéales pour l’émergence et la propagation de nouveaux pathogènes. « En élevage, on fabrique des animaux de plus en plus performants pour leur productivité. Ces races sont génétiquement uniformes et immunodéprimées. Cela crée des animaux plus productifs, mais pas plus résistants aux nouveaux pathogènes », révèle Barbara Dufour, vétérinaire, professeure d’épidémiologie à l’école vétérinaire de Maisons-Alfort.

Vers une alimentation plus locale et végétale ?

La multiplication des épidémies liées aux zoonoses questionne nos modes de production et de consommation. Selon Barbara Dufour, il faut favoriser un meilleur équilibre entre l’agriculture et l’élevage : « Il faut être plus vertueux sur nos modes de production. Je suis pour l’agro-écologie. On peut avoir des élevages corrects, avec des normes plus respectueuses de l’environnement. On utilise trop de biocides qui détruisent les sols, notamment dans les cultures réservées à nourrir les animaux d’élevages. »

Ralentir l’élevage intensif et relocaliser la production de viande peuvent ainsi être considérés comme des priorités pour empêcher la diffusion des zoonoses : « Ce sera meilleur pour notre santé et nos écosystèmes de relocaliser l’agriculture dans nos terroirs, en production locale », affirme Serge Morand. 

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