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Alberto Acosta : “Détruire la nature revient à se détruire soi-même“

L’économiste et enseignant-chercheur équatorien Alberto Acosta était présent lors du festival Agir pour le vivant, organisé par les éditions Actes Sud du 22 au 28 août à Arles. Comptant parmi les premiers théoriciens du Buen Vivir, que l’on peut traduire par “Bien vivre”, il défend le vivre ensemble dans la diversité et l’harmonie avec la nature, comme inscrit dans le préambule de la Constitution équatorienne.

L’ancien président de l’Assemblée nationale constituante équatorienne et ex-ministre de l’Énergie et des Mines est également l’auteur de Le Buen Vivir – Pour imaginer d’autres mondes, publié en 2014 aux éditions Utopia. Aux premières loges de l’institutionnalisation de cette philosophie dans la Constitution équatorienne, Alberto Acosta partage sa conception du Buen Vivir avec les lecteurs de WE DEMAIN.

WE DEMAIN : Qu’est-ce que le “Buen vivir ” ?

Alberto Acosta lors de la conférence « Quand les citoyen.ne.s écrivent la loi » au festival Agir pour le vivant. Crédit : Benjamin Cayzac / Agir pour le vivant

Alberto Acosta : Le Buen vivir provient des cultures indigènes. C’est une manière de penser la vie de l’être humain en équilibre avec soi-même et avec les autres, entre les communautés mais aussi, et c’est fondamental, avec la nature.

Cette philosophie repose sur trois points essentiels. D’abord, nous avons un besoin absolu de vivre en communauté : on ne peut pas dénier l’individu mais l’individu ne peut pas vivre sans lien avec la communauté. De plus, nous sommes la nature. Nous avons besoin d’entretenir des relations très étroites avec la nature et il faut arrêter avec l’idée que nous sommes dissociables. Enfin, nous devons faire réalité des deux premiers piliers pour rendre possible le troisième : une communauté harmonieuse des humains et de la nature, ensemble.

Par ailleurs, il n’y a pas qu’un seul Buen vivir. Ce n’est pas une recette qu’il suffit d’appliquer. Il se construit différemment dans chaque territoire, culture, communauté et contexte.

Quelles sont les bases de cette relation entre l’humain et la nature ?

A.A. : L’humain fait partie de la nature et de ses cycles. Pour parvenir à un équilibre, il faut absolument arrêter de continuer à détruire la nature. Cela revient à se détruire soi-même. Il y a plusieurs chemins pour construire cette relation d’équilibre mais nous devons avant tout résister pour protéger la nature. C’est très important, et des exemples aux quatre coins du globe le montrent. Si l’on prend l’exemple français de Notre-Dame-des Landes, on comprend pourquoi des personnes s’engagent et luttent pour conserver un espace naturel.

Dans plusieurs parties du monde, il y a de nombreuses résistances contre ce type de projets qui heurtent la nature. Dans ce contexte, les gens qui résistent font des propositions pour la ré-existence de la nature et l’harmonie que l’on entretient avec elle. Il y a deux façons de procéder. La forme la plus connue est l’inscription dans un cadre juridique de cet équilibre en reconnaissant les Droits humains et les Droits de l’environnement. Ainsi, récemment, les Nations unies ont reconnu que le droit à un environnement sain est un droit humain.

L’autre chemin est en acceptant que nous sommes de la nature et donc que nos droits sont ceux de la nature. Protéger les êtres vivants, sans définir s’ils sont utiles ou non aux êtres humains, c’est protéger la nature. L’Équateur a inscrit ces droits de la nature dans sa Constitution mais c’est aussi un sujet en cours de discussion dans 37 pays, comme au Chili ou en Allemagne. Selon moi, ce chemin est le plus important : si l’on réussit, cela provoquera une grande transformation. Si l’on reconnaît la nature comme un sujet de droit, il faudra complètement repenser la jurisprudence et démercantiliser la nature. Cela implique un changement culturel et civilisationnel copernicien !

Par le “Buen vivir”, les peuples s’opposent donc au capitalisme et à sa logique extractiviste, individualiste et productiviste ?

A.A. : Lorsque les communautés indigènes parlent de la Pachamama – la Terre-Mère – ce n’est pas une métaphore, c’est leur réalité. Souvent dans le monde occidental, on considère la nature comme un espace où l’on peut prendre, puiser et extraire des ressources. La question de fond est donc : Qui donne des droits à qui ? Donner des droits à la nature dans la Constitution est un acte anthropocentrique car en réalité c’est la Terre-Mère qui nous donne des droits pour vivre.

Le “Buen vivir” est-il appliqué politiquement en Équateur ?

A.A. : Nous avons eu 21 Constitutions depuis 1830. L’Équateur est une société qui, dès qu’il y a un problème, crée une loi pour le résoudre. Si le problème est grand, nous faisons une nouvelle Constitution. Le Buen vivir a politiquement été transformé en instrument du pouvoir et de la propagande. On l’a vidé de son contenu. En revanche, il y a un sens à l’inscription du Buen vivir dans la Constitution : cela inclut le sujet dans le débat public. Des groupes s’en servent pour s’opposer à des projets écocides. À ce jour, 60 projets ont été empêchés grâce à l’inscription du Buen vivir dans la Constitution. Il ne faut pas attendre que le Buen vivir se construise par ceux au pouvoir. Au contraire, il se construit dans chaque communauté, chaque territoire et chaque culture par rapport à un contexte.  

Ce genre de processus prend beaucoup de temps. Ce n’est pas un justificatif mais une réalité. Il faut accélérer le pas pour que les droits de la nature s’accomplissent, nous devons donc les inscrire dans une Déclaration universelle des Droits de la Nature. 

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