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L’architecture parasite à l’assaut de la cité

Dessus, dessous, dans tous les sens.. L’architecture parasite investit tous les recoins de la ville. Objectifs de ce mouvement utopiste : donner à tous les moyens d’agrandir son logement, mettre les sans-abri au chaud ou injecter un peu de poésie dans la cité…

Le 17/09/2018 par Alice Pouyat
Dessus, dessous, dans tous les sens.. L'architecture parasite investit tous les recoins de la ville. Objectifs de ce mouvement utopiste : donner à tous les moyens d'agrandir son logement, mettre les sans-abri au chaud ou injecter un peu de poésie dans la cité...
Dessus, dessous, dans tous les sens.. L'architecture parasite investit tous les recoins de la ville. Objectifs de ce mouvement utopiste : donner à tous les moyens d'agrandir son logement, mettre les sans-abri au chaud ou injecter un peu de poésie dans la cité...

Vous rêvez d’un balcon, de déjeuners au soleil et de plantes aromatiques… mais vous vivez dans un immeuble vétuste et étriqué ? Stéphane Malka a fait le même rêve, et imaginé une solution : greffer, sur les façades, des cubes en bois offrant une meilleure isolation et des espaces de vie supplémentaires. Le Français Stéphane Malka est l’un des meilleurs représentants de « l’architecture parasite ».

L’essence de ce concept qui essaime de Paris à New York en passant par Singapour et Mexico : construire sur les bâtiments existants, coloniser les interstices, les murs pignons, les espaces inoccupés…

Pas un mouvement structuré, plutôt une tendance qui vient pointer les manques criants des mégalopoles contemporaines, et les combler : manque d’espace, manque de nature, manque de solidarité, manque de créativité aussi… « Pour moi, c’est une façon de revenir aux origines de l’architecture, qui doit d’abord répondre à des besoins urgents », résume Stéphane Malka.

Laisser cours à ses fantasmes

« Pas de tabou », donc, dans cette architecture de l’instinct. « Dessus, dessous, dans tous les sens », Stéphane Malka dessine en laissant libre cours à ses rêves et « ses fantasmes ». Plus que d’architecture parasite, il aime d’ailleurs parler de « Kama-sutra architectural »… Provocateur.

Car c’est bien là aussi le sens de ces protubérances : investir les espaces inattendus pour rompre la monotonie de la ville et susciter la réflexion. Comme le fait le street art, dont Stéphane Malka est issu.

« Penser la ville, panser l’architecture » est la devise de son cabinet.

Contre les grands ensembles impersonnels

Bien sûr, le mouvement a des influences anciennes. L’un des rêves de Stéphane Malka, greffer des studios sur le pont Neuf à Paris, fait écho aux ponts habités du Moyen Âge, période de forte densité urbaine.

Mais c’est quelques siècles plus tard, durant les Trente Glorieuses (1945-1973), que surgissent ces rêves parasites. Une réaction aux constructions massives et désincarnées de l’après-guerre, et une affirmation de l’individualisme croissant, souligne Louis Befve.

Le parasitisme n’est alors qu’une utopie. L’architecte Yona Friedman, « maître absolu » de Stéphane Malka, imagine en 1959 une « Ville spatiale » faite de petits modules placés sur une grille et sur pilotis, comme suspendus dans le ciel. Les modules pourraient être déplacés en fonction de l’évolution des envies et des besoins de chacun.

En 1968, Jean-Louis Chanéac dessine des « cellules ventouses » multicolores permettant aux habitants des grands ensembles d’agrandir leur logement à leur gré.

Dans la foulée, à Genève, l’un de ses amis rend l’utopie concrète. Alors qu’il vient d’avoir un enfant, et excédé par les difficultés à trouver un appartement plus grand, Marcel Lachat greffe pendant la nuit une « Bulle Pirate », imaginée par Chanéac, à sa fenêtre. Un coup médiatique réussi : il devra la démonter mais les autorités lui proposent aussitôt un logement décent.

Un espace pour les sans-abri

Anticonformiste, cette architecture de l’urgence se veut sociale voire révolutionnaire. Elle est l’un des rares mouvements à se préoccuper des sans-abri… sans chercher à les déloger. Un précédent important fut l’installation sur les trottoirs de New York, en 1997, de bulles en plastique chauffées par connexion aux bouches d’aération d’immeubles, les « ParaSite », de l’architecte et sculpteur Michael Rakowitz.

Avec ses « Abris furtifs », des tentes couleur camouflage suspendues à un mur de la Friche la Belle de Mai, à Marseille, Malka, et d’autres architectes comme l’agence FramLab à New York, Fernando Abellanas en Espagne ou Susana Hertrich en Allemagne, poursuivent le mouvement.

Le Français a aussi construit « des maisons démocratiques » destinées à un public plus large : des préfabriqués qui se nichent au-dessus des toits ou entre les tranches des immeubles, à 40 % des tarifs du marché. Deux ont été installés à Paris et une dizaine sont à l’étude. « L’idée est de faciliter l’accès à la propriété. La seule surélévation sur le parc haussmannien peut faire dégringoler la pyramide du foncier ! », s’enthousiasme l’architecte.

Architecture vivante

Un parasitisme qui se nourrit d’échanges symbiotiques avec le monde de l’art. En 2001, lorsque Rotterdam était capitale européenne de la culture, une installation vert fluo, créée par Korteknie Stuhlmacher, posée sur le toit d’un bâtiment désaffecté et surnommée « Parasite », a popularisé le concept.

Partout, d’autres créateurs s’en emparent pour réenchanter la ville, ouvrant la voie à une institutionnalisation, voire à une appropriation par les élites urbaines. Ainsi, l’Hôtel Everland, chambre créée par les artistes Sabrina Lang et Daniel Bauman (L/B), installée sur des monuments célèbres comme le Palais de Tokyo, à Paris, face à la Tour Eiffel, permet de profiter d’une vue imprenable dans une ville aux lignes ultra-figées.

« Paris a besoin de plus de flexibilité pour se rénover et pour rester dynamique ! » lâche Stéphane Malka. Un petit rappel de biologie en somme : les parasites ne sont pas toujours néfastes aux organismes qu’ils colonisent. Ils viennent souvent leur insuffler de la vie.

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