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Le Bec-Hellouin, la micro-ferme qui montre « qu’on peut produire beaucoup, de façon durable »

Le 28/05/2019 par Claire Gollot
Charles Hervé-Gruyer. (Crédit : Claire Gollot.)
Charles Hervé-Gruyer. (Crédit : Claire Gollot.)

Installés depuis 2003 au Bec-Hellouin (Eure), Perrine et Charles Hervé-Gruyer ont développé une exploitation et une méthode novatrice – l’écoculture, fondée sur l’imitation des écosystèmes naturels – qui s’adresse à la fois à des agriculteurs professionnels mais également aux jardiniers amateurs souhaitant produire eux-mêmes tout ou partie de leur alimentation.

Au sein de cette ferme, devenue célèbre grâce entre autres au film Demain de Mélanie Laurent et Cyril Dion, des études scientifiques, menées par l’INRA, AgroParisTech, l’université de Gembloux (Belgique), ont validé l’existence d’une productivité tout à fait exceptionnelle et durable – 1 000 m2 de maraîchage au Bec Hellouin produisaient en 2015 une valeur commercialisée de 55 000 euros, quand la production moyenne du maraîchage bio en France était de l’ordre de 30 000 euros par hectare. Ces recherches ont exercé une profonde influence sur l’agriculture biologique en France et inspiré la création de nombreuses fermes naturelles dans le monde entier.

Une expérience partagée dans Vivre avec la terre, manuel des jardiniers-maraîchers, un ouvrage encyclopédique en trois tomes récemment publié par le couple chez Actes Sud. Entretien.

  • We Demain : Pourquoi avoir écrit cet ouvrage… de 1 048 pages ?

Charles Hervé-Gruyer : En 2010, on a formulé le concept de microferme permaculturelle et, sept ans plus tard, le ministère de l’Agriculture et les organismes professionnels de l’agriculture bio nous disaient que 80 % des projets de création de fermes maraîchères bio en France se revendiquaient de ce modèle. Perrine et moi avons rapidement été dépassés par l’ampleur du mouvement… Notre livre précédent Permaculture. Guérir la Terre, nourrir les hommes a été traduit en huit langues. On s’est aperçu qu’on avait suscité un désir, mais qu’on n’avait pas suffisamment dit comment réussir. Devenir paysan est une aventure à haut risque dans le contexte actuel.

On s’est dit qu’il fallait absolument sécuriser ces parcours, donner aux gens des supports pédagogiques de qualité utilisables par le plus grand nombre. C’est pour cela qu’on a travaillé six ans en équipe [une agronome et docteur en pharmacie, un maquettiste, une correctrice, une éditrice, une chef de fabrication…] sur ce manuel « Vivre avec la terre » ; on y partage tout ce qu’on est en capacité de partager. Notre rêve c’est qu’il fasse gagner des années de travail aux gens qui aspirent à se lancer.

  • En quoi votre ferme développe-t-elle une agriculture autre que celle qui nourrit majoritairement les Français aujourd’hui ?

On pratique une agriculture qui prend la nature pour modèle et on cherche à faire tout à la main. On travaille sur de toutes petites surfaces. Implantée sur 20 hectares environ, le cœur intensif du Bec Hellouin aujourd’hui se concentre sur une parcelle de 1,2 hectare et procure un emploi à cinq-six personnes. On prend des sources d’inspiration dans les pays du Sud, dans les régions tropicales. On s’inspire aussi de formes d’agriculture naturelle du passé, mais la ferme est aussi extrêmement connectée aux sciences du vivant contemporaines. Ça donne une ferme qui cherche à prendre le meilleur de différentes civilisations, le meilleur du passé, mais également du présent. Nous nous efforçons de créer une agriculture qui peut nourrir durablement les générations à venir dans le respect de la planète.

  • Quelle est la différence entre permaculture et écoculture ?

Le terme permaculture, né dans les années 1970 en Australie, désigne un système conceptuel qui propose des outils de design pour créer des installations durables et appliquées à l’agriculture… Nous, on a cherché à manier cela avec l’agriculture bio, professionnelle. Cette connexion s’était très peu faite en France. On utilise la permaculture comme sorte de logiciel global pour penser notre ferme, mais à l’intérieur de la ferme on utilise beaucoup de techniques d’agriculture naturelle qui ne sont pas spécifiquement dans le champ de la permaculture. Aussi, on a trouvé judicieux d’utiliser ce mot écoculture, terme formulé dans la mouvance des travaux de l’agronome américain Wes Jackson, qui intègre d’autres influences que ceux de la permaculture, notamment l’agroécologie.

  • Pourquoi travailler sur des micro-parcelles ?

La principale raison tient à la volonté de s’affranchir des énergies fossiles. Actuellement, pour une calorie alimentaire dans notre assiette, on utilise 10 à 12 calories de pétrole. On a observé qu’on arrivait à produire beaucoup sur de toutes petites parcelles cultivées très intensément et totalement à la main. Du coup, on peut libérer une grande part de notre territoire pour planter des arbres, élever des animaux, etc. La ferme redevient un milieu complexe, avec des niches écologiques, produisant beaucoup de biomasse. Ainsi, on peut, à production égale, laisser toute une part du territoire sauvage. Et on arrive à subvenir aux besoins des humains tout en guérissant la terre et régénérerant la biosphère. Autre bonne nouvelle, des études scientifiques menées dans notre ferme ont montré que la petite fraction cultivée produit une nourriture abondante de qualité tout en améliorant les sols. Nos sols stockent jusqu’à plus de 10 % de carbones organiques par an, ce qui est colossal. Ainsi, on va transmettre une terre bien plus fertile que celle qu’on a trouvée.

  • Pourquoi la transition de l’agriculture constitue selon vous le premier levier pour faire bouger en profondeur d’autres secteurs ?

L’agriculture reste le socle sur lequel on construit nos sociétés. On peut se passer de tout un tas de choses, mais pas de boire ni de manger. Être paysan conditionne notre rapport au monde et à quelque chose à voir avec toutes les grandes thématiques contemporaines : faim, santé, emploi, climat, biodiversité, art de vivre ensemble, etc. Si on arrive à relocaliser des petites fermes extrêmement productives et à mailler l’ensemble du territoire avec elles, alors on relocalise la production alimentaire, on diminue les transports, favorise l’essor des communautés locales… On voit bien que le retour au local est le meilleur substrat pour favoriser l’épanouissement de solutions vertes et durables.

  • L’écoculture peut-elle nourrir l’humanité ?

On est persuadé que les solutions de demain, on peut les trouver en observant la nature, c’est une démarche bio-inspirée et les résultats scientifiquement validées qu’on obtient au Bec Hellouin sont porteuses d’espoir parce qu’ils montrent qu’on n’est pas obligé de bousiller la planète pour subvenir à nos besoins. Ce qui me passionne c’est de constater l’explosion de la vie sur notre petite ferme, de plus en plus belle, où il y a de plus en plus d’oiseaux, avec des espèces rares, c’est de voir que notre terre devient de plus en plus noire, profonde, fertile… avec des récoltes toujours plus grandes. En cherchant à aller dans le sens de la vie, on est gagnant sur tous les plans. On a un meilleur revenu, une meilleure qualité de vie, on produit de la qualité, on n’a pas besoin d’utiliser de produits phytosanitaires… tout le monde est content dans cette démarche.

Le Bec-Hellouin, la micro-ferme qui montre

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