Partager la publication "Le mal des montagnes : comment les scientifiques surveillent les effets du réchauffement climatique"
En cet été 2023, les rues de Chamonix grouillent de monde. Plus encore qu’en hiver, la ville située au pied du Mont-Blanc attire touristes et sportifs. Les Drus, la Verte, les Aiguilles rouges, les Grandes Jorasses, la dent du Géant, le mont Maudit… il suffit de lever les yeux pour observer ces montagnes mythiques qui ont fait l’histoire de l’alpinisme. Une carte postale mais qui commence à être sacrément écornée en raison du réchauffement climatique.
Il suffit de quitter Chamonix et de monter en altitude par le petit train du Montenvers pour comprendre le drame qui est en train de survenir là-haut. La hausse des températures a pour conséquence la chute de blocs de pierre, voire de pans entiers de montagnes. En 2022, pas moins de 300 écroulements rocheux ont été constatés dans le massif du Mont-Blanc. Et 2023 continue sur cette lancée, avec de nombreux éboulements, notamment ces dernières semaines.
Il y a quelques jours, mercredi 23 août vers 10h40, dans la face nord de l’aiguille du Midi, un écroulement de grande ampleur a eu lieu. On estime qu’entre 10 000 à 20 000 m3 de pierres se sont détachées à environ 3 500 mètres d’altitude. Heureusement, aucune victime n’a été recensée car le secteur n’est pas fréquenté. La raison de ces montagnes qui s’écroulent par pans ? Le dégel du permafrost.
Ce terme géologique désigne un sol dont la température se maintient en dessous de 0 °C pendant plus de deux ans consécutifs. Ici le sol était gelé depuis plusieurs milliers d’années. “En montagne, il y a une sorte de ciment de glace qui tient les pierres. Mais ce dernier se dégrade de plus en plus avec le réchauffement climatique. Et a pour conséquence des roches de moins en moins stables qui finissent pas se décrocher des parois”, nous explique Ludovid Ravanel, géomorphologue et chercheur au CNRS rattaché au Laboratoire Edytem de l’Université Savoie Mont-Blanc.
“En juin 2005, une masse de roche équivalente à cinq Arc de Triomphe s’est effondrée aux Drus.”
Ludovic Ravanel, géomorphologue.
Le 30 juin 2005, une autre montagne du massif, les Drus, a subi un écroulement majeur. Dans la nuit, le pilier sud-ouest, dit pilier Bonatti, disparaît. rayé de la carte. “Ce sont 265 000 m3 de roches qui sont tombées d’un coup. Je ne sais pas si vous imaginez, c’est l’équivalent de cinq fois l’Arc de Triomphe qui s’effondre en quelques secondes.”
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Avec d’autres experts du climat et de la montagne, Ludovic Ravanel arpente les Alpes pour mieux comprendre l’impact du dérèglement climatique sur les massifs et pour surveiller les changements qui pourraient avoir un impact majeur sur l’écosystème. On sait déjà qu’un tiers des glaciers classés au patrimoine mondial de l’humanité n’existeront plus en 2050, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).
Sur l’ensemble des Alpes de l’ouest, 6.2 % du volume des glaciers a disparu sous les effets des fortes chaleurs l’an dernier. Au-dessus de Chamonix, la Mer de Glace, troisième plus gros glacier des Alpes, n’est pas épargnée. Elle perd plusieurs dizaines de mètres de longueur et d’épaisseur par an. En 2022, elle a perdu 16 mètres d’épaisseur en 2022. Depuis 1850, on estime qu’elle a reculé d’environ 2 kilomètres. Colossal. Nous nous y sommes rendus avec le géomorphologue et Luc Moreau, glaciologue et docteur en géographie alpine.
Preuve que le sujet intéresse, ce jour-là, nous sommes une dizaine à suivre un cours de glaciologie dans le cadre de l’Arcteryx Alpine Academy qui se tient chaque année à Chamonix fin juin – début juillet. Non seulement, le public en apprend davantage sur l’impact du réchauffement climatique sur les reliefs alpins mais peut aussi découvrir comment travaillent ces scientifiques sur le terrain. On compte un peu moins de 300 glaciologues en France, qui partagent leur temps entre le terrain et leur laboratoire, pour analyser les données prélevées dans les montagnes. Et étudier la composition des échantillons de glace prélevés.
“Tous les glaciers viennent à l’origine de la neige qui s’accumule en altitude, explique Luc Moreau. En cinq à dix ans, cette neige se tasse, devient de plus en plus compact et se transforme en glace. Celle-ci avance peu à peu par l’effet de la gravité. Sur la Mer de Glace, on a 70 ans de glace environ. Mais le glacier a beaucoup reculé depuis 30 ans et il ne bouge presque plus. Cela signifie qu’il n’évacue plus les débris.” Un glacier en voie d’extinction donc.
Un vieil appareil photo numérique entouré de scotch au bout d’un bâton pour prendre des clichés à intervalle régulier, des morceaux de bambous enfoncés dans la glace pour mesurer le niveau de la fonte… les scientifiques n’ont pas forcément besoin de matériel très complexe pour observer les effets du changement climatique sur les massifs. Même s’il existe aussi des balises électroniques qui évitent de devoir se rendre sur place pour prendre les mesures ou relever des éboulements qui touchent les montagnes.
“Notre système est simple mais efficace, note Luc Moreau. On est début juillet et je peux vous dire, rien qu’avec le relevé sur les bambous, que la Mer de Glace a perdu 5,20 mètres d’épaisseur en 3 mois, depuis avril. L’appareil photo, lui, me permet de surveiller un moulin, c’est un puits taillé dans le glacier par les eaux de fonte et de pluie. Au début, c’est juste une crevasse. L’eau la remplit puis crée un tunnel pour atteindre la base. On estime que celui-ci a une profondeur de 60 à 100 mètres.”
C’est en 1946 que George Claret creuse pour la première fois la grotte de la Mer de Glace. Dès le départ, l’objectif est touristique : permettre aux visiteurs de découvrir l’intérieur du glacier. Aujourd’hui encore, bien qu’elle soit recréée en début de saison chaque fois un peu plus haut, la grotte accueille en moyenne 350 000 visiteurs par an. Pour les chercheurs, elle a aussi une utilité. Tout comme le glacier, il s’agit d’un lieu d’expérimentation scientifique.
Quand on observe la Mer de Glace depuis l’arrivée du petit train à crémaillère au Montenvers, à 1913 mètres d’altitude, le spectacle est déroutant pour qui n’a jamais vu un glacier de près. En lieu et place d’une énorme masse blanche, on est surtout surpris par une longue langue grisâtre. “Comme le glacier fond sur lui-même, il libère des millions de pierres qui finissent par le recouvrir. C’est ce qui lui donne sa couleur grise”, pointe Luc Moreau.
Au Montenvers, chaque jour de la période estivale, un scientifique est présent sur la terrasse pour expliquer concrètement les effets du réchauffement climatique sur les montagnes auprès du grand public. Rien de plus facile de le constater ici : des plaques indiquent l’emplacement de la fin du glacier au fil des ans. Et les plaques sont posées de plus en bas d’une année sur l’autre. Le message est passé.
Outre les prises de mesures, les scientifiques expérimentent des solutions. Comme la pose de bâches sur les glaciers pour limiter la fonte. On en trouve d’ailleurs aux abords de la grotte de la Mer de Glace. “Nous avons fait l’expérimentation. Lors d’une grosse chaleur, un glacier sans protection va perdre par exemple 45 cm d’épaisseur sur une journée. Il n’en perdra que 22 cm s’il est enfoui sous une couche d’environ 10 cm de sable et de roches. Et seulement 8 cm si on l’a recouvert d’une bâche blanche.”
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