Les designers vont sauver le monde, la preuve en 10 objets


Un lit en carton dédié à l’hébergement d’urgence. Un bidon qui facilite le transport de l’eau en grande quantité. Un détonateur de mines fonctionnant à l’énergie éolienne. Aucun de ces objets, dont l’utilité sociale et environnementale est aujourd’hui mondialement reconnue, n’aurait probablement vu le jour sans les designers. Perçu comme un art dans les années 1970-80, cette discipline apporte aujourd’hui une réponse cohérente et concrète aux enjeux actuels.

C’est ce que s’attelle à démontrer l’exposition Invention/Design : Regards croisés, au Musée des Arts et Métiers, à Paris. Visible jusqu’au 6 mars 2016, elle a été conçue en collaboration avec le studio de designers Les Sismo pour contribuer à changer l’image du design dans la société. Frédéric Lecourt, l’un des commissaires de l’exposition et cofondateur des Sismo, en est convaincu : « face au spectre de la dématérialisation, le designer est loin, très loin de disparaître ». Mieux, il pourrait bien représenter l’avenir !
 

« L’idée est de montrer notre point de vue sur ce qu’est en train de devenir le métier de designer, sur ce qu’est une invention. »

Au gré des évolutions technologiques, sociales ou environnementales, la profession est soumise à une constante évolution. Avec un défi, s’adapter.
 

« En dix-huit ans d’expérience, raconte Frédéric Lecourt, on est passé par plein d’étapes. J’ai l’impression d’avoir changé trois ou quatre fois de métier. »

Pour faire face aux mutations actuelles, le cabinet Les Sismo s’est entouré « d’ingénieurs, d’architectes et de programmateurs autodidactes« . Une diversification nécessaire, pour mieux répondre à des enjeux économiques, numériques et environnementaux de plus en plus prégnants au sein de la société. Autant de contraintes avec lesquelles le designer doit composer. « Le designer adore les contraintes. C’est ce qui le différencie de l’artiste« . Artiste qui est, de son côté, libre de créer.

Autant de mutations qui n’attendent pas. Comme le rappelle l’exposition, il incombe donc parfois au designer de se concentrer sur l’essentiel. Qui plus est, à l’heure où émergent les concepts d’économie circulaire et de Jugaad, le système D à l’indienne. Frédéric Lecourt explique qu’il faut en ce sens prendre le temps, et surtout, « dessiner avec une gomme« .

C’est ainsi qu’avec le moins de matière possible, dans un souci de simplicité et de fonctionnalité, deux designers ont par exemple mis au point le LeafBed. Un lit capable de supporter jusqu’à 300 kilos, construit à partir d’un matériau accessible partout : le carton. Déjà utilisé par l’ONU, au Kenya et au Panama, l’objet s’est avéré particulièrement utile lors de catastrophes naturelles, face à la nécessité d’un hébergement d’urgence.
 

En mesure de se mettre au service de crises humanitaires, le designer doit aussi, de plus en plus, composer avec les éléments naturels à sa disposition. Ainsi, comme le démontre le designer allemand Markus Hayser dans la vidéo ci-dessus, des ressources naturelles comme le soleil et le sable peuvent être employées pour faire fonctionner une imprimante 3D.

Dans la même logique, saupoudrée d’une dimension sociale, le designer Singgih S. Kartono a créé une radio en bois, exclusivement à partir des ressources de son village d’origine, afin d’y mettre en place une activité économique pour assurer la survie de ses habitants.

Si l’aspect social est un facteur dont le designer s’accommode sans grande difficulté, d’aucun considèrent qu’il ne survivra pas au numérique. Principale cause avancée : l’essor de l’open source – la mise dans le domaine public des modèles de fabrication -, qui permet à chacun de s’approprier et modifier les pièces des autres. Mais cela ne semble pas effrayer Frédéric Lecourt.
 

« Il ne faut pas avoir peur des mouvements naturels. Quand une personne commence à dire « de mon temps » je lui demande si elle est morte ! Notre temps, c’est maintenant. Le fait que tout le monde puisse produire et être designer, nous oblige à devenir des chefs d’orchestre« .

César Harada, dont le projet, Protei, fait parfait ménage avec cet esprit de partage, est l’un de ces maestros. Le drone marin qu’a mis au point ce jeune designer permet de dépolluer l’eau, grâce sa coque qui absorbe le pétrole. C’est pour améliorer ce projet encore imparfait, qu’il s’en est remis à l’open source, permettant à quiconque de le perfectionner.

Mais que dire de l’imprimante 3D, qui apparaît aujourd’hui comme l’avenir de nos produits manufacturés ? Cette fois, Frédéric Lecourt tempère l’engouement autour de ces machines à fabriquer des objets en un clic, en pointant certaines limites : « L’impression 3D répond à des situations d’urgence ou pour lesquelles il n’y a pas de marché, en raison d’une faible demande. Mais si j’imprime en 3D une pièce pour réparer ma voiture et que celle-ci casse, qui va être responsable ? ».

Pas question cependant de le nier : les designers « chefs d’orchestre » devront s’adapter à ce nouveau paradigme. Pour le designer, les nouvelles technologies sont de formidables outils qui doivent être utilisés à bon escient. D’autant que, dans une profession en quête perpétuelle de solutions, leurs vertus expérimentales permettent de mieux dompter une donnée incontournable : l’échec.
 

« On participe prochainement à une conférence à Toulouse : un fail camp, pour parler uniquement de nos échecs car c’est là qu’on apprend, même si c’est très mal vu en France. »

Ni artiste fantasque, ni technicien dépassé par son temps, le designer se rapproche donc plus que jamais de l’inventeur, apte à anticiper les besoins de la société. Renforcé par chaque nouvelle contrainte, qui devient pour lui source de richesse, il nous permet – cette exposition le prouve – d’envisager le futur… avec plus d’optimisme.

Jean Duffour
Journaliste à We Demain
@JeanDuffour

Tous les objets cités au cours de l’article sont exposés au Musée des Arts et Métiers du 2 juin 2015 au 6 mars 2016.

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