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À Saint-Denis, les « street mamies » tricotent les déchets

🌴 « Manman Dlo » mesure près d’un mètre quatre-vingts et porte une longue traîne bleue en bouchon de bouteille plastique. La sculpture, entièrement composée de déchets porte le nom d’une divinité maritime antillaise, connue pour son pouvoir de séduction et ses vertus protectrices. Après avoir été façonnée pendant près d’un an par le groupe des « street mamies », de l’association « Déchets d’arts », à Saint-Denis (93), l’imposante sirène a été hissée sur une plateforme en bois munie de flotteurs. 

💧 « Le but de la performance est à la fois de sensibiliser sur le thème de l’eau tout en permettant aux membres de l’atelier de créer de A à Z une grande œuvre collective ! », se réjouit Viva Cuirassier, l’artiste plasticienne, qui a accompagné la réalisation de la sculpture, projet signature de l’association. Comme une trentaine d’artistes, Viva travaille avec « Déchets d’Arts » en tant que coordinatrice artistique du projet des Street Mamies. 

En 2023, WE DEMAIN a noué un partenariat avec le Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes (CFPJ). Quinze jeunes journalistes en contrat de professionnalisation ont travaillé à la production d’une série d’articles autour des initiatives dans les territoires. Retrouvez ici l’ensemble des sujets publiés sur la question.

Une véritable démarche créative pour les « street mamies »

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Christine, Mariem, et Maryse apprennent à tisser avec Vanessa, de l’association « Auberfabrik ». Crédit : Pauline Duverger.

🧵 L’association n’organise pas de simples activités manuelles. Elle propose à ses membres d’être au centre d’une démarche créative, depuis la recherche préparatoire et le choix des matériaux récupérés, recyclés et transformés, jusqu’à l’exposition finale — ou la mise en scène –  de l’œuvre. Le tout pour 5 euros annuel, ce qui permet d’accueillir un grand panel de public : des personnes âgées, des personnes migrantes ou précaire, ou encore, des lycéens d’Aubervilliers. 

Une déchétèque pour trouver les matières premières de ses créations

📼 Les matières premières ne coûtent rien, car les composants de la sculpture – bouteilles et bouchons en plastique, sacs-poubelles tissés avec de la laine récupérée, bandes de cassettes VHS – ont été fournies par les « mamies » qui participaient à l’atelier, mais aussi par la « déchétèque » de l’association.  Dans cet espace, coquet et chaleureux, on vient puiser sa matière première : boutons, chevilles, œillets, bouts de ficelles, caoutchouc, polystyrène, visseries et autres petites merveilles de la merceries soigneusement classées dans des boîtes et bocaux étiquetés.

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Boutons par milliers, billes de plastiques percées, vieilles guirlandes… la déchétèque regorge de pépites. Crédit : Pauline Duverger.

⚽️ À Saint-Denis, dans « Le Transfo », l’atelier où se réunissent les « Street Mamies » de Saint-Denis, rien ne se perd, tout se récupère. Les ballons de foot en plastique sont des pots de fleurs ; les vinyles chauffés et pliés deviennent des récipients vintages ; et les sacs-poubelles, de graciles oiseaux fantastiques. Tout peut aussi servir à tricoter : des vieilles bandes VHS, des lanières de vieux tee-shirts en coton, des bouteilles d’eau découpées en fins rubans semi-rigides, etc.

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L’atelier « Le Transfo » à Saint-Denis, regorge de petits objets soigneusement rangés et de boîtes étiquetées. Crédit : Pauline Duverger.

Des tourets de chantier transformés en tricotin géant

🧶 Maryse, 71 ans, qui connaît le lieu comme sa poche, pointe deux énormes tourets utilisés dans les chantiers pour enrouler les fils électriques. « Nous on s’en est servi pour fabriquer un tricotin géant ! », s’amuse-t-elle, montrant la photo d’un appareil cylindrique surmonté de quatre crochets, servant à fabriquer des tubes de laine. Pas de doute : les « mamies » ont autant le goût des travaux manuels que le sens de la démesure. 

♻️ Un adage résume bien cet état d’esprit : « Émerveiller pour éveiller« . Aujourd’hui slogan de l’association, c’était aussi le mantra de sa fondatrice, Anne-Dominique Gâté. « C’est grâce à elle que j’ai découvert le travail avec les matières récupérées », sourit Véronique, 73 ans – cheveux roux et petites lunettes blanches en plastique — en pointant le portrait grandeur nature de la fondatrice accroché au mur de l’atelier. Surnommée « Anne-Do », l’artiste plasticienne, est décédée l’an dernier. Autrice du livre En mode récup’ (Eyrolles, 2015), c’est elle qui a donné à « Déchets d’Arts », fondé en 2006, sa mission principale : faire de l’art à partir des déchets, dans une optique de sensibilisation à la protection de l’environnement. 

Vanessa et maryse
Vanessa explique à Maryse comment utiliser son métier à tisser. Crédit : Pauline Duverger.

Transformer les objets et les vies 

🥳 Une ambiance de cours de récré règne au sein de l’atelier des « Street Mamies ».Ce lundi après-midi, Maryse a apporté des petits gâteaux serbes. Valérie Truong, qui anime une activité « tissage », a pris ses métiers à tisser en bois recyclés, une flopée de pelotes colorées et son bobinoir pour enrouler le fil. Cette passionnée de coutures et de récup’ intervient en tant que membre de l’association « Auberfabrik » – partenaire de l’association – basée à Aubervilliers, qui propose également d’allier sensibilisation écologique et pratiques artistiques.

🪡 Elle apprend aux mamies à faire des « points de Panama », mais aussi à tasser leur fil en donnent régulièrement de « gros coups de fourchette » dans leur métier à tisser. « Ça défoule ! », exulte Mariem, venue avec un magnifique pull en crochet réalisé par ses soins. À 51 ans, cette ancienne employée d’une friperie de Saint-Denis est très loin d’être une mamie. 

Des « street mamies » qui peuvent aussi être des papis, des jeunes…

🟢 Contrairement à ce que son nom pourrait laisser croire, il n’y a pas de critère d’âge, ni de genre pour cet atelier. Un « street papi » nommé Gilbert a donc pu venir plusieurs fois tester ses talents de coutures en bonne compagnie. Des jeunes inscrits dans une formation technologique « mode » au lycée d’Alembert, à Aubervilliers (93), ont également participé à des ateliers de création de vêtement.

👍 « Certains lycéens ont appris le crochet et aidé à la création de la sirène avec les mamies. En général, les deux groupes adorent ces discussions intergénérationnelles« , se réjouit Indio Vignes, directeur de l’association. « Déchet d’Arts » travaille aussi avec des personnes migrantes ou précaires, qui viennent trouver une forme de réconfort et de valorisation dans ces activités manuelles. « Certains ont pu dire, au fil d’un atelier je me suis moi-même récupéré !' », se souvient Indio

Manman Dlo
Manman Dlo, la sculpture aquatique réalisée pendant toute l’année par le groupe des « Streets mamies ». Crédit : Pauline Duverger.

🧜‍♀️ Samedi 16 septembre, la sirène confectionnée par les Streets Mamies a flotté sur le Canal Saint Denis, à l’occasion d’une fête organisée par « les ateliers du 6B », lieu de création et de diffusion artistique installé dans une ancienne friche industrielle. Des balançoires flottantes, des bateaux Vikings et autres phares à tête de dragon sont venus accompagner « Manman Dlo » pendant sa traversée. Au milieu de tous ces objets en bois, la créature bleue pétard et rose fluo ressortait admirablement. « Les mamies étaient ravies », sourit Indio. Fin octobre, la sirène sera exposée à la médiathèque de la plaine Saint-Denis. Une chose est sûre : l’équipe d’artistes-tricoteuses enjouée est loin d’avoir fini son Odyssée.

Autrice : Clara Degiovanni

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