La Paillasse, le labo citoyen qui se rêve en « MIT de l’open-source »

On trouve de tout dans la bouillonnante rue Saint-Denis, à Paris. Des prostituées papotent en guettant le client devant les minuscules entrées d’immeubles décrépis. Juifs, chinois, et pakistanais tiennent les innombrables boutiques de grossistes en textile qui ont investi ce quartier central de la capitale. Quelques bars à bières attendent dès cinq heures leurs premiers étudiants. Et puis, au 226, il faut désormais compter avec La Paillasse.
 
Il faut s’y reprendre à plusieurs reprises pour obtenir de Thomas Landrain une définition concise de ce lieu dont il est pourtant co-fondateur, et dont il animait les portes-ouvertes samedi 8 juin. À l’origine – et selon sa page Facebook – La Paillasse est un « biohackerspace » : un laboratoire communautaire et citoyen tourné vers les technologies du vivant. Un cadre aujourd’hui obsolète, selon les propres mots de Thomas Landrain. « On trouve ici des projets qui tournent autour du numérique, de la biologie, de l’agriculture ou de l’économie circulaire », détaille ce normalien de presque trente ans.

Innovation et Club-Maté

Un tour des porteurs de projets rassemblés en ce jour ensoleillé, dans la cour pavée et dans le dédale de sous-terrains de 750 m2 de La Paillasse, permet d’en prendre la mesure. Dichen développe une application pour piloter l’éclairage, un réfrigérateur ou le chauffage avec des Google Glass. Alexandre Lejeune travaille sur des jeux électroniques expérimentaux qui fonctionnent grâce au déplacement du corps. « C’est très physique ! », prévient-il. Adrien Malguy lance le Ghost City Lab : un groupe d’étude sur les villes fantômes, pour « repenser le vivre-ensemble et l’écosystème à la lumière de la Troisième révolution industrielle de Jeremy Rifkin. » Guillaume Fabre chapeaute lui un atelier de formation aux drones à destination des adolescents.

« Nous sommes devenus un espace de liberté dédié à l’innovation communautaire, low-cost, et librement accessible. », résume Thomas Landrain. Un lieu que le spécialiste de l’économie numérique Gilles Babinet, de passage pour les portes ouvertes, qualifie de « futur MIT de l’open-source ». Parmi la centaine de makers, designers, scientifiques et curieux présents, l’alchimie opère. Beaucoup se connaissent et s’interpellent, entre deux gorgées de Club-Maté. Ca fourmille. Un écosystème de créateurs est né, à deux pas du Numa et de la Gaîté Lyrique, deux autres épicentres de l’innovation numérique à Paris.

De Vitry à Paris

S’il s’agit de son ouverture officielle, La Paillasse organise déjà à Paris, depuis plusieurs mois, des conférences, des ateliers de création et des soirées ouvertes rassemblant sa communauté. La formation de cette dernière remonte à 2011. Les « biohackers » sont alors hébergés par le /tmp/lab, un hackerspace de Vitry-Sur-Seine. « L’esprit est resté, mais les conditions de travail dans ce laboratoire de garage étaient plus bordéliques », se remémore une habituée le sourire aux lèvres. À cette époque, La Paillasse se fait connaître avec une technique d’analyse de l’ADN à bas-coût, ou encore avec une encre biodégradable produite par des bactéries. Courant 2013, Thomas Landrain et son équipe s’adressent à la Mairie de Paris et obtiennent une subvention pour s’installer dans la capitale.

Le 6 juin, La Paillasse nouvelle version a lancé une campagne de crowdfunding afin de poursuivre son développement. Objectif : créer un « espace d’expérimentation unique en France où designers, scientifiques, artistes, makers, entrepreneurs, ingénieurs et citoyens pourront inventer librement les futurs usages et technologies ouvertes de demain ». À long terme, résidences payantes, ateliers de formations ou laboratoires thématiques à destination des entreprises devraient alimenter la trésorerie. La Paillasse cherche aussi des sponsors privés. « Certains puristes des fablabs s’interrogent sur ce mode de financement, confie Amélie (le prénom a été changé). Mais on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. » Fablabs, hackerspaces, tiers-lieux : les nouveaux centres d’innovation citoyenne cherchent à concilier besoins de financement et volonté d’ouverture et d’indépendance. Un pied dans l’open-source, l’autre dans les quittances de loyers.

Côme Bastin 
Journaliste We Demain 
Twitter : @Come_Bastin

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