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Peut-on faire de l’art avec un iPhone ?

Malgré des avancées techniques spectaculaires, la photographie au téléphone portable reste sous-considérée dans le monde de l’image. Le collectif d’artistes Mobag tente d’inverser la tendance, en faisant de la photo mobile… un art.

Le 21/10/2014 par WeDemain
© Eloise Capet
© Eloise Capet

Nouveau chapitre dans l’histoire de la photographie : après l’appareil argentique, le numérique, de plus en plus de photographes ne sont plus équipés que d’un simple… téléphone. Née dans les années 2000, la photographie mobile – désormais surnommée « iPhonographie » -, qui utilise le Smartphone pour photographier et retoucher, a immédiatement été perçue avec méfiance et dédain par les professionnels de la photo. Car à mesure que le Smartphone se démocratisait, tout le monde devenait photographe.

Face à cette défiance, « l’iPhotographe » s’était résolu à n’accorder aucune valeur à ses images, les réduisant à des clichés sans prétention. Même lorsque la lumière, la texture ou le cadrage accrochaient le regard, on arguait qu’il ne s’agissait là que de l’effet du filtre, du recadrage. Trop facile ? Le Mobag, collectif présidé par Eloise Capet, a choisi au contraire de revendiquer une photographie mobile et artistique, pour décomplexer ses auteurs et légitimer ses clichés. 

Un art sans savoir faire ?

Qu’est ce qui, au juste, pose problème dans la photographie mobile ? Pas tant la qualité photo des téléphones, désormais parfois aussi élevée celle des appareils numériques, mais plutôt l’absence de compétence. Prendre une photo avec son portable, appliquer un filtre et la publier serait à la portée de tout le monde. Éloise Capet conteste en bloc : « tout le travail en amont est invisible. Pour une image, il faut des dizaines de prises. Il faut avoir réfléchi à sa mise en scène, avoir l’idée de ce que l’ont veut dire. Comme n’importe quel artiste, le photographe mobile ne peut pas de s’affranchir d’avoir un regard, un style. »

Cette nouvelle génération de photographes est également accusée d’être assistée par les applications de retouche. Comme Instagram, qui a 200 millions d’utilisateurs dans le monde, mais limite la personnalisation à une dizaine de filtres. Les photographes du Mobag en utilisent cependant bien d’autres : ces applications s’appellent Camaramatic, Snapseed, Blender, Mixtures… et permettent des centaines d’effets (filtres, définition, luminosité, cadrage). « Avec ce genre d’applications, des heures sont nécessaires pour faire des superpositions, des découpages. » ajoute Eloise Capet.

Nouvelles écritures photographiques

Face à la multiplication de ces outils, les iPhotographes ont donné naissance à une nouvelle écriture photographique. C’est parce que son Smartphone était extrêmement discret qu’ Éloise Capet s’est remise à photographier, elle qui avait fait de la photographie argentique dans les années 1990. En 2011, elle décide de prendre les gens en photo sans qu’ils s’en aperçoivent dans le métro. Son iPhone lui permet de saisir l’intimité d’un couple, d’une jeune femme qui se maquille dans le métro, d’instants de vie inaccessibles à un appareil photo classique. Mais cette spontanéité a posé des questions de droits à l’image à la photographe : aujourd’hui, Eloise Capet ne photographie plus les gens dans la rue, mais se met en scène seule, à la manière de Francesca Woodman, photographe américaine des années 1970.

Le mobile change aussi le métier de photographe, qui ne se contente plus de prendre la photo, mais organise aussi la diffusion de ses œuvres. Via les réseaux sociaux (FlickR, Instagram, EyeEm, 500Pxl), il les soumet aux regards et aux votes de la communauté des internautes. Le photographe entretient un rapport direct avec ses spectateurs, avec qui il échange sur les logiciels, les objectifs utilisés.

Dématérialisation partielle

Cela annonce-t-il la fin des expositions et des beaux livres photo ? Pas si sûr. Car si ces nouveaux photographes revendiquent l’usage d’un mobile, ils aspirent, dans leur grande majorité, à ne pas rester uniquement sur la toile et à intégrer le circuit traditionnel. « Le numérique ne comble pas le désir d’avoir un objet matériel entre les mains. L’idéal reste de rematérialiser ces pixels, d’en faire un objet », estime Éloise Capet.

Out of the phone, une maison d’édition dédiée à l’impression de photographies mobile, symbolise ce besoin. Son fondateur, Pierre Le Govic, est convaincu de l’importance du papier, qui offre une émotion qu’on ne peut retrouver sur un support numérique. Le livre permet, selon lui, de raconter une histoire. C’est aussi une manière de faire le tri, de repérer des talents et d’éviter que les meilleures photos ne se perdent dans le flux continu d’Internet.

Simple tendance ou évolution durable ? « Pour moi, c’est quelque chose de profond. Il y aura sans doute coexistence des téléphones avec les appareils photo, avec autant de légitimité pour l’un et l’autre, » pronostique Eloise Capet.

Preuve que cet art s’installe, la photographie mobile a désormis son propre festival (Tribegram). Un site lui est également consacré (icommephoto.com), qui réfléchit sur cette nouvelle tendance, soutient des photographes et propose des tests. Des conférences sont organisées sur la question ; c’est d’ailleurs comme cela que le sujet a été repéré par We Demain : l’association du Celsa Hors les Murs  dans le cadre de leur projet Profil(s)  a organisé en septembre une conférence « Nos selfies sont-ils des oeuvres d’art ? »

Les marques traditionnelles de photographie ont bien compris qu’il était vain de lutter contre les marques de téléphone et lancent désormais des accessoires pour Smartphones (zoom et flash). Le véritable combat de Mobag est d’arriver à ce que, dans un futur proche, « on ne se pose plus la question de savoir si la photo a été prise avec un Iphone ou avec un Nikon, et l’on ne juge que le résultat. Et c’est possible : aux Etats-Unis, le regard sur votre travail ne change pas quand vous annoncez que vous avez utilisé votre téléphone pour réaliser le cliché. »

 

Laura Cuissard
Journaliste 
@faisonsenvie

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