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À la conquête du Passage du Nord Ouest : la tragédie de Franklin et le triomphe d’Amundsen

RÉCIT. Par Jean-Paul Curtay, nutrithérapeute et auteur.

Le 02/12/2016 par WeDemain
RÉCIT. Par Jean-Paul Curtay, nutrithérapeute et auteur.
RÉCIT. Par Jean-Paul Curtay, nutrithérapeute et auteur.

De l’Islande à la péninsule antarctique, Jean-Paul Curtay est parti en “croisière-expédition” autour des nouvelles routes maritimes rendues possibles suite à la fonte des glaces. Chaque semaine, il la raconte à We Demain

C’est le tour de John Franklin de lancer une série d’expéditions entre 1819 et 1822 par voie terrestre à partir de la Baie d’Hudson. La première expédition de Franklin partie avec des provisions insuffisantes tourne à la catastrophe : 11 hommes sur 20 meurent de faim et Franklin s’en sort de justesse après avoir été jusqu’à consommer du lichen bouilli, des insectes, le cuir de ses bottes avant d’être sauvés par des membres de la tribu Yellowknife.

En Angleterre, Franklin que l’on surnomme “l’homme qui a mangé ses bottes” devient un héros et trouve le soutien financier pour reprendre une série d’autres expéditions terrestres. Elles lui permettent de cartographier une grande partie de la côte, frontière nord du continent américain et d’émettre l’hypothèse qu’un Passage du Nord Ouest qui permettrait de relier l’Atlantique au Pacifique est bien possible.

Best-seller

Son récit devient un best-seller réimprimé trois fois en 18 mois, publié aux États-Unis, traduit en français et en allemand. Les imaginations s’enflamment pour l’Arctique. Mais c’est seulement à 60 ans, en fin de carrière, après avoir été un gouverneur – très contesté – en Tasmanie que Franklin repart en 1845, cette fois-ci avec Erebus et Terror, deux navires remis à neuf.

Cette fois-ci, on ne sera pas chiche sur les provisions : 8 000 boîtes de conserves, – une innovation – soudées au plomb, 35 tonnes de farine, 7560 litres de vin et de rhum, des coffres de thé, du chocolat, du jus de citron, et 10 bœufs amenés dans petit navire escortant les deux grands jusqu’au Groenland où ils sont dépecés et entreposés sur les deux navires… Tout cela pour 129 officiers et hommes d’équipage.

Aucun survivant

Franklin passe le détroit de Lancaster et doit hiverner sur la désertique Beechey Island. Il y enterre les 3 premiers morts, 3 jeunes matelots. Ils ont été exhumés parfaitement conservés par le permafrost et autopsiés récemment par Owen Beattie qui a pu établir les causes de leur mort : pneumonie, tuberculose et saturnisme.

Les soudures au plomb ont contaminé le jus de citron et la nourriture et déprimé les défenses anti-infectieuses des marins. On peut en inférer pour la suite que les effets du plomb sur le cerveau ont certainement joué un rôle majeur dans les erreurs de décision qui mèneront l’ensemble de l’expédition à sa perte. Il n’y aura en effet aucun survivant.

Les bateaux repartent vers King William Island où ils sont repris par les glaces dans Victoria Strait en 1846. En 1848, une lettre laissée au cairn de Victoria Point indique que 9 des 21 officiers, 15 des 108 marins sont morts, que les autres abandonnent les navires bloqués par les glaces et partent en traîneaux vers le sud, le long de la côte ouest de King William Island.

Inuits et scorbut

Mais la lettre – la seule retrouvée à ce jour – n’est découverte que 10 ans plus tard. Les marins restants atteignent la côte sud à Washington Bay où ils croisent les derniers Inuits qui les aient vus vivants, atterrés de voir ces hommes sans fourrure traîner eux-mêmes des traîneaux lourdement chargés de meubles !

Ces derniers auraient accepté de leur céder quelques morceaux de viande contre un couteau. Selon la description des Inuits, leurs gencives gonflées recouvraient leurs dents, leur bouche était noire. Ils étaient donc victimes de scorbut avancé. Ayant juste de quoi survivre eux mêmes, les Inuits sont obligés de poursuivre leur route.

Les derniers survivants seraient repartis avec des têtes, des bras, des jambes autour du cou, vers Back River, ce qui ne les empêcha pas de s’éteindre à Starvation Cove, la rencontre espérée avec des baleiniers ne s’étant pas faite. Les inuits retrouvent des cadavres et des signes de cannibalisme, dont des bottes remplies de viande humaine, des bouilloires contenant des dents, une vérité rapportée aussi par les témoignages du médecin écossais John Rae, que Lady Franklin et l’Angleterre victorienne refuseront d’accepter jusqu’au bout avant que les historiens ne finissent par l’imposer.

Terror Bay

Roald Amundsen, un jeune norvégien, choisit, lui, de partir sur d’autres bases. Plutôt que de miser sur de gros bateaux bardés de canons et de nombreux hommes en uniformes, il fait confiance aux techniques de survie inuites : vêtements de fourrure, chiens de traîneaux, chasse au phoque… auxquelles il devient rompu.

Grâce à elles, il deviendra le plus grand explorateur du XXème siècle. Il réussit avec Adrien de Gerlache le premier hivernage en Antarctique, ouvre le premier le Passage du Nord Ouest en 1905, puis le Passage du Nord Est et atteint le premier le pôle Sud. Dernière nouvelle : quelques jours après notre passage par King William Island, le 3 septembre, la deuxième épave de l’expédition Franklin, le Terror, a été découverte, ses 2 mâts encore dressés, toutes écoutilles fermées dans… Terror Bay !

La première, celle de l’Erebus, a été retrouvée en septembre 2014.

Jean-Paul Curtay.

Pour en savoir plus :

Anne Pons, John Franklin, l’homme qui mangea ses bottes

Fayard John Geiger, Owen Beattie, Frozen in time : the fate of the Franklin expedition, Greystone, 2014

John Geiger, Alanna Mitchell, Franklin’s lost ship, HarperCollins David Woodman, Unravelling the Franklin Mystery : inuit testimony, McGill-Queen’s University Press

Stephen R Bow, The last viking : the life of Roald Amundsen, Merloyd Lawrence Book

Jean-Paul Curtay, a commencé par être écrivain et peintre, au sein du Mouvement Lettriste, un mouvement d’avant-garde qui a pris la suite de Dada et du surréalisme, avant de faire des études de médecine, de passer sept années aux États-Unis pour y faire connaître le Lettrisme par des conférences et des expositions, tout en réalisant une synthèse d’information sur une nouvelle discipline médicale, la nutrithérapie, qu’il a introduite en France, puis dans une dizaine de pays à partir des années 1980. 

Il est l’auteur de nombreux livres, dont Okinawa, un programme global pour mieux vivre, le rédacteur de www.lanutritherapie.fr, et continue à peindre et à voyager afin de faire l’expérience du monde sous ses aspects les plus divers.

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