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Le Groenland, terre des plus anciennes roches connues… et de nos origines

RÉCIT. Par Jean-Paul Curtay, nutrithérapeute et auteur.

Le 20/10/2016 par WeDemain
RÉCIT. Par Jean-Paul Curtay, nutrithérapeute et auteur.
RÉCIT. Par Jean-Paul Curtay, nutrithérapeute et auteur.

De l’Islande à la péninsule antarctique, Jean-Paul Curtay est parti en « croisière-expédition » autour des nouvelles routes maritimes rendues possibles suite à la fonte des glaces. Chaque semaine, il la raconte à We Demain.   

En allant au restaurant pour prendre le petit déjeuner, j’attrape au passage, comme chaque matin, le petit condensé des nouvelles du jour. « Des chercheurs australiens découvrent au Groenland les plus anciennes traces de vie fossilisées connues ». J’apprends à cette occasion que le Groenland est déjà l’hôte des plus anciennes roches connues.

C’est à l’Archéen qui va de 4 milliards à 2,5 milliards d’années que la majeure partie des croûtes terrestres ont été formées. Or, on trouve au sud du Groenland, dans la région d’Amitsôq 3 000 km carrés de gneiss rubané datant de plus de 3,8 milliards d’années – la date du « grand bombardement tardif » de météorites – associés à des roches volcaniques et sédimentaires encore plus anciennes, la plus connue étant la ceinture d’Isua.

Des géologues du laboratoire CNRS de Lyon Terre, planète et environnement, avaient déjà, en 2011, pointé les volcans de boue de cette région comme les candidats, réunissant pour la première fois tous les éléments indispensables à l’apparition la plus précoce de la vie sur Terre.

Le Groenland, hôte des plus anciennes formes de vie sur Terre

Or, c’est bien dans cette ceinture d’Isua (Isua supracrustal belt ou ISB pour les anglophones) que les chercheurs australiens ont mis à jour des fossiles de stromatolithes, des cyanobactéries formant des tapis qui s’accumulent en concrétions. Ils ont été pratiquement la forme dominante de vie pendant trois milliards d’années.

Il en reste encore quelques rares sous forme vivante. Je me souviens en avoir vu des vivantes couronnant d’un film blanchâtre des lacs de Patagonie. Mais on peut encore en voir en Australie dans la baie Shark, dans le lac Thétis, le lac bleu ; au Brésil dans le lac Salgada ; en Égypte dans le lac Solaire ; aux États-Unis à Yellowstone ; aux Bahamas ; dans le Transvaal en Afrique du Sud ; sur l’île de Hainan en Chine…

En France, ils sont présents dans des sources et ruisseaux pétrifiants comme dans le ruisseau du Dard près de Lons-le-Saunier (Jura) et dans le ruisseau de la cascade pétrifiante de Saint Pierre-Livron près de Caylus (Tarn-et-Garonne). Le Groenland, hôte des plus anciennes roches et des plus anciennes formes de vie sur Terre… et aussi hôte des premiers tétrapodes, animaux marins qui ont colonisé la terre, transformé leurs nageoires en membres et leur branchies en poumons et dont nous sommes issus.

La dérive des plaques de banquise

Étonnant qu’il ait été choisi par Alfred Wegener pour prouver sa théorie. Tout le monde connaît Galilée, Newton, Darwin, Einstein, Pasteur… des titans qui ont fait basculer des pans entiers de connaissance. Wegener est de cette envergure, mais qui le connaît dans le public ?

Alfred Wegener est le découvreur de la tectonique des plaques, le mécanisme qui a créé nos continents, nos îles, nos côtes, nos océans, qui est responsable du plissement des montagnes, des tremblements de terre et de la plupart des volcans. Énorme, non ? Alors que tout le monde pensait que les terres sur lesquelles nous vivons ont toujours été ce qu’elles sont, il a réalisé qu’elles dérivent sur le magma, une dérive qui est toujours tout ce qu’il y a de plus actif, une dérive qui est en train, centimètres par centimètres de fermer la Méditerranée et d’ouvrir un océan dans le Grand Rift !

À la fois astronome et climatologue, il était venu au tout début du XXe siècle au Groenland pour faire des études météorologiques. Il y observe la dérive des plaques de banquise. Et, de là, germe l’idée que la même chose se passe pour les continents. En 1912 il expose sa théorie à la Société Géologique de Francfort, puis, en 1915, dans La Genèse des Continents et des Océans, appuyée par des puissants arguments géologiques, climatiques et paléontologiques.

Eismitte, au milieu des glaces

Mais il se heurte à l’opposition des géologues « fixistes » ou « anti-mobilistes » (c’était le cas de le dire !). Quelques théoriciens avaient élaboré avant lui des embryons d’idées tectoniques, mais sans les étayer. Il retourne plusieurs fois au Groenland pour installer sur la calotte glaciaire trois stations séparées de plusieurs centaines de kilomètres : une à l’ouest, près de la côte ; une autre beaucoup plus à l’est ; la dernière au milieu de l’inlandsis, à 3 000 mètres d’altitude, nommée Eismitte, ce qui signifie « au milieu des glaces » afin de démontrer par des mesures géodésiques la dérive de l’île vers l’Ouest.

Mais en 1930, en revenant d’Eismitte, surpris par des températures extrêmement basses, il décède, sans le savoir tout près des roches les plus anciennes du monde. Il a 50 ans. On retrouve son corps gelé dans son sac de couchage l’année suivante. La péninsule près de laquelle il est mort, près d’ Uummannaq, un petit village d’un millier d’habitants, au large duquel nous sommes passés, porte maintenant son nom.

Aurait-il reçu le Prix Nobel s’il avait survécu ? Cela aurait été la moindre des choses. Pourtant rien n’est moins sûr. Car il faudra plusieurs décennies avant que sa percée géniale ne s’impose définitivement.

Jean-Paul Curtay.

Pour en savoir plus :

Société française d’exobiologie  + Un berceau de la vie primitive sur Terre
G Gabriel, Histoire de la tectonique.
Vuibert, Des spéculations sur les montagnes à la tectonique des plaques.

Jean-Paul Curtay, a commencé par être écrivain et peintre, au sein du Mouvement Lettriste, un mouvement d’avant-garde qui a pris la suite de Dada et du surréalisme, avant de faire des études de médecine, de passer sept années aux États-Unis pour y faire connaître le Lettrisme par des conférences et des expositions, tout en réalisant une synthèse d’information sur une nouvelle discipline médicale, la nutrithérapie, qu’il a introduite en France, puis dans une dizaine de pays à partir des années 1980. 

Il est l’auteur de nombreux livres, dont Okinawa, un programme global pour mieux vivre, le rédacteur de www.lanutritherapie.fr, et continue à peindre et à voyager afin de faire l’expérience du monde sous ses aspects les plus divers.

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