Partager la publication "Sans papiers, nous avons créé un potager collaboratif ouvert à tous"
Humana Terre a été créé fin 2011 par un collectif de sans-papiers. Le problème, lorsqu’on est sans papiers, c’est qu’on n’a accès à aucun des droits fondamentaux. Depuis 2009, nous attendions une réponse à notre demande de régularisation et nous nous sommes dit : pourquoi ne pas entreprendre quelque chose dès maintenant ? Commencer un projet sans attendre d’avoir des papiers était pour nous un moyen de briser une exclusion sociale.
En tant que sans-papiers nous n’avions ni droit à une formation, ni accès à l’administration. Nous avons décidé de nous présenter à l’ASBL (Association Sans But Lucratif) Samenleving About Meeting.
Nous étions 13 à avoir déposé des dossiers de régularisation, certains avaient des diplômes universitaires, d’autres une expérience dans tel ou tel domaine. Samenleving a accepté de nous aider à la fois par un encadrement des personnes et par un accompagnement administratif.
Étant donné les savoir-faire des 13 personnes du groupe, nous avons cherché sur le terrain ce que nous pourrions faire et avons visité des projets existants pour nous inspirer de leur expérience, leur expertise, leurs difficultés.
Par hasard un membre de Samenleving qui travaille à l’Université libre de Bruxelles connaissait l’existence, sur un terrain de l’université, d’un verger sauvage délaissé, et nous a suggéré d’en faire quelque chose. Il fallait prendre une décision.
Après une visite sur place, 10 personnes du groupe se sont désistées. Les trois qui restaient ont relevé le défi et décidé de cultiver le terrain.
Un projet florissant
Le terrain a été divisé en trois parties, une pour l’agriculture bio, une pour les activités de sensibilisation, et la dernière, qu’on a laissée sauvage avec entre autres des lapins, pour la biodiversité.
Je me souviens de la Marche Européenne des Sans-Papiers et des Migrants qui, en 2013, est passée par le jardin. Aussi d’un festival de deux jours – un jour avec les écoles, l’autre tous publics – qui s’est déroulé sur le thème du droit à l’alimentation.
Le festival Liberté qui se tient chaque année à Bruxelles a sélectionné notre jardin et a donné lieu à des contacts et à des collaborations. Des centres et des associations travaillant avec des personnes psychiquement fragiles nous ont rendu visite et ont proposé une utilisation thérapeutique du jardin.
Un potager multiculturel
Nous formons un groupe varié avec des échanges de connaissances, des échanges culturels, une grande richesse humaine. En fait, on s’aperçoit que ce qu’on appelle les différences culturelles ne sont que des préjugés, des trucs des politiques.
Au sein du groupe, aujourd’hui, les situations diffèrent : certains ont été régularisés, dont l’un travaille à Samenleving ; certains ont reçu une réponse favorable et sont en attente ; d’autres encore ont juste déposé un dossier ; d’autres enfin n’ont pas encore fait de demande.
Jusqu’à présent, Humana Terre était un collectif mais depuis que trois de ses membres ont leurs papiers, une ASBL est en cours de création, avec compte bancaire, ce qui va aider sur le plan administratif.
Dès le départ, l’idée était d’ouvrir le jardin à tout le monde, avec ou sans papiers. Le message que nous cherchons à transmettre est que la lutte ne passe pas uniquement par le politique.
Briser l’exclusion
Certes, on ne l’a pas complètement brisée, mais on a au moins établi des contacts, on a eu le droit grâce à Humana Terre à quelques formations partielles. On a acquis des connaissances dans le domaine de l’agriculture, dans celui de la création d’activités. Et ce qu’on a appris sur les grands problèmes du réchauffement climatique et de la pollution, on l’a transmis aux enfants des écoles.
Nous disposons d’une cuisine et nous sommes en train de construire une salle de réunion ; il y a des serres, un poulailler. Chacun apporte ce qu’il peut. Et c’est ainsi qu’on a acquis la plupart du matériel. Il y a des petites subventions mais l’essentiel provient de la récup’ et de la solidarité.
Le problème de ce qu’on allait faire des légumes s’est posé dès la première récolte : lorsque tu es précarisé par ton statut administratif, si tu veux vendre, tu es obligé de contacter l’administration. Or, il n’y a pas moyen. Tu es de fait exclu de la commercialisation.
On a donc essayé de commercialiser via des activités. Il y a eu le week-end salades, on prépare des salades avec de quoi manger, pour un prix symbolique. Lorsqu’il y eu beaucoup de légumes, on s’est dit : pourquoi ne pas faire un week-end couscous. Au moment des choux, un week-end soupe. On a essayé à travers ces événements de vendre et même de contacter un public, maintenant on a un réseau.
Un travail collectif
Il n’y a pas de chef, les décisions sont collectives. Chacun vient travailler en fonction de sa disponibilité. Certains, trois à quatre fois par semaine, d’autres deux fois. On essaie que les informations passent à travers tout le groupe. Il y a un tableau dans le jardin : si quelqu’un a commencé un travail, on le note sur le tableau et celui qui vient après sait ce qu’il faut faire.
Je dis ça, car maintenant il y a trois autres projets avec le soutien de Humana Terre : Collect’Actif, qui fait de la récup’ alimentaire et distribue jusqu’à deux tonnes de nourriture par semaine, CollectPallette, qui récupère du bois, et un troisième en cours de création, TV Sans Papiers.
Avant, on n’entendait jamais parler de sans-papiers cherchant à créer un projet, on considérait que ce qu’un sans-papiers cherche avant tout, c’est d’obtenir des papiers. Les gens voient que même sans papiers les choses sont possibles. Il y a maintenant des sans-papiers qui essaient d’aider des avec-papiers en situation précaire.
Récit extrait de…
198 pages, 20,50 €, à commander en librairie ou sur www.editions-harmattan.fr
À propos du collectif Adret
Il ne semblait plus possible de continuer la recherche sans s’interroger sur la folie du productivisme et sur le devenir des sociétés.
Aujourd’hui, Adret compte une dizaine de membres : chercheurs, climatologues, sociologues, de la génération 1930 à la génération 1990.