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Sans papiers, nous avons créé un potager collaboratif ouvert à tous

RÉCIT. Par Mohammed, l’un des créateurs du collectif Humana Terre.

Le 16/10/2017 par WeDemain
(Crédit : Humana Terre)
(Crédit : Humana Terre)

Mohammed vit à Bruxelles. Youssef, Abdel Jabar et lui ont créé le collectif Humana Terre en 2011, en cours pour devenir une Association Sans But Lucratif. Ce collectif de sans-papiers a lancé un potager bio partagé où se déroulent également des évènements avec des écoles, des festivals ou d’autres associations.

Humana Terre a été créé fin 2011 par un collectif de sans-papiers. Le problème, lorsqu’on est sans papiers, c’est qu’on n’a accès à aucun des droits fondamentaux. Depuis 2009, nous attendions une réponse à notre demande de régularisation et nous nous sommes dit : pourquoi ne pas entreprendre quelque chose dès maintenant ? Commencer un projet sans attendre d’avoir des papiers était pour nous un moyen de briser une exclusion sociale.
 
En tant que sans-papiers nous n’avions ni droit à une formation, ni accès à l’administration. Nous avons décidé de nous présenter à l’ASBL (Association Sans But Lucratif) Samenleving About Meeting.
 
Nous étions 13 à avoir déposé des dossiers de régularisation, certains avaient des diplômes universitaires, d’autres une expérience dans tel ou tel domaine. Samenleving a accepté de nous aider à la fois par un encadrement des personnes et par un accompagnement administratif.
 
Étant donné les savoir-faire des 13 personnes du groupe, nous avons cherché sur le terrain ce que nous pourrions faire et avons visité des projets existants pour nous inspirer de leur expérience, leur expertise, leurs difficultés.
 
Par hasard un membre de Samenleving qui travaille à l’Université libre de Bruxelles connaissait l’existence, sur un terrain de l’université, d’un verger sauvage délaissé, et nous a suggéré d’en faire quelque chose. Il fallait prendre une décision.
 
Après une visite sur place, 10 personnes du groupe se sont désistées. Les trois qui restaient ont relevé le défi et décidé de cultiver le terrain.

Un projet florissant

Le projet, qui a démarré sans aucun financement, en est aujourd’hui à sa quatrième année et comporte deux volets : d’une part de l’agriculture bio, d’autre part des activités de sensibilisation aux problèmes actuels comme le réchauffement climatique et la pollution.
 
Le terrain a été divisé en trois parties, une pour l’agriculture bio, une pour les activités de sensibilisation, et la dernière, qu’on a laissée sauvage avec entre autres des lapins, pour la biodiversité.

Fin 2012, on a commencé à désherber afin de créer un potager. En même temps on a contacté des écoles et des associations pour leur proposer des activités. Évènements, activités, journées portes ouvertes se sont succédés.
 
Je me souviens de la Marche Européenne des Sans-Papiers et des Migrants qui, en 2013, est passée par le jardin. Aussi d’un festival de deux jours – un jour avec les écoles, l’autre tous publics – qui s’est déroulé sur le thème du droit à l’alimentation.
 
Le festival Liberté qui se tient chaque année à Bruxelles a sélectionné notre jardin et a donné lieu à des contacts et à des collaborations. Des centres et des associations travaillant avec des personnes psychiquement fragiles nous ont rendu visite et ont proposé une utilisation thérapeutique du jardin.

Un potager multiculturel

Le groupe qui avait commencé avec trois personnes a été rejoint par d’autres. Aujourd’hui nous sommes 10. Quatre marocains : Youssef, Abdel Jabar, Mohammed Marzuki et moi ; quatre Belges : Kaat, Kimo, Roben et Gwendoline ; Bakari du Burkina Faso ; et Ismaël qui est turc.
 
Nous formons un groupe varié avec des échanges de connaissances, des échanges culturels, une grande richesse humaine. En fait, on s’aperçoit que ce qu’on appelle les différences culturelles ne sont que des préjugés, des trucs des politiques.

Quand tu es sur le terrain avec les gens, tu dépasses très vite ces préjugés et tu te rends compte qu’il n’y a pas de différences en réalité, que ce ne sont que des idées que les médias font circuler et qui créent cette division sur laquelle repose en partie le système actuel.
 
Au sein du groupe, aujourd’hui, les situations diffèrent : certains ont été régularisés, dont l’un travaille à Samenleving ; certains ont reçu une réponse favorable et sont en attente ; d’autres encore ont juste déposé un dossier ; d’autres enfin n’ont pas encore fait de demande.
 
Jusqu’à présent, Humana Terre était un collectif mais depuis que trois de ses membres ont leurs papiers, une ASBL est en cours de création, avec compte bancaire, ce qui va aider sur le plan administratif.
 
Dès le départ, l’idée était d’ouvrir le jardin à tout le monde, avec ou sans papiers. Le message que nous cherchons à transmettre est que la lutte ne passe pas uniquement par le politique.

Briser l’exclusion

Nous avons été encadrés par un collectif, SP-médic, ce qui a été pour nous l’occasion de mener une lutte politique, mais nous nous sommes aussi dit : pourquoi ne pas en même temps essayer de lutter autrement, à travers un projet qui nous permette d’être acteurs, de faire des rencontres, de nous former, de briser l’exclusion.
 
Certes, on ne l’a pas complètement brisée, mais on a au moins établi des contacts, on a eu le droit grâce à Humana Terre à quelques formations partielles. On a acquis des connaissances dans le domaine de l’agriculture, dans celui de la création d’activités. Et ce qu’on a appris sur les grands problèmes du réchauffement climatique et de la pollution, on l’a transmis aux enfants des écoles.

Nous visons pour l’année prochaine la permaculture. Pour le moment, nous pratiquons l’agriculture bio. Nous avions quelques notions d’agriculture mais la plus grande partie de l’apprentissage s’est faite sur le terrain, par la pratique de la méthode canadienne. Chacun apporte son expérience, complétée par les quelques petites formations qu’on a pu suivre.
 
Nous disposons d’une cuisine et nous sommes en train de construire une salle de réunion ; il y a des serres, un poulailler. Chacun apporte ce qu’il peut. Et c’est ainsi qu’on a acquis la plupart du matériel. Il y a des petites subventions mais l’essentiel provient de la récup’ et de la solidarité.
 
Le problème de ce qu’on allait faire des légumes s’est posé dès la première récolte : lorsque tu es précarisé par ton statut administratif, si tu veux vendre, tu es obligé de contacter l’administration. Or, il n’y a pas moyen. Tu es de fait exclu de la commercialisation.
 
On a donc essayé de commercialiser via des activités. Il y a eu le week-end salades, on prépare des salades avec de quoi manger, pour un prix symbolique. Lorsqu’il y eu beaucoup de légumes, on s’est dit : pourquoi ne pas faire un week-end couscous. Au moment des choux, un week-end soupe. On a essayé à travers ces événements de vendre et même de contacter un public, maintenant on a un réseau. 

Un travail collectif

Pour chacun des membres du collectif, c’est une activité alternative. Avec le statut ASBL, il y a moyen d’avoir des subventions et de décider d’une éventuelle rémunération. Pour l’instant le projet tient par une solidarité horizontale.
 
Il n’y a pas de chef, les décisions sont collectives. Chacun vient travailler en fonction de sa disponibilité. Certains, trois à quatre fois par semaine, d’autres deux fois. On essaie que les informations passent à travers tout le groupe. Il y a un tableau dans le jardin : si quelqu’un a commencé un travail, on le note sur le tableau et celui qui vient après sait ce qu’il faut faire. 

C’est un exemple pour motiver les sans-papiers et les personnes précarisées : qu’ils n’attendent pas que la solution vienne toujours de l’administration mais qu’ils prennent leur destin entre leurs mains, qu’ils essaient de faire quelque chose et de motiver d’autres personnes.
 
Je dis ça, car maintenant il y a trois autres projets avec le soutien de Humana Terre : Collect’Actif, qui fait de la récup’ alimentaire et distribue jusqu’à deux tonnes de nourriture par semaine, CollectPallette, qui récupère du bois, et un troisième en cours de création, TV Sans Papiers.
 
Avant, on n’entendait jamais parler de sans-papiers cherchant à créer un projet, on considérait que ce qu’un sans-papiers cherche avant tout, c’est d’obtenir des papiers. Les gens voient que même sans papiers les choses sont possibles. Il y a maintenant des sans-papiers qui essaient d’aider des avec-papiers en situation précaire.

Récit extrait de…

Même si on pense que c’est foutu, Adret, L’Harmattan.
198 pages, 20,50 €, à commander en librairie ou sur www.editions-harmattan.fr

À propos du collectif Adret

Le collectif Adret s’est formé il y a une quarantaine d’années autour d’une équipe de chercheurs du laboratoire de physique théorique de la faculté d’Orsay, dans le sillage des grandes crises pétrolières, du rapport du Club de Rome sur l’épuisement des ressources, de la mouvance écologiste naissante, de la remise en cause du progrès technoscientifique par des figures telles que le mathématicien Alexandre Grothendieck.

Il ne semblait plus possible de continuer la recherche sans s’interroger sur la folie du productivisme et sur le devenir des sociétés. 

Aujourd’hui, Adret compte une dizaine de membres : chercheurs, climatologues, sociologues, de la génération 1930 à la génération 1990.

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