Partager la publication "Autonomie alimentaire : Albi, les rêves plus gros que le ventre"
Et si toute cette histoire d’autonomie alimentaire à Albi n’avait été qu’un coup de pub ? Jean-Michel Bouat, adjoint au maire (parti radical) en charge de l’agriculture urbaine, se joue presque de cette formule lancée en 2014 et assume “en avoir fait un slogan”. “Si nous avions annoncé : “Une ville moyenne va travailler sur la relocalisation de son alimentation”, ça aurait fait un peu titre de doctorat, non ?”
Non content, à l’époque, de cette décision inédite en France et de la formule choc employée, l’élu fixe même une échéance : d’ici à 2020, les 52 000 habitants d’Albi pourraient se nourrir exclusivement de nourriture produite dans un rayon de 60 km autour de la préfecture du Tarn.
Le pari est gagné : l’annonce est relayée par de nombreux médias nationaux (dont WE DEMAIN, cf. n° 15). Mais sur le terrain, en 2020, le bilan est tout autre. Selon le cabinet Utopies, l’autonomie alimentaire albigeoise plafonnerait à 1,57 % ! Rome ne s’est pas faite en un jour, de même que l’autosuffisance d’une ville moyenne française ne sera jamais atteinte le temps d’un mandat municipal. “Moi, mon temps politique, c’était 2020, lors du renouvellement de mon mandat”, justifie Jean-Michel Bouat, qui a été finalement réélu. L’homme politique plaide en faveur de l’action. “Je m’étais aperçu que lorsque les élus ne veulent pas faire quelque chose, ils commandent une étude. J’ai dit au maire : “On ne fait pas d’étude, on achète des terres et on verra”.” Le bassin albigeois devenait alors un terrain d’expérimentation.
Loin de mener à la révolution attendue, s’ensuit un défrichage de six ans. L’implantation des premiers “key holes”, potagers entretenus par les riverains, mis à la disposition de chacun pour la cueillette suivant le modèle de l’association des Incroyables Comestibles (1), fait l’objet d’arrêtés municipaux inédits. “Nous n’avions pas de modèle, c’est quasi de l’espace public que l’on privatise”, explique Jean-Michel Bouat.
Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN N°35, paru en août 2021. Un numéro toujours disponible sur notre boutique en ligne.
La mairie rédige en 2017 un Plan alimentaire territorial (PAT) et 19 fiches-actions qui détaillent les mesures pour atteindre l’objectif promis d’ici à 2020. Un marché de produits locaux se tient désormais une fois par semaine dans la ville. Pour l’installation de nouveaux producteurs, la mairie préempte 14 hectares (dont 2 hectares de bois) dans la zone anciennement maraîchère de Canavières, à dix minutes du centre-ville et qui s’étend sur 73 hectares.
Les terrains sont mis à disposition gratuitement pendant deux ans à des nouveaux maraîchers. Pour l’instant, seuls trois maraîchers y sont installés, dont un qui l’était avant. Un chantier d’insertion qui comptera 5 emplois aidés sur 4,5 hectares de maraîchage s’y installe à peine et devrait produire 30 tonnes de fruits et légumes cette première année. Et, à terme, “60 à 70 tonnes” pour la cuisine centrale. Celle-ci, qui a été rebâtie pour produire 3 500 repas par jour pour les écoles et les Ehpad, comprend une légumière, une unité spécifique pour transformer, cuisiner les légumes produit localement.
Problème : la Communauté de communes albigeoise ne compte que 1 223 hectares agricoles. La surface suffira-t-elle ? Pour l’association Terres de liens (2), on est loin du compte. Celle-ci estime qu’il aurait fallu 18 000 hectares pour nourrir tous les habitants. Et la vente par l’hôpital en 2018 de 8 hectares de terres agricoles, à deux pas de la rocade, pour y installer une grande surface de bricolage, n’y a pas contribué. “Je ne me suis pas opposé à la vente, confirme Jean-Michel Bouat. Je ne pouvais pas mettre 3,6 millions d’euros dans 8 hectares de terres agricoles”
En six ans, les espoirs des plus enthousiastes ont été douchés puis se sont mués, chez certains, en une volonté d’agir. “Faisons nous-mêmes, l’autonomie alimentaire est l’affaire de tous“, lance Pascal Henry, membre de Terres citoyennes albigeoises; une association créée en 2018. Celle-ci qui a constitué une société coopérative d’intérêt collectif a collecté 225 000 euros auprès de 138 sociétaires; y compris des collectivités. Et a fait l’acquisition de 16 hectares de terres maraîchères à Lescure-d’Albigeois, à 5 km d’Albi. Ces champs seront loués à des néomaraîchers d’ici à deux ans.
“Les actions de la mairie n’étaient pas au niveau de ce qui était annoncé. C’était une bonne idée [de vouloir rendre Albi autosuffisance, ndlr]; mais il y avait un manque de transpiration derrière”, commente Wilfried Croses; désormais membre de l’association mais qui tient à s’exprimer “à titre personnel”. Chantiers participatifs, événements autour de la relocalisation de l’agriculture, mise en place d’une amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) et même d’un supermarché coopératif … Les bénévoles veulent entamer une “réflexion systémique” sur ce qu’ils préfèrent appeler la “résilience alimentaire”. C’est-à-dire toute une filière alimentaire locale qui “permettrait de résister aux crises”. L’enjeu fait écho aujourd’hui après trois confinements nationaux et la découverte de l’importance de consommer local.
(1) Originaires d’Angleterre, les Incroyables Comestibles sont un mouvement participatif citoyen de bien commun.
(2) Terre de liens est né en 2003 de la convergence de plusieurs mouvements liant l’éducation populaire; l’agriculture biologique et biodynamique; la finance éthique; l’économie solidaire et le développement rural.
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