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Françoise Nyssen : « Agir pour le vivant, c’est travailler ensemble pour imaginer des possibles »

Du 22 au 28 août 2022 aura lieu le festival Agir pour le vivant, porté par la maison d’édition Actes Sud. À cette occasion, WE DEMAIN s’est entretenu avec Françoise Nyssen, présidente du directoire, et Anne-Sylvie Bameule, directrice du département Arts, Nature & Société.

Le 02/08/2022 par Joséphine Maunier
cerf rouge
Un cerf rouge européen avec son petit. Crédit : Thorsten Spoerlein / Shutterstock.
Un cerf rouge européen avec son petit. Crédit : Thorsten Spoerlein / Shutterstock.

Pour cette troisième édition du festival Agir pour le vivant, près de 150 personnalités pluridisciplinaires échangeront en faveur de la préservation du vivant du 22 au 28 août 2022. Ateliers, débats, rencontres… pendant une semaine, auteurs, scientifiques, militants, artistes, acteurs du territoire mais aussi dirigeants d’entreprises se réuniront à Arles. Objectif : défendre des valeurs communes. Et tenter d’apporter des réponses à l’un des principaux enjeux de notre époque : la préservation du vivant. Ainsi que le rapport que nous entretenons avec lui.

La maison d’édition Actes Sud, à l’initiative du festival aux côtés de Comuna [Société qui conçoit et développe des projets culturels et environnementaux, NDLR], défend cette préservation du vivant à travers ses collections et choix éditoriaux. Lancée en 2017, la collection Mondes Sauvages s’ancre dans cette dynamique du partage à mi-chemin entre littérature et travaux scientifiques. Françoise Nyssen, présidente du directoire, et Anne-Sylvie Bameule, directrice du département Arts, Nature & Société, ont répondu à nos questions.

WE DEMAIN : Comment est né le festival Agir pour le vivant ?

Françoise Nyssen en 2019 chez Actes Sud. Crédit : Actes Sud.
Françoise Nyssen en 2019 chez Actes Sud. Crédit : Actes Sud.

Françoise Nyssen : Le festival est le fruit de l’engagement de la maison Actes Sud et de son travail éditorial autour des collections Mondes Sauvages et Voix de la Terre. Mais aussi plus généralement de ses acteurs. Agir pour – et avec – le vivant est au coeur de notre philosophie, notamment avec la création du « Domaine du possible »; C’est un ensemble de projets porteurs – une école, des lieux de rencontre, un cinéma, une librairie, une ferme – qui sont liés et qui résonnent autour de la question du vivant. Comme la défense de nos territoires, de nos lieux de vie, de la nature, des sols et de la transition environnementale, Actes Sud cherche à repenser ces questions, notamment avec l’émergence de ce festival. C’est un espace d’échange pluridisciplinaire qui, comme la maison d’édition, explore des champs très variés pour essayer de sortir de l’impasse. Comme l’a si bien défini Baptiste Morizot, “Nous ne sommes que vivants parmi les vivants”. Nous explorons ces questions-là et travaillons ensemble pour imaginer des possibles.

Anne-Sylvie Bameule. Crédit : DR.
Anne-Sylvie Bameule. Crédit : DR.

Anne-Sylvie Bameule : Ce festival est à la fois le fruit d’une rencontre et le désir de rencontre. Fruit d’une rencontre avec Alain Thuleau, directeur de Comuna. Lui aussi avait envie de créer un événement autour de ces questions-là. Leur traitement devient toujours plus urgent et nous voulions proposer ensemble un nouveau format pour y répondre. Par ailleurs, de nombreux auteurs d’Actes Sud étaient demandeurs d’un espace d’échange interdisciplinaire. Ils souhaitaient que scientifiques, artistes et acteurs du territoire puissent dialoguer ensemble. Tout cela a permis de créer le terreau sur lequel repose le festival.

Comment un festival et forum de discussion comme Agir pour le vivant peut insuffler un nouveau rapport au vivant ?

F.N. : Cela fait partie des actions qu’il faut mener. Et aujourd’hui la préservation du vivant doit être une préoccupation commune et plus largement traitée. Les livres, les rencontres, les discussions avec les auteurs, le travail de la presse… tout cela participe à mettre ces questions au coeur du débat. C’est un système de boucles de rétroaction permanentes : les livres créent des questions qui font émerger des débats qui mènent à de nouveaux livres… Le festival s’inscrit dans cette dynamique de l’échange.

A-S.B. : Dans notre façon de penser notre métier d’éditeur, ce festival est une démarche complémentaire. Pour les lecteurs, participer à des événements où les auteurs racontent leurs pensées et leur processus d’écriture rend les ouvrages plus accessibles. Notamment à ceux qui ne vont pas en librairie. Notre rôle est d’ouvrir le plus de portes possibles et le festival y concourt.

Comment s’organise le festival ? Quels sont les retours des précédentes éditions ?

F.N. : C’est organisé de façon assez intuitive : chaque programmation se complète. On commence avec « Un café avec » à 9 heures, puis il y a des tables rondes préparées avec des modérateurs et les ateliers se poursuivent jusque dans la soirée. Les journées sont divisées en thématiques, c’est aussi ce qui séduit les participants. Ça se ressent notamment dans la quantité et la qualité des questions du public; c’est toujours un plaisir de percevoir leur implication.

A-S.B. : Dès la première édition, une forme d’apaisement s’est fait ressentir. C’est un sentiment partagé par bon nombre des participants et ça fait du bien! Chacun vient avec son lot de questions pour arriver à réfléchir collectivement. Cet apaisement provient du sentiment de communauté qui émerge lors de cette semaine. Ce n’est pas une communauté qui pense absolument pareil, mais c’est une communauté dans la recherche de réponses, le débat et l’action. Par exemple, lors d’une table ronde sur la question du réensauvagement, on joint les pensées d’un philosophe, d’un agriculteur et d’un naturaliste. Chacun apporte son point de vue mais tous se complètent. Par cette idée de décentrement – regarder le sujet que l’on porte mais en considérant les réalités des autres – se créé une dynamique riche dans l’élaboration de la pensée.

De nombreux auteurs de la collection Mondes Sauvages sont des habitués du festival. Quelle est l’identité de cette collection ?

A-S.B. : La collection s’est définie par son histoire et la façon dont elle s’est créée. Jacques Perrin et Stéphane Durand nous ont proposé de travailler sur la partie éditoriale du film Les Saisons. Ce long-métrage qui retrace les 20 000 ans d’histoire de relation entre les hommes et le sauvage. On s’est rendu compte que ce champ de la connaissance du vivant était assez peu couvert dans le domaine littéraire. Parallèlement émergeait dans le monde anglo-saxon un nouveau courant d’éthologie qui n’observait plus le vivant de façon figée, mais en immersion dans le milieu naturel. En se donnant l’autorisation d’interagir avec le vivant, les scientifiques ont révolutionné l’éthologie. Ces observations et interactions avec le milieu et les écosystèmes offrent des connaissances beaucoup plus intimes, profondes et vivantes.

Cette collection Mondes Sauvages donne par ailleurs une dimension éminemment littéraire aux travaux des auteurs scientifiques. De nombreux auteurs et scientifiques ont un jour dans leur carrière dû faire un choix entre la littérature et la science. Ils peuvent ainsi réconcilier ces deux domaines en associant leurs capacités littéraires et à leurs connaissances scientifiques. À travers l’art des mots, la collection rassemble et est source de partage. Être un chêne de Laurent Tillon est par exemple un livre clairement scientifique qui raconte toute l’évolution d’un chêne pendant 700 ans. Mais en même temps, c’est une histoire intime et pleine d’amour avec cet arbre qui a su conquérir de nombreux lecteurs. Là est toute la force de cette collection.

Comment la littérature permet d’agir en faveur du vivant ?

A-S.B. : La littérature, par le plaisir que procure l’art des mots – et c’est là tout le génie des auteurs – nous aide à lire le monde en ayant la capacité de le comprendre. Proposer à des scientifiques de s’adresser au grand public, c’est rendre accessible des sujets plus complexes. La littérature donne des clés de lecture du monde dans lequel on vit pour que chacun puisse gagner en autonomie dans sa propre réflexion. Les mots sont tout simplement incontournables dans ce processus.

F.N. : C’est aussi une façon de connaître l’autre. Le roman comme la fiction ou les essais permettent d’imaginer ce que les autres ressentent et de comprendre ce qui nous entoure. C’est un vecteur extrêmement puissant, au même titre que le cinéma. Il est urgent que nous donnions des récits de phénomènes réels pour la palier la méconnaissance.

Quelles nouvelles parutions sont prévues à la rentrée dans la collection Mondes Sauvages ?

A-S.B. : Deux ouvrages sont prévus pour l’automne. Il y a le roman Héliosphéra, fille des abysses de Wilfried N’sondé qui raconte une histoire d’amour entre le plancton végétal et le plancton animal. Wilfried N’sondé et Stéphane Durand, qui ont rédigé ensemble la toute première lettre d’invitation au festival Agir pour le Vivant, partagent des domaines et des terres communes qu’ils ont eu envie d’explorer. Ils sont partis en 2020 au Chili pour une résidence scientifique et de cette rencontre est né le projet. C’est évidemment un roman mais il a été relu par les scientifiques de la goélette Tara lors de cette résidence. Ce livre, à travers la fiction, va être porteur de toute la connaissance autour du plancton.

Le second ouvrage est Sangliers, géographies d’un animal politique de Raphaël Mathevet et Roméo Bondon. On fait face à une quantité phénoménale d’expansion des sangliers aujourd’hui en France. Et cet animal nourrit une grande fascination mais aussi les plus grandes haines. À travers ce livre, la collection vient se positionner comme elle a pu le faire avec Au nom des requins de François Sarano. Pour mieux percevoir le vivant et le règne animal, il faut mettre en relation les différents récits, humains certes, mais aussi raconter ce récit du point de vue de l’animal. La collection Mondes Sauvages s‘attache précisément à ce point.

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