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John Ramey : « Être survivaliste me donne une vraie tranquilité d’esprit »

Il a été entrepreneur à succès dans la Silicon Valley. Il fut conseiller en innovation de Barack Obama lorsqu’il était président des États-Unis. Il a travaillé pour le Département de la Défense américain. John Ramey aurait pu continuer à cumuler les millions et vivre dans les hautes sphères du pouvoir. Mais, en 2018, il a décidé de tout plaquer pour partager ses trucs et astuces de survivaliste auprès du plus grand nombre.

Son site, The Prepared, « les préparés » en anglais, compte des millions de vues chaque mois. Loin de la paranoïa et des idées extrêmes, on y apprend à survivre dans la nature, à faire des réserves en cas de catastrophe naturelle ou encore à purifier de l’eau. Il a aussi soudé une véritable communauté autour de lui, qui se partagent leurs meilleurs conseils pour affronter toutes les éventualités. Dans l’épisode « S’adapter » de la série-documentaire Un monde nouveau de Cyril Dion, que vous pouvez découvrir en intégralité ci-dessous, il intervient pour parler de son quotidien. WE DEMAIN l’a interviewé pour en savoir plus sur sa démarche assez unique.

WE DEMAIN : Qu’est-ce qui vous a fait passer d’une carrière à la Maison Blanche au survivalisme à plein temps ? Était-ce une évolution lente ou une décision soudaine ?

John Ramey : Ce n’est pas que mon passage à la Maison Blanche qui m’a fait sauter le pas, mais aussi mon parcours dans la Silicon Valley. J’ai fondé plusieurs start-up et créé notamment un nouveau marché qui est passé de 0 à 10 milliards de dollars par an. Et je suis un business angel. Mon cheminement a donc été la Silicon Valley, puis la Maison Blanche et enfin le lancement du site theprepared.com. C’est un parcours unique qui n’était pas prévu mais, avec le recul, n’est pas un accident.

De nombreuses personnes deviennent survivalistes suite à un événement précis et soudain, comme une catastrophe naturelle. Mais mon chemin a été une évolution lente, fruit de la somme de toutes mes expériences. Par exemple, j’ai travaillé dans plus de 30 pays avec divers gouvernements, ONG, etc., leur enseignant comment être meilleur dans la résolution de problèmes à grande échelle. J’ai par exemple aidé l’écosystème tech/startup français à s’améliorer et à gagner sa place sur la scène mondiale (ce qui, je suis heureux de le dire, se passe bien !).

Le fait d’avoir vu comment étaient gérés le gouvernement américain, le Pentagone et le Département de la Défense vous a-t-il incité à devenir survivaliste ?

Oui. Mais ce n’est pas uniquement les États-Unis. J’ai vu les mêmes problèmes sous-jacents partout dans le monde. Parce que nos problèmes sont des problèmes humains, pas des problèmes nationaux. Presque tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés peuvent être attribués à des défauts dans notre « cerveau de singe ». Et c’est vrai indépendamment de la race ou de la culture.

Même si je connais depuis longtemps les problèmes existentiels comme le changement climatique et l’érosion de la sécurité, j’avais toujours l’espoir que, quelque part, il y aurait une salle pleine de personnes intelligentes et avec du pouvoir, travaillant sur ces problèmes. Mais quand je me suis frayé mon chemin dans ces salles aux niveaux les plus élevés, ce que j’ai vu et entendu a anéanti tout espoir qui me restait. Comme on dit, « ne rencontrez jamais vos héros ».

Conseilleriez-vous à n’importe qui sur la planète de devenir survivaliste ou est-ce un sujet qui concerne certains pays en particulier ?

Se préparer, être survivaliste est quelque chose qui doit nous concerner toutes et tous. Quel que soit l’endroit où vous vivez, vous avez besoin d’un accès fiable à l’air, à l’eau, à la nourriture, à un abri, aux soins de santé, à la communauté, etc. Il faut comprendre que le survivalisme ne concerne pas seulement les catastrophes majeures ou une guerre. Le survivalisme concerne tout ce qui peut perturber votre vie, même s’il s’agit de quelque chose de personnel comme un accident de voiture, une crise cardiaque ou une perte d’emploi soudaine.

Bien sûr, quelqu’un au Chili peut se sentir plus éloigné des événements actuels du monde (par exemple, l’Ukraine, Taïwan, l’Iran, la Corée du Nord). Mais n’importe qui, n’importe où, peut vivre une perturbation majeure dans sa vie. Autant se préparer au cas où.

Quand on évoque les survivalistes, notamment américains, on a souvent en tête quelqu’un qui vote Trump, est antivax et profondément paranoïaque. Vous, au contraire, voulez être un « survivaliste rationnel ». Comment interagissez-vous avec ceux qui sont dans les extrêmes ?

Ce stéréotype est largement dépassé. Depuis une décennie, la communauté des survivalistes a énormément évolué et touche désormais toutes les couches de la population et tous les âges comme l’a montré une étude menée par Fema et Cornell University. Au moins 7 millions des 120 millions de foyers aux États-Unis sont des survivalistes.

La raison pour laquelle ce stéréotype demeure est due à un mauvais timing en quelque sorte : l’émergence des réseaux sociaux est survenue au même moment où un petit groupe d’extrémistes très vocaux s’est développé aux États-Unis. À la fin des années 2000, les gens qui détestaient Obama et croyaient à un complot à son sujet, par exemple, se sont avérés être les premiers à s’exprimer sur Youtube, Twitter, etc. Et puis les médias ont amplifié ces stéréotypes, par exemple l’horrible émission télévisée de National Geographic « Doomsday Preppers » [« Familles Apocalypse » en français, ndlr], qui se concentrait sur les personnes les plus folles qu’ils pouvaient trouver, parce que ça fait de l’audience… Mais ce genre de personnalités ne représente pas plus les Preppers [survivalistes, ndrl] que la famille Kardashian n’est emblématique des Californiens.

C’est qui vous a poussé à créer le site The Prepared ?

Tout à fait, je savais qu’il y avait bien plus de personnes saines et « normales » qui appartenaient au mouvement survivaliste qu’on voulait bien nous le faire croire. Mais ils préféraient ne pas en parler en raison de ces stéréotypes justement. Au fur et à mesure que ThePrepared.com a pris de l’ampleur et vu son audience grossir, des millions de personnes ont commencé à sortir du placard et rejoindre ouvertement la communauté.

Il y a plus de 20 millions de survivalistes aux États-Unis aujourd’hui. Et ils ont des profils aussi variés que le reste de la population, que ce soit en termes d’appartenance politique, d’éducation, de localisation géographique, etc. Par exemple, il y a 20 ans, moins de 5 % des survivalistes étaient des femmes. Elles forment aujourd’hui la moitié de la communauté. L’âge moyen était de 55 ans, il est aujourd’hui de 40 environ. Et le plus large segment de personnes qui consultent mon site a entre 25 et 35 ans ! La communauté habitait auparavant en grande majorité en milieu rural. Désormais, les urbains sont légèrement plus nombreux. Enfin, les survivalistes ont un niveau d’éducation et de revenus un peu plus élevé que la moyenne.

Comment interagissez-vous avec ceux qui sont paranoïaques ?

Nous n’interagissons pas ou très peu ! On ne peut pas discuter avec ces gens. Si la logique, l’éthique et les faits pouvaient les convaincre, ils auraient déjà évolué. Nous préférons nous assurer que ces fous restent en dehors de notre communauté afin que la majorité sensée ait un endroit pour apprendre et échanger. En aidant les gens plus rationnels à entrer dans notre groupe (et à rester en dehors des mauvaises communautés), au fil du temps, les gens sains d’esprit deviennent plus nombreux et dominent les fous.

Par exemple, si vous viviez dans un pays où la possession d’armes à feu était courante/légale, comme aux États-Unis, voudriez-vous que seuls les extrémistes fous aient des armes ? Si une guerre civile a lieu, je veux que les bonnes personnes puissent se battre contre ces extrémistes de droite. Donc, plutôt que de me concentrer sur le fait de rendre les fous moins fous – ce qui ne fonctionnera probablement pas – je me concentre plutôt sur comment faire contrepoids à ces extrémistes en incitant davantage de gens normaux à posséder des armes à feu.

C’est révélateur d’un problème plus large dans la société. Trop souvent, les minorités extrémistes entraînent les majorités silencieuses dans le chaos. Nous essayons trop de ramener ces personnes dans le bon chemin, alors qu’au lieu de cela, nous devrions nous concentrer sur cette majorité silencieuse. Comme on dit, « pour que le mal triomphe, seule suffit l’inaction des hommes de bien ». Le mal et les pires aspects de la nature humaine sont toujours présents – la question est de savoir si le bien se mobilise pour garder le mal à l’écart.

En tant que survivaliste, quelle est votre plus grande crainte ?

C’est la combinaison de trois choses et de la façon dont elles vont s’auto-amplifier : la crise climatique, les inégalités économiques et l’effondrement de la loi et de l’ordre avec la décomposition de nos institutions modernes, dont les gouvernements démocratiques. La combinaison de ces facteurs majeurs conduira à des choses comme l’instabilité géopolitique (ce que nous voyons déjà en Ukraine, par exemple), la dégradation des infrastructures en raison de la faiblesse des investissements, une migration de masse à une échelle sans précédent, la résurgence du populisme, des dictatures violentes, etc..

Tous ces problèmes sont dus à une faiblesse humaine intrinsèque. C’est comme la fable de la grenouille ébouillantée. On s’habitue peu à peu à des situations qu’on n’aurait jamais acceptées si elles étaient survenues subitement. Mais on préfère bien souvent des mensonges commodes à des vérités gênantes, l’attentisme à la réaction. C’est dans la nature humaine…

Comment gérez-vous mentalement le fait de toujours prévoir le pire au quotidien ?

Oui, se préparer au pire 24h/24 et 7j/7 est terrible pour la santé mentale. Mais qui a dit que les survivalistes ne pensaient qu’à ça ? C’est loin d’être vrai pour la majorité d’entre nous. Certains vont trop loin en effet et nous avons d’ailleurs créé un espace de discussion pour en parler et essayer de les aider à ne pas toujours voir le négatif partout. Nous l’avons d’ailleurs écrit dans notre guide du débutant : « Le survivalisme ne doit pas dominer votre vie ou la rendre trop pénible. Passez-y une quantité raisonnable de temps, d’argent et d’énergie. »

On me dit aussi que si je suis survivaliste, c’est que j’ai baissé les bras, que je ne crois plus en l’avenir. Je réponds que si vous prenez une mutuelle santé, ça ne veut pas dire que vous renoncez à mener une vie saine… Le survivalisme est comme une assurance pour la vie. Avoir une assurance ne signifie pas que vous avez abandonné ou que vous vous inquiétez constamment. C’est juste une assurance.

Devenir survivaliste vous a fait vous sentir mieux dans votre vie ?

Une des raisons de devenir survivaliste est d’acquérir une certaine tranquillité d’esprit. Vous savez que, quoi qu’il arrive ou presque, vous pourrez faire face. Je suis plus serein parce que je suis prêt à toute éventualité et que je connais la bonne attitude à adopter selon les différents cas de figure. J’ai moins d’anxiété face aux événements dans le monde parce que je suis préparé.

Donc, lorsqu’il est bien fait, le survivalisme est une chose très positive pour la santé mentale des gens. Cela s’est vu notamment en 2020 avec la pandémie de Covid. Face à un flux d’information constant de mauvaises nouvelles, savoir qu’elles étaient prêtes a aidé bon nombre de personnes. En disant « Hé, vous ne pourrez peut-être rien faire contre Poutine ou le changement climatique, mais voici des mesures spécifiques que vous pouvez prendre pour aider votre famille et vos voisins », cela transforme le négatif en positif. Certains lecteurs très anxieux nous ont même dit que The Prepared était la seule chose qui les empêchait de se suicider.

Je veux ne pas être une victime en attente à la merci des autres. Qu’il s’agisse d’un mauvais gouvernement, d’une mauvaise entreprise, etc. Je suis indépendant sur le plan de l’électricité, par exemple. Donc je n’ai pas à me soucier des entreprises cupides et corrompues qui sous-investissent dans les infrastructures critiques. J’ai aussi choisi la liberté de ne pas être un esclave salarié pour survivre, etc.

Vous vivez dans un lieu reculé du Colorado. Ce serait impossible pour vous de vivre en ville ?

Vous pouvez absolument vivre en ville et être malgré tout survivaliste. Mais c’est un peu plus difficile, principalement parce que vous avez moins d’espace personnel et que vous devez vivre au milieu d’autres personnes non préparées, dans une zone dense. Mais il existe de nombreux scénarios où être en ville est un avantage. Par exemple, les services d’urgence vont se concentrer là où ils peuvent faire le plus de bien, ce qui signifie aller là où il y a le plus de gens.

Être survivaliste aux États-Unis ou en Europe, c’est la même chose ?

Fondamentalement, oui. Il y a des différences mineures. Comme la façon dont les Américains doivent réfléchir différemment à leur retraite et à leurs dépenses de santé car ils n’ont pas la même couverture sociale dans ces domaines que les Européens. A contrario, il sera plus facile aux États-Unis de faire pousser de la nourriture car il y a plus de place par habitant. Ma femme est d’origine européenne et elle est toujours étonnée de tout l’espace que nous avons ici.

La série documentaire « Un Monde Nouveau » est disponible sur arte.tv du 8 novembre 2022 au 13 mai 2023. Elle sera diffusée à la télévision sur Arte, mardi 15 novembre 2022 à 20h50. Et sera disponible en DVD chez Arte Éditions le 22 novembre 2022.

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