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« Musique pour la planète » : à Gstaad, un festival au service de la nature

Gstaad, la station de ski de la Jet Set où les stars arrivent en avions privés devient l’été un haut lieu de la musique classique. Y faire un « festival vert », une gageure ?

Le 14/08/2023 par Gilles Trichard
Gstaad Menuhin Festival
Adieux, un concert pour choquer et faire réfléchir, loin des standards de la musique classique. Crédit : GT.
Adieux, un concert pour choquer et faire réfléchir, loin des standards de la musique classique. Crédit : GT.

Crée en 1957 par le célèbre violoniste, le Gstaad Menuhin Festival & Academy ne peut rester en dehors des préoccupations du moment. Un grand festival international, ça pollue beaucoup mais c’est aussi une caisse de résonnance pour inciter au changement.

C’est d’ailleurs le thème de la programmation 2023-2025 avec cette année un festival placé sous le signe de l’humilité face à la nature et aux bouleversements actuels. Le premier concert de la série « Musique pour la planète » s’est voulu résolument provocateur.

Un festival volontairement déconcertant

Dans l’immense tente du festival, la musique bat son plein quand soudain apparaît une vidéo sur la fonte des glaces suivie d’images choc sur la montée du niveau de la mer. Avec l’air espiègle  de celle qui a joué un drôle de  tour, la violoniste Patricia Kopatchinskaja jette un regard sur le public. Pieds nus,  elle veut incarner l’humilité, thème de cette édition 2023. C’est elle qui donne le la de cet événement autant sonore que visuel.

De nombreux spectateurs restent impassibles, d’autres dissimulent mal leur exaspération. Les visages figés en disent long. Sur l’œuvre de Beethoven, un sacrilège !  A l’écran, le puissant ruisseau de la Symphonie Pastorale n’est bientôt plus qu’un filet d’eau. Lorsqu’au dessus de l’orchestre défilent des dessins d’animaux représentant la marche funèbre, l’étonnement est à son comble. Des spectateurs se demandent ce qu’il se passe. Le festival serait-il sous l’emprise d’une bande d’écologistes ? Greta Thunberg va t-elle surgir ? L’ harmonie traditionnelle est rompue par des notes discordantes. Le bruit du monde s’invite dans cet univers d’ordinaire si feutré.

Gsdatt Menuhin Festival
Adieux, un concert pour choquer et faire réfléchir, loin des standards de la musique classique. Crédit : GT.

Quand musique et message écologique fusionnent

Lorsque le Gstaad Festival Orchestra enchaîne avec « La Truite » de Schubert et Les Sept Dernières Paroles du Christ de Haydn avec un cinglant « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font »,  l’émotion s’empare de la salle.  L’alliance subtile de la musique et du message écologique fait son effet. Les œuvres musicales sont comme la bande son d’un monde bouleversé. A la fin, déambule dans les allées un musicien soufflant dans une trompe marine qui évoque le râle des animaux qui agonisent. Un monsieur en smoking manque de s’étrangler. 

Au moment des applaudissements, la célèbre violoniste jubile. Si des spectateurs n’applaudissent pas et quittent les lieux, l’immense majorité est acquise à ce concert pas comme les autres.  D’ailleurs une bonne partie reste pour la table ronde autour du rôle des acteurs culturels dans la prise de conscience sur l’urgence climatique.  Sur la scène, « PatKop » use d’un autre instrument, le micro.

« Réveiller les consciences par la musique »

Patricia Kopatchinskaja
Patricia Kopatchinskaja, dite Patpok, est surnommée la « Greta du classique ». Crédit : GT.

Patricia Kopatchinskaja est persuadée que de tels chefs-d’œuvre de la musique prennent dans pareil contexte une dimension nouvelle, insoupçonnée. Témoin engagée de son époque, elle captive l’auditoire par ses paroles «Music for the Planet exprime la fragilité de entre l’homme et la Nature. Par l’effet miroir qu’elle produit la musique associée à l’image peut et doit réveiller les consciences, susciter l’action pour sauver notre planète ».

Ambassadrice pour le climat, Patricia Kopatchinskaja réactualise les chefs-d’œuvre du répertoire musical en les rattachant à l’actualité. «  Le festival invite à réfléchir et à agir ; l’émotion peut se mettre au service des questions écologiques, c’est pour la musique, une nouvelle fonction, un sens et une direction qui s’inscrivent dans le contexte d’urgence ».

Une programmation audacieuse pour toucher d’autres publics

Christoph Müller
Christoph Müller, le directeur artistique du Gstaad Menuhin Festival. Crédit : GT.

Dans les coulisses, il est tentant de poser la question : humilité et Gstaad, est-ce que ça sonne juste ? Christoph Müller, directeur artistique du festival esquisse un sourire. « Il y a cette image, on peut ironiser mais ici nous sommes au cœur de la fragilité des écosystèmes naturels avec le réchauffement climatique, l’impact sur les glaciers et le manque de neige ».

Il reconnaît qu’une partie du public était « furieux » mais ne regrette pas une seconde de « provoquer » par l’audace de cette programmation. « Plutôt que de convaincre des convaincus, il est important de toucher d’autres publics. Nous ne sommes pas une entreprise de divertissement mais un acteur culturel et à ce titre nous devons réveiller les gens et contribuer à faire réfléchir pour sauver la planète ».

Un festival de musique classique engagé dans une stratégie plus durable

Après avoir scellé un partenariat avec la fondation suisse MyClimate pour évaluer le bilan carbone du festival, l’ancien violoniste professionnel lance une stratégie de « durabilité » en privilégiant les trajets en train, les transports en groupes par navettes, la diminution du plastique. Dans le cadre de la « Mission Menuhin », un partenariat avec Wittwer Fleurs permet d’offrir aux artistes des fleurs provenant exclusivement de Suisse et les décorations sont faites avec des fleurs et des plantes réutilisables. Mais il part de loin.

Avec plus de 60 concerts classiques et des milliers de déplacements, l’empreinte carbone est forcément importante, mais la transparence est de mise: la totalité des émissions s’élèvent à 2109,3 tonnes de CO2. Comment les réduire de manière drastique ? Surtout dans un pays où l’éco-responsabilité peine à s’imposer. « Le Saanenland où  se déroule le festival est certes « un paradis sur terre », mais  » la réalité est alarmante: la Suisse consomme aujourd’hui 4.4 fois plus que sa biocapacité naturelle ! ». 

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