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Abeille, hérisson, renard : les cimetières, nouveaux sanctuaires de biodiversité

Le 28/03/2019 par Paola De Rohan-Csermak

Les cimetières parisiens sont, en ce printemps, l’objet de soins inhabituels. Le Père-Lachaise et le cimetière de Pantin ont été, la semaine dernière, les premiers espaces verts fournis en végétaux par le Centre horticole de Rungis, pourvoyeur officiel de la capitale en graminées, fleurs et arbustes. Quelque 400 m2 de tapis de gazon 100 % bio remplaceront les graviers de deux contre-allées, avant la fin du mois de mars. L’opération sera renouvelée à l’automne.

Deux cimetières intra-muros – Vaugirard et Montmartre – et trois extra-muros – Ivry, Thiais et Bagneux – sont aussi en cours de déminéralisation. Leurs allées ont été ensemencées, les serres de Rungis ne pouvant produire plus de 800 m2 de tapis végétal à la fois. D’ici deux à trois décennies, les vingt cimetières parisiens devraient tous verdoyer.

D’autres communes engazonnent elles aussi les terrains où reposent leurs morts, comme Amiens, Uzès ou Foix.
 
Toutes pour la même raison : végétaliser les cimetières est une façon de camoufler les « mauvaises herbes » difficiles à endiguer depuis que les produits chimiques ont été interdits en ville.  Dans des cités de plus en plus denses, les cimetières apparaissent aussi comme de précieux refuges pour les promeneurs et la biodiversité.

Verdir au lieu de désherber les cimetières

Depuis la loi Labbé du 6 février 2014, qui proscrit les pesticides en ville dans une démarche “zéro phyto”, les herbes folles sont libres de proliférer dans les cimetières urbains qui appliquent strictement la loi (67 % à ce jour en Île-de-France, contre 22 % il y a deux ans, selon l’Agence de la Biodiversité).

« L’enherbement, un phénomène naturel, peut être interprété comme une négligence choquante de la part des services du cimetière, confie Pénélope Komitès, adjointe à la Maire de Paris, en charge des espaces verts et des affaires funéraires. Plusieurs plaintes ont été déposées quand nous avons cessé l’usage des pesticides, en 2016. »

D’autres grandes villes ont été confrontées à ce problème dès qu’elles ont supprimé les désherbants chimiques, bien avant la capitale : Strasbourg en 2008, Versailles en 2009, Bordeaux en 2010, Angers en 2013… « Alors, au lieu d’enlever du vert, on en a ajouté !, plaisante Bénédicte Bauer, cheffe du service funéraire de Strasbourg. En dix ans, plus de 8 ha ont déjà été végétalisés dans nos 9 cimetières [55 ha]. Aujourd’hui plus personne ne se plaint. »

De nouveaux parcs urbains

« Pour les visiteurs d’un cimetière déminéralisé, la sensation n’est absolument pas la même, assure Bénédicte Bauer. Le végétal apaise l’humain. Nos cimetières deviennent des parcs, des lieux de promenade et de lecture. »

Ces nouveaux « cimetières-parcs » contribuent aussi à lutter contre les îlots de chaleur urbains, selon Jonathan Flandin, écologue à l’Agence de la Biodiversité Île-de-France. Lors des canicules, ils apportent de la fraîcheur ; en cas de pluies abondantes, les sols herbeux absorbent l’eau, permettent d’éviter le ruissellement et la saturation des évacuations. Les canopées denses comme celles du Père-Lachaise filtrent en partie l’air. Les cimetières verts contribuent à construire une ville plus résiliente. « 75 % de la population sera citadine dans 30 ans », rappelle Jonathan Flandin.

Retour des papillons et des hérissons

Signe de progrès environnemental, insectes pollinisateurs, abeilles solitaires, papillons, oiseaux nicheurs, fouines, écureuils d’Europe et hérissons sont aujourd’hui plus nombreux dans les cimetières français. Dans le cimetière Nord de Strasbourg et dans celui d’Ivry, renards et renardeaux ont fait leur réapparition.

La Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) a noté le retour des chauves-souris à Bordeaux, sur le cimetière de la Chartreuse. Elle a constaté également que les oiseaux migrateurs y faisaient de nouvelles étapes, lors de leurs passages par Bordeaux.

À Lyon, qui s’est engagé dans une politique de protection de la faune, des séquences d’observation vont être organisées dans les cimetières paysagers de Bron et de Rillieux-la-Pape (10 ha chacun). Des initiatives sont aussi prévues pour y attirer de nouvelles espèces et protéger celles qui y sont présentes : rouges-gorges, mésanges huppées, fauvettes à tête noire…
 
Plus inattendu : la forte demande pour l’inhumation écologique pourrait aussi contribuer à la déminéralisation des cimetières. « Il s’agit d’un enterrement, au sens propre du terme, dans un cercueil biodégradable, en carton par exemple », précise Pénélope Komitès. Ce mode d’inhumation est autorisé dans plusieurs grandes villes, comme Bordeaux. « À Paris, nous allons nous efforcer d’y répondre, avant la fin de la mandature », promet Pénélope Komitès.
 

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