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Ces animaux en voie de disparition sont de retour !

Le 30/10/2018 par WeDemain

Deux yeux brillants, un museau pointu, une longue queue et un pelage brun roux qui le situe entre le coyote et le renard : pas de doute, les trois prises de vues automatiques captées par un piège photo à l’été 2017 dans le Chablais en Haute-Savoie montrent bien un chacal doré. Le canidé, originaire d’Afrique, s’est installé dans les Balkans et poursuit sa route vers l’ouest et le nord de l’Europe, en se nourrissant de petits animaux comme les mulots. La France va devoir lui créer un statut car n’étant jusque-là pas présent sur le territoire, il n’est ni protégé ni chassable…
 
Pendant que certains animaux s’installent ou se réinstallent en France (record d’Europe de la biodiversité avec 100 000 espèces) beaucoup d’autres sont menacés : les populations de chauves-souris se sont effondrées de près de moitié en une décennie, 30 % des oiseaux des champs – alouettes, perdrix, linottes, hirondelles… – ont disparu en 30 ans. En un siècle, la France a vu s’éteindre les ours des Pyrénées en 2004, le grand tétras des Alpes en 2000, le phoque moine au début des années 1970, le pygargue à queue blanche dans les années 1950, le loup gris en 1939, le lynx boréal dans les années 1920… Le siècle précédent avait vu la disparition du bouquetin des Alpes… Et de la baleine des Basques.
 
Mais la nature est résiliente. Des animaux sauvages, dès lors que leur milieu est protégé et leur vie respectée, reviennent spontanément ou avec l’aide de l’homme. Comme le rappellent le naturaliste Gilbert Cochet et l’ornithologue Stéphane Durand, dans Ré-ensauvageons la France (éd. Actes Sud, 2018), c’est dans les années 1970 que la France a atteint son point le plus bas pour le nombre d’animaux sauvages – hormis les oiseaux. Il était alors exceptionnel d’apercevoir un cerf, un chevreuil ou un sanglier.
 
Une prise de conscience de la destruction de la biodiversité a conduit, en 1963, à la création du premier parc naturel national, celui de la Vanoise dans les Alpes, suivi de bien d’autres. Mais la véritable révolution fut le vote, en 1976, de la loi de protection de la nature, reconnaissant le patrimoine naturel comme d’intérêt général et dressant une liste ambitieuse d’espèces protégées. Épargnés par les chasseurs, les cerfs, chevreuils et sangliers se sont multipliés, comme le faucon pèlerin ou le vautour fauve. Débarrassées d’une partie de leurs barrages, des rivières comme la Vienne ou la Creuse ont vu remonter des saumons, des aloses ou des lamproies marines.

Le retour du balbuzard pêcheur

Les animaux sauvages ne connaissent pas les frontières. Chassés de France au cours des siècles derniers, beaucoup avaient trouvé refuge dans les pays voisins. Dès que la situation s’est améliorée dans leurs anciens territoires, ils ont fait le chemin inverse. La cigogne noire est réapparue dès 1973. Sa cousine, la cigogne blanche, dont il ne subsistait que neuf couples en Alsace en 1974, en compte aujourd’hui plus de 2 000. Le balbuzard pêcheur, splendide rapace d’1,70 m d’envergure qui avait déserté nos étangs, sauf en Corse, pour la Scandinavie et l’Allemagne, est revenu s’installer dans la forêt d’Orléans en 1984. La spatule blanche, la grande aigrette ou la grue cendrée l’ont imité dans les années 1980 et 1990.
 
Parfois, il a fallu que l’homme apporte son aide. Le castor a été le premier à en bénéficier avec 16 opérations de lâchers entre 1952 et 1988. Le résultat a dépassé toutes les espérances : le rongeur a recolonisé les cours d’eau, sa population a été multipliée par 1 000, et les barrages qu’il a construits ont accueilli de nombreuses espèces de plantes, d’amphibiens et d’insectes.
 
La loutre a suivi son exemple dès que la qualité des cours d’eau s’est améliorée, et qu’elle n’a plus été classée, elle aussi, comme nuisible. Le lynx, lui, avait disparu des plaines dès le Moyen Âge et, avec la chasse et le piégeage, des massifs montagneux au XIXe siècle. Après son retour naturel jusqu’au Jura suisse, sa réintroduction dans les Vosges a été un échec. En revanche, il s’est bien acclimaté dans le Jura français où 150 individus y vivent aujourd’hui.
 
D’autres introductions ont été plus rocambolesques. Les bouquetins des Alpes, par exemple, sont revenus naturellement en Haute Maurienne. Mais quand on les a capturés pour les installer à Pralognan, ils se sont empressés de retourner sur le territoire qu’ils s’étaient choisis !

Attention à ne pas casser les œufs !

Plus extraordinaire, l’histoire des gypaètes barbus, un grand rapace de 3 m d’envergure qui ne mange que des os, capturés sur des dépôts d’ordures afghans puis transportés jusqu’en Haute-Savoie. Manque de chance, les œufs pondus se sont révélés non fécondés ou ont été cassés, et une femelle est morte de septicémie.

Le vétérinaire responsable de l’opération raconte la suite : « J’ai téléphoné pour qu’on me renvoie un œuf par avion… Austrian Airline a accepté de le prendre dans la cabine de pilotage, mais les douaniers ont voulu ouvrir le paquet et l’avion a été retardé de 10 minutes. Manque de chance, à l’arrivée le poussin est mort dans l’œuf… »
 
Autre difficulté, les gypaètes mâles et femelles étant identiques, former des couples a été très difficile. Et quand on y est parvenu, les oiseaux appariés ne se sont pas toujours entendus, et il a fallu en séparer ! L’opération a tout de même fini par être menée à bien. On compte aujourd’hui 15 couples dans les Alpes françaises.
    

« D’autres animaux réintroduits ont montré des comportements inattendus et fâcheux », raconte la sociologue de l’environnement Isabelle Mauz. »Les premiers lâchers de bouquetins élevés en captivité ont été un échec total : c’était des animaux complètement imprégnés par l’homme, qui revenaient dans les villages, demandaient du pain et, un peu d’agressifs, pouvaient encorner les gens… »

    
Le vautour moine était, lui, victime de vieux préjugés. Perçu comme un oiseau de mauvais augure, il était systématiquement tué. Il a néanmoins été réintroduit avec succès et niche aujourd’hui dans l’Aveyron.

Le grand méchant loup

Le retour naturel du loup en 1992, via l’Italie, a été beaucoup plus problématique. Outre les fantasmes ancestraux qui restent associés au « grand méchant loup », il y a les problèmes réels de cohabitation avec les éleveurs de moutons. Le canidé a profité de la reforestation, de l’exode rural et de l’augmentation des proies pour recoloniser les Alpes, la Provence, les Pyrénées et le sud du Massif central.
 
Un loup gris a même été vu dans la Somme à l’automne 2017. Ils seraient aujourd’hui 360, et 10 000 brebis (sur 7 millions) en font les frais chaque année, les bergers étant dédommagés par l’État. Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, a présenté en février un plan pour assurer la conservation du canidé avec un objectif de 500 loups en 2023, tout en prenant en compte la détresse des éleveurs qui pourront en tuer 40 en 2018 et 10 % de la population les années suivantes.
 
La réintroduction, en 2006, de cinq ours slovènes dans les Pyrénées pour régénérer une population française tombée à seulement cinq ou six individus, a profondément divisé les vallées où le plantigrade continue à faire peur à certains. En 2004, un chasseur a tué Cannelle, la dernière femelle issue des ours pyrénéens français. On compte aujourd’hui 37 ours, mais en grande majorité des mâles. Nicolas Hulot a promis de leur apporter deux femelles slovènes cet automne.
 
Le retour de ces espèces disparues ou l’arrivée de nouvelles venues recréent souvent des écosystèmes vertueux : les cerfs s’aménagent des baignoires en se roulant dans la boue où s’abreuvent les martres, chevreuils et même les loups… Qui eux-mêmes, en prédateurs des grands herbivores, les obligent à se déplacer ce qui préserve les jeunes pousses d’arbres de la forêt. Le retour du pic noir – oiseau forestier au plumage noir et à la calotte rouge chez le mâle – entraîne à sa suite une quarantaine d’animaux comme la chouette ou l’écureuil qui profitent des loges qu’il creuse dans les troncs des vieux arbres…
 
Et l’économie y trouve son compte ! Le tourisme lié à l’observation de la faune sauvage génère chaque année plus de 40 milliards de dollars de revenus aux États-Unis (plus que la chasse et la pêche réunies). La Slovénie organise des safaris-photos autour de ses ours. Réintroduit au Royaume-Uni, le balbuzard y rapporte à lui seul 4,8 millions d’euros par an, selon les auteurs de Ré-ensauvageons la France. 

Le vieil aurochs

D’autres projets de réintroduction font rêver : l’élan, réfugié dans le nord de l’Europe, pourrait retrouver dans les marais du Jura ou les forêts de Normandie les territoires qu’il occupait jusqu’à l’époque carolingienne ! Des bisons d’Europe qui errent dans les pays de l’Est mais aussi dans la Rhénanie-Westphalie allemande, pourraient être relâchés dans les forêts des Ardennes, des Vosges ou d’Orléans.
 
Le vieil aurochs peint dans les fresques de Lascaux, disparu d’Europe au XVIIe siècle mais dont la race a été reconstituée par des zoologues allemands en croisant différentes vaches, serait très heureux de se réacclimater sur les monts du Massif central (un élevage existe déjà en Lozère). On évoque encore le retour de l’esturgeon en Gironde, du phoque moine à Port-Cros et des tortues marines caouanne sur les côtes méditerranéennes.
 
L’enjeu n’a rien de folklorique, quand on sait que plus de la moitié des animaux sauvages ont disparu de la surface de la Terre en 40 ans, et qu’une espèce sur trois est aujourd’hui menacée du même sort, selon le dernier rapport Planète vivante du WWF (Fond mondial pour la Nature).
 
Chez les seuls vertébrés, deux espèces disparaissent en moyenne chaque année depuis un siècle, s’alarme l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). L’homme est devenu « une arme de destruction massive contre la nature » a résumé, en mai dernier, Nicolas Hulot en présentant son plan d’action contre l’érosion du vivant.
 
Et s’il parvenait à réparer ce qu’il a détruit ? 

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