Comment la Corse a réduit par six les feux de forêts depuis les années 80

Ces quatre derniers mois, le monde entier a eu les yeux rivés sur l’Australie. Des feux de forêt d’une ampleur et d’une violence sans précédent ont dévasté le pays. Bilan : au moins 24 personnes tuées, six millions d’hectares de végétation brûlés, près de 50°C enregistrés à Sydney, 100 000 personnes évacuées et jusqu’à un million de milliards d’animaux morts.

Pour la philosophe Joëlle Zask, chercher à préserver la nature ne suffit plus : il faut réapprendre à l’entretenir… sans quoi la planète pourrait basculer dans le Pyrocène, une ère d’incendies permanents.

La coopération avec la nature porte ses fruits, comme en témoigne l’exemple de la Corse. Les feux de forêt y ont été réduits par six entre les années 1980 et 2010 : leur bilan est passé de 118 000 à 20 000 hectares brûlés. Le résultat d’un travail de prévention et de gestion des risques mené par la collectivité territoriale, en collaboration avec des habitants de l’île et des chercheurs de l’Université de Corse.

Des citoyens au service des pompiers

Dans les années 1980, la Corse fait face à de violents incendies estivaux. C’est à cette époque que naissent les Comités communaux feux de forêts (CCFF) : des bénévoles sous l’autorité du maire qui se mobilisent pour défendre leur village des incendies. Ils préparent notamment la population face aux risques, donnent l’alerte si des fumées se dégagent de la forêt et guident les sapeurs-pompiers lors des interventions.

En 2004, alors qu’on dénombre une trentaine de CCFF, la majorité de ces derniers est remplacée par des Réserves communales de sécurité civile (RCSC). Elles remplissent les mêmes missions, tout en travaillant aussi sur d’autres risques comme les inondations.

12 de ces réserves sont aujourd’hui réparties sur l’Île de Beauté, offrant un statut particulier à leurs membres : « les réservistes disposent d’une couverture de risques. Ils ont notamment le droit à une protection en cas d’accidents et une couverture juridique renforcée. Ce qui n’est pas le cas des bénévoles des CCCF », ajoute Jean-Pierre Mazzi, coordinateur des RCSC 2B.

Si les CCFF ont donc pratiquement tous disparu de l’île (3 sont encore en activité en Corse, Ndlr), ils se sont largement répandus en région PACA. 19 CCFF y étaient dénombrés en 2019.

Utiliser le feu pour lutter… contre le feu

Pour faciliter le travail des forestiers-sapeurs, les autorités corses ont également crée des Zones d’appui à la lutte : une bande de terrain débroussaillée de 100 mètres de largeur environ, qui s’étend sur plusieurs kilomètres en périphérie des zones habitées. De quoi stopper plus facilement la progression d’un feu.

Pour définir les emplacements de ces pare-feux, les forestiers-sapeurs prennent notamment en compte les vents dominants et l’historique des incendies. Ils utilisent ensuite des engins (bulldozer, gyrobroyeurs) pour débroussailler le maquis, qui est un combustible dangereux.

Des zones restent toutefois inaccessibles pour les véhicules, comme en montagne. C’est alors que les forestiers-sapeurs emploient la technique du « brûlage dirigé ». Comprenez la destruction par le feu des herbes, broussailles, branchages…

À noter qu’en cas de feux de forêt, les forces au sol sont aujourd’hui appuyées par des moyens aériens plus conséquents que dans les années 1980 : hélicoptère bombardier d’eau, hélicoptère de secours, avions Canadair, avions Tracker…

L’informatique, un autre pare-feu

L’Université de Corse, de son côté, développe depuis une vingtaine d’années le projet « Feux « . Il fédère quinze chercheurs issus de différentes disciplines (chimie, physique, écologie, informatique, vision 3D). Ces derniers analysent la formation des feux pour les modéliser sur ordinateur. Objectif : créer des outils numériques pour aider les acteurs de terrain à mieux anticiper les incendies.

En fonction de sa spécialité, chaque chercheur met au point un outil. Le logiciel Forefire, accessible en ligne, permet par exemple de comprendre l’impact de l’atmosphère sur la propagation des feux. Il a été créé par Jean-Baptiste Filippi, chargé de recherche en simulation informatique à l’Université de Corse.

« Un autre outil est actuellement en cours de développement pour dimensionner les zones d’appui à la lutte. Aujourd’hui, leur largeur est déterminée par des experts et nous voulons les aider avec des recommandations », précise Lucile Rossi, chercheuse membre du projet « Feux ».

Le 1er janvier 2020, le projet GOLIAT (Groupement d’Outils d’Aide à la Lutte Incendie et Aménagement du Territoire) a été lancé pour financer les technologies de l’Université de Corse, afin que les sapeurs-forestiers puissent les utiliser. Et le temps presse…

« Il y a deux ans, on a eu des feux qui ont détruit des maisons. Ils sont moins nombreux qu’auparavant mais restent tout aussi dangereux, conclut Lucile Rossi. On a aussi affaire à des feux au mois de janvier, et je n’ai pas le souvenir que cela soit déjà arrivé. C’est sans doute du au réchauffement climatique et à des conditions de déshydratation. Nous sommes désormais dans une situation où il faut maitriser les feux tout au long de l’année. » 

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