Corinne Lepage : « Le nucléaire empêche le développement des énergies renouvelables »

We Demain : Emmanuel Macron a présenté la Programmation pluriannuelle de l’énergie, c’est à dire la feuille de route de la transition énergétique à horizon 20 ans. Le président entend concilier les urgences de fins de mois, qui ont provoqué la mobilisation des Gilets jaunes, et la menace du changement climatique, qui menace notre civilisation. Qu’en retenez-vous ?
 
Corinne Lepage : Sur la forme, le président de la République a pris conscience du besoin de dialogue avec les Français. Il est descendu de son Olympe et a  fait preuve d’empathie. C’était nécessaire.
 
Mais sur le fond je suis déçue et perplexe.
 
Sur la transition énergétique, dont le président fait avec raison une priorité, on attendait des mesures concrètes. Or il annonce 5 à 7 milliards en faveur de l’investissement dans les énergies renouvelables. C’est notoirement insuffisant. Un récent rapport de l’ONU indique qu’il faudrait au niveau de la planète multiplier les investissements par trois. La France est largement en deçà de ses engagements.

Prenez l’exemple de la rénovation thermique des bâtiments : elle ne concerne annuellement qu’1 % du parc immobilier, alors qu’il faudrait au moins 5 %. Ce serait du pouvoir d’achat direct : si vous isolez convenablement, vous réduisez votre facture de chauffage qui pèse très lourd dans le budget des ménages. Or nous venons de supprimer le mois dernier les aides à l’isolation des fenêtres…
 
Emmanuel Macron a tout de même annoncé la multiplication par 5 du photovoltaïque et par 3 de l’éolien terrestre.
 
Mais ça fait 15 ans qu’on l’annonce, je me souviens que Jean-Louis Borloo le promettait en 2008 !

Pour que ça marche, il faut que des dispositions législatives et réglementaires desserrent un certain nombre de contraintes qui pèsent sur le renouvelable et la décentralisation énergétique. C’est particulièrement le cas pour l’autoconsommation collective, c’est à dire la capacité, dans une boucle donnée, de consommer sur place l’énergie produite. Or la loi l’autorise dans le principe mais pas dans la réalité.

Un tas de raisons l’empêchent : par exemple « collectif » ça veut dire trois personnes, la comptabilité est le monopole d’ENEDIS, etc. Il y a encore deux jours, un amendement favorisant l’autoconsommation collective a été retoqué au Sénat avec le consentement du gouvernement.

Sur le mix énergétique, j’ai moins été choquée par les mesures annoncées que par les arguments avancés. Il est faux de dire que le nucléaire n’est pas cher. Les rapports de l’Agence internationale de l’Energie ou les statistiques d’Eurostat démontrent que le nucléaire est en passe de devenir l’une des énergies les plus chères, moins que l’éolien en mer mais plus que le solaire et l’éolien terrestre. C’est une évidence pour l’EPR, mais aussi pour le nucléaire ancien qu’il faut entretenir. Son coût tangente aujourd’hui celui du solaire et se situe plutôt au dessus de l’éolien. Et le prix ne va cesser de croître avec les investissements nécessaires pour faire face au vieillissement des centrales.

Autre argument fallacieux utilisé par le président : les énergies renouvelables seraient intermittentes et ne pourraient donc pas suppléer le nucléaire. Or certaines comme l’hydraulique ou la biomasse sont des énergies de base non intermittentes, et pour les autres, il faut prendre en compte les progrès en matière de stockage, notamment pour les unités décentralisées. Tesla vend aujourd’hui des unités de stockage qui coutent mille ou deux mille euros.
 
Le président a annoncé des fermetures de centrales nucléaires.
 
Celle de Fessenheim était un engagement de François Hollande en 2012 ! On le fera en 2020 parce qu’on n’a pas le choix : la maintenir coûterait trop cher car elle dépasse les 40 ans avec la quatrième visite décennale. Mais aucune autre centrale n’est arrêtée avant 2025. Il est annoncé 6 fermetures avant 2030, mais sans plus de détails alors que Nicolas Hulot s’engageait sur 8 avant 2028. Or Emmanuel Macron ne sera plus président après 2022 ou éventuellement 2027.

Mais il y a plus grave : c’est irréaliste de dire que nous voulons faire progresser les énergies renouvelables tout en maintenant au même niveau l’énergie nucléaire. Tout part d’un faux postulat : la consommation d’électricité va augmenter avec la voiture électrique et les pompes à chaleur.

Or les changements d’usage n’ont jusqu’à présent jamais empêché la stagnation ou la baisse de la consommation d’électricité en France. Et l’idée que l’on va augmenter considérablement la consommation électrique est irréaliste et contraire à tous nos engagements européens sur l’efficacité énergétique et la sobriété – que le président n’a même pas évoqués dans son discours.

Son raisonnement repose également, comme celui d’EDF et du lobby nucléaire, sur l’augmentation de nos exportations d’électricité. Or nous exportons de moins en moins car les pays européens réduisent leur consommation et donc leurs importations d’électricité, et refusent de plus en plus l’électricité d’origine nucléaire. Nous allons donc moins exporter. Et comme la consommation intérieure ne va pas non plus progresser, maintenir un niveau élevé de nucléaire revient à empêcher le développement des énergies renouvelables car il n’y aura pas de marché. Emmanuel Macron veut de plus recapitaliser EDF et prolonger son régime financier dérogatoire : ce sont autant de milliards qui manqueront encore au renouvelable. Comment voulez-vous multiplier par 5 le photovoltaïque et par 3 l’éolien sans argent et sans marché ? C’est absurde…
 
Emmanuel Macron est resté vague sur l’avenir des EPR…
 
J’y suis résolument opposée. Flamanville devait coûter 3 milliards et fonctionner en 2012 : Il ne démarrera pas avant peut-être 2021 et coûtera 12 milliards ! L’EPR en Finlande ne marche toujours pas et c’est un gouffre financier.

Dans le même temps, le coût du solaire va encore baisser. On est déjà passé de 15 à 6 centimes le KWH, et même 3 centimes à Ouarzazate au Maroc. Il faudrait équiper tous les hangars et les toits de supermarchés de panneaux solaires et développer ainsi l’autoconsommation collective. Mais si nous le faisons, nous ne vendons plus d’électricité nucléaire.

C’est la raison pour laquelle nous ne sommes aujourd’hui qu’à 16 % d’énergies renouvelables, à peine plus que les 13 % d’il y a 20 ans quand j’étais ministre ! Nous ne tiendrons pas l’objectif de 23 % de renouvelable en 2020 : le nucléaire l’empêche, avec deux conséquences désastreuses : le développement du tout électrique  fait que la France consomme à elle toute seule la moitié de l’électricité de toute l’Europe, et est obligée dans les périodes de grand froid d’en importer de l’étranger. Le second problème est lié au manque d’eau en période de canicule pour refroidir les centrales : Nous sommes même obligés d’en acheter à l’étranger : un comble !

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