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Denica Riadini-Flesch : « Les vêtements les plus durables sont ceux qui sont déjà dans votre garde-robe »

Transformer toute une filière pour produire des vêtements plus durables ? C’est le défi dans lequel s’est lancée Denica Riadini-Flesch avec son projet SukkhaCitta (Sukkha signifie « bonheur » en indonésien). Un challenge qui lui a valu d’être désignée lauréate 2023 du Prix Rolex à l’esprit d’entreprise. Son modèle « de la ferme à l’armoire » revisite toute la chaîne d’approvisionnement afin de pouvoir intégrer pleinement l’agriculture régénérative dans son processus mais aussi de soutenir l’artisanat au féminin en Indonésie.

Sa marque de vêtements éthiques, SukkhaCitta, qui pratique la vente en ligne, est née d’une bifurcation professionnelle. À l’origine, Denica Riadini-Flesch a suivi une formation d’économiste et a grandi en ville. C’est en rencontrant des artisanes rurales et en découvrant la beauté des pièces qu’elles étaient capables de créer que l’idée a germé. « Je me suis demandée quel héritage je voulais laisser et j’ai compris que mon but dans la vie n’était pas de gagner de l’argent. » Mais, plus qu’un simple projet écologique, il s’agit aussi d’une entreprise sociale avec la volonté d’avoir un impact si positif sur la population indonésienne, et en particulier les femmes.

Agriculture régénérative et salaire décent

Des Ibus, des artisanes âgées, préparent le sol pour la prochaine récolte de coton en nettoyant et en plantant des graines dans l’est de Java, en Indonésie. Crédit : Rolex/Sébastien Agnetti.

« Moins de 2 % des femmes qui fabriquent des vêtements en Indonésie gagnent un salaire décent. 98 % ne touchent pas le minimum vital », nous explique Denica Riadini-Flesch. Sa mission a donc été de créer, pour ces femmes paysannes, des emplois rémunérés à leur juste valeur tout en utilisant des techniques traditionnelles et durables. « Nous portons tous des vêtements mais nous sommes déconnectés de leur processus de fabrication. Malgré l’inflation, depuis 1990, les prix des habits ne cessent de baisser. Il faut s’interroger sur qui paye le vrai prix de cette situation. Ce sont des femmes anonymes qui s’escriment à la tâche. »

SukkhaCitta a pris plusieurs engagements pour changer la donne. Tout d’abord, le coton est fabriqué selon d’anciennes méthodes. « Pour régénérer les écosystèmes, à commencer par les sols, les femmes ont repris à leur compte les vieilles méthodes de leurs grands-mères. Nous avons donc abandonné la monoculture, à l’empreinte carbone très lourde, pour faire pousser du coton dans des champs où d’autres cultures sont présentes. Une vingtaine au total. Cela évite d’appauvrir les sols, de nécessiter trop d’eau et d’utiliser lourdement les pesticides. Quand on me dit que c’est trop radical, j’explique que rien de ce qu’on fait est nouveau. Nous suivons les enseignements indigènes et des méthodes centenaires », rappelle Denica Riadini-Flesch. SukkhaCitta fait travailler 114 petits exploitants agricoles répartis dans sept villages.

De la teinture végétale qui suit les saisons

La teinture bleue à base de Strobilanthes cusia utilisée pour colorer certains vêtements de SukkhaCitta. Crédit : Rolex/Sébastien Agnetti.

Pour teindre le coton tissé avant de fabriquer les vêtements, la marque utilise uniquement des colorants naturels à base de plantes, comme ce bleu fabriqué à partir de feuilles de Strobilanthes cusia fermentées. Depuis sa création, en utilisant ces colorants entièrement naturels, SukkhaCitta a évité que plus de 3 millions de litres de produits chimiques toxiques ne soient déversés dans les rivières indonésiennes. Si on ajoute à cela 112 tonnes de CO2 sauvées, le bilan écologique de l’initiative fait totalement sens.

Mais cela impose une contrainte : « Nous colorons nos vêtements en fonction des saisons, et donc des plantes que nous pouvons récolter. Par exemple, pendant la saison des pluies, nous ne pouvons pas avoir de couleur noire. On suit les temps de la planète », précise Denica Riadini-Flesch.

Vendre à tout prix n’est pas un objectif pour Denica Riadini-Flesch

SukkhaCitta travaille directement avec plus de 400 artisanes et agricultrices. Crédit : Rolex/Sébastien Agnetti.

En accord avec ses principes de préservation de la nature, l’entrepreneure ne cherche pas le profit à tout craint. « Évidemment, nous voulons être rentables pour prouver qu’on peut régénérer la planète tout en développant une activité économique mais je ne veux pas vendre le plus possible. Il est important de comprendre que les vêtements les plus durables sont ceux qui sont déjà dans votre placard. Il faut créer un lien avec ses habits pour les faire durer. »

Et d’ajouter : « On a toujours 3-4 pièces qu’on porte très souvent. Ce sont celles vraiment utiles. Notre garde-robe est bien souvent beaucoup trop remplie. Le modèle de la fast fashion est très récent mais on en a fait la norme. Il faut que cela change », insiste Denica Riadini-Flesch. Aux débuts de SukkhaCitta, en 2016, seules trois femmes étaient impliquées dans le projet. Aujourd’hui, l’entreprise bénéficie directement ou indirectement à 1482 vies en Indonésie. « Les femmes qui sont impliquées dans le projet n’ont pas besoin de notre aide. Elles ont besoin que l’on croit en elles, qu’on leur donne les clés – comme l’éducation – pour accomplir ce qu’elles souhaitent et continuer à être des gardiennes de notre héritage. Pour qu’elles puissent fabriquer des vêtements avec une histoire », détaille l’entrepreneure.

Désignée parmi les cinq lauréates du Prix Rolex 2023 à l’esprit d’entreprise, elle se réjouit de pouvoir ainsi « amplifier notre modèle en créant de nouvelles écoles et en numérisant nos programmes scolaires afin de pouvoir toucher davantage de femmes à travers l’Indonésie. Notre objectif est que les femmes indonésiennes se sentent vues et valorisées. »

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