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Écoanxiété, solastalgie, psycoterratie… De quelle éco-émotion souffrez-vous ?

Le 04/09/2019 par Alice Pouyat
(Crédit : Shutterstock)
(Crédit : Shutterstock)

Avant de devenir une icône de la lutte pour le climat, Greta Thunberg avait arrêté de jouer du piano, de parler et de manger, sombrant dans une profonde dépression. La jeune Suédoise atteinte du syndrome d’Asperger ne pouvait oublier les ours polaires vus à la télé, en proie à la fonte des glaciers.
 
Extrême, cette réaction fait écho à une angoisse plus diffuse. En octobre 2018, un sondage de l’Ifop indiquait que 85 % des Français s’inquiétaient du réchauffement climatique. Une proportion en hausse de 8 points par rapport à l’année 2015. Ce taux grimpait même à 93 % chez les 18-24 ans.
 

« C’est un sujet qui revient de plus en plus en consultation », constate Pierre-Eric Sutter, psychologue et psychothérapeute. Ce qui est assez logique puisqu’il est omniprésent dans les médias. Le changement climatique réactive notre vieille angoisse de la mort. Les gens prennent conscience que le monde tel qu’on le connaît peut s’arrêter, que les civilisations sont mortelles. » 

 
Le psychologue lance d’ailleurs mi-septembre un « Observatoire des vécus du collapse ». Pendant trois mois, avec deux collègues, il mènera une enquête auprès d’un échantillon représentatif de mille personnes pour mieux cerner la façon dont les Français vivent les transformations de l’environnement.
 
Des réactions qui peuvent être très variées – de la dépression à l’activisme en passant par la culpabilité ou le déni du danger – qui donnent lieu à un nouveau lexique. « Des mots apparaissent logiquement pour cerner les nouveaux maux de la société », souligne Pierre-Eric Sutter.

« Je me sens totalement démuni face au réchauffement climatique »

L’un d’entre eux, de plus en plus médiatisé, et parfois galvaudé est « l’éco-anxiété » : une forte appréhension des dangers qui pèsent sur la planète. Sans forcément sombrer comme Greta Thunberg, certains confient être très affectés par les menaces écologiques.

À l’instar de la romancière à succès Aurélie Valogne : « Depuis que je me suis intéressée au sujet, je me suis pris une énorme claque, j’étais vraiment au fond du gouffre », expliquait-elle récemment sur France Inter.

Sur le groupe Facebook La collapso heureuse, Gabriel, 18 ans, témoigne : « C’est seulement aujourd’hui que j’ai eu le courage de m’intéresser sérieusement au problème (…) qui m’a d’ailleurs fait rentrer en éco-anxiété (…) je me sens complétement démuni et pris de cours sur les actions à entreprendre. »
 
Une appréhension à ne pas confondre avec la « solastalgie », un malaise plus ou moins fort déclenché par une expérience directe de destruction de l’environnement. Le philosophe australien Glenn Albrecht invente ce concept en 2007 après avoir observé la détresse de concitoyens suite à de fortes sécheresses et au développement de mines à ciel ouvert. Inspiré du latin solacium (le soulagement) et du suffixe grec algia (relatif à la douleur), son néologisme fait référence à la nostalgie. Ceux qui souffrent, ici, ont le mal du pays sans partir de chez eux : ils sont privés du confort de leur environnement familier.
 
Dans son ouvrage Earth Emotions : New Words for a New World (Émotions de la Terre : de nouveaux mots pour un nouveau monde, Editions Cornell University Press), Glenn Albrechet imagine encore d’autres concepts. De retour de vacances, vous vous sentez un peu triste d’être déconnecté et éloigné de la nature ? Vous souffrez selon lui de « psycoterratie ». Si vous vous sentez au contraire totalement indifférent à l’écologie, vous êtes peut-être sujet à « l’écoagnosie ». Une indifférence qui pourrait être due à lamnésie environnementale (idée selon laquelle moins on est en contact avec la nature, plus on l’oublie).

Dans un esprit plus humoristique, les artistes contemporaines Heidi Quante et Alicia Escott ont lancé un plateforme collaborative permettant d’inventer des mots « pour exprimer ce que les gens sentent à mesure que le réchauffement climatique s’accélère ». Le Bureau de la réalité linguistique a ainsi engendré les termes de « beachnesia » – l’émotion de voir une plage connue engloutie par la montée des eaux – ou « époquétude », l’idée – plus ou moins rassurante – que même si l’humanité réussit à se détruire, la terre nous survivra…

D’autres termes désormais plus communs – le flygskam (la honte de prendre l’avion), mais aussi le survivalisme ou la collapsologie – témoignent encore de ce renouveau lexical.

Écopsycologie

Un renouveau qui rappelle que les émotions sont aussi des constructions sociales évoluant au fil du temps. De la même façon que le terme « nostalgie » s’est vulgarisé au XIXe siècle après les guerres révolutionnaires et napoléoniennes qui ont vu partir de nombreux soldats loin de chez eux, les changements environnementaux peuvent nous affecter.
 
L’étude de ces interrelations entre la nature et la psyché humaine est d’ailleurs au coeur de « l’écopsychologie », terme apparu dans les années 1990, sous la plume de l’historien américain Theodore Roszak. À partir de la notion d’inconscient collectif de Carl Jung, il introduit la notion d »inconscient écologique », soit l’idée qu’il existe en chacun une mémoire profonde d’un lien entre l’humanité et la nature.
 

« Humain vient du latin ‘humus’, la terre : si l’on nie cette part de nature qui est en nous, et si l’on refoule la mort, on risque de passer à côté de notre vie ! », plaide aussi Pierre-Eric Sutter.

Écotherapie

Bonne nouvelle, il existe toutefois des pistes pour faire face à ces nouvelles émotions. « Le conseil que je donne est d’essayer d’incarner son existence, de transformer ses peurs en action », ajoute le psychologue. Et cela sans se désespérer si les choses ne vont pas aussi vite que souhaité.

Des médecins prescrivent même de « l’écothérapie » – du jardinage ou de simples balades en forêts – à leurs patients. Pour sortir de l’angoisse et de la dépression, adopter de « petits gestes » écolos au quotidien peut aussi être une voie possible, de même que le militantisme.

La voie choisie par Greta Thunberg, avec une énergie folle – et une émotion parfois jugée excessive – mais qui a su entraîner des millions de jeunes dans son sillage.

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