Partager la publication "Écoanxiété, solastalgie, psycoterratie… De quelle éco-émotion souffrez-vous ?"
Extrême, cette réaction fait écho à une angoisse plus diffuse. En octobre 2018, un sondage de l’Ifop indiquait que 85 % des Français s’inquiétaient du réchauffement climatique. Une proportion en hausse de 8 points par rapport à l’année 2015. Ce taux grimpait même à 93 % chez les 18-24 ans.
“C’est un sujet qui revient de plus en plus en consultation”, constate Pierre-Eric Sutter, psychologue et psychothérapeute. Ce qui est assez logique puisqu’il est omniprésent dans les médias. Le changement climatique réactive notre vieille angoisse de la mort. Les gens prennent conscience que le monde tel qu’on le connaît peut s’arrêter, que les civilisations sont mortelles.”
Le psychologue lance d’ailleurs mi-septembre un “Observatoire des vécus du collapse”. Pendant trois mois, avec deux collègues, il mènera une enquête auprès d’un échantillon représentatif de mille personnes pour mieux cerner la façon dont les Français vivent les transformations de l’environnement.
Des réactions qui peuvent être très variées – de la dépression à l’activisme en passant par la culpabilité ou le déni du danger – qui donnent lieu à un nouveau lexique. “Des mots apparaissent logiquement pour cerner les nouveaux maux de la société”, souligne Pierre-Eric Sutter.
“Je me sens totalement démuni face au réchauffement climatique”
À l’instar de la romancière à succès Aurélie Valogne : “Depuis que je me suis intéressée au sujet, je me suis pris une énorme claque, j’étais vraiment au fond du gouffre”, expliquait-elle récemment sur France Inter.
Sur le groupe Facebook La collapso heureuse, Gabriel, 18 ans, témoigne : “C’est seulement aujourd’hui que j’ai eu le courage de m’intéresser sérieusement au problème (…) qui m’a d’ailleurs fait rentrer en éco-anxiété (…) je me sens complétement démuni et pris de cours sur les actions à entreprendre.”
Une appréhension à ne pas confondre avec la “solastalgie”, un malaise plus ou moins fort déclenché par une expérience directe de destruction de l’environnement. Le philosophe australien Glenn Albrecht invente ce concept en 2007 après avoir observé la détresse de concitoyens suite à de fortes sécheresses et au développement de mines à ciel ouvert. Inspiré du latin solacium (le soulagement) et du suffixe grec algia (relatif à la douleur), son néologisme fait référence à la nostalgie. Ceux qui souffrent, ici, ont le mal du pays sans partir de chez eux : ils sont privés du confort de leur environnement familier.
Dans son ouvrage Earth Emotions : New Words for a New World (Émotions de la Terre : de nouveaux mots pour un nouveau monde, Editions Cornell University Press), Glenn Albrechet imagine encore d’autres concepts. De retour de vacances, vous vous sentez un peu triste d’être déconnecté et éloigné de la nature ? Vous souffrez selon lui de “psycoterratie”. Si vous vous sentez au contraire totalement indifférent à l’écologie, vous êtes peut-être sujet à “l’écoagnosie”. Une indifférence qui pourrait être due à l‘amnésie environnementale (idée selon laquelle moins on est en contact avec la nature, plus on l’oublie).
Dans un esprit plus humoristique, les artistes contemporaines Heidi Quante et Alicia Escott ont lancé un plateforme collaborative permettant d’inventer des mots “pour exprimer ce que les gens sentent à mesure que le réchauffement climatique s’accélère”. Le Bureau de la réalité linguistique a ainsi engendré les termes de “beachnesia” – l’émotion de voir une plage connue engloutie par la montée des eaux – ou “époquétude”, l’idée – plus ou moins rassurante – que même si l’humanité réussit à se détruire, la terre nous survivra…
D’autres termes désormais plus communs – le flygskam (la honte de prendre l’avion), mais aussi le survivalisme ou la collapsologie – témoignent encore de ce renouveau lexical.
Écopsycologie
L’étude de ces interrelations entre la nature et la psyché humaine est d’ailleurs au coeur de “l’écopsychologie”, terme apparu dans les années 1990, sous la plume de l’historien américain Theodore Roszak. À partir de la notion d’inconscient collectif de Carl Jung, il introduit la notion d”inconscient écologique”, soit l’idée qu’il existe en chacun une mémoire profonde d’un lien entre l’humanité et la nature.
“Humain vient du latin ‘humus’, la terre : si l’on nie cette part de nature qui est en nous, et si l’on refoule la mort, on risque de passer à côté de notre vie !”, plaide aussi Pierre-Eric Sutter.
Écotherapie
Des médecins prescrivent même de “l’écothérapie” – du jardinage ou de simples balades en forêts – à leurs patients. Pour sortir de l’angoisse et de la dépression, adopter de “petits gestes” écolos au quotidien peut aussi être une voie possible, de même que le militantisme.
La voie choisie par Greta Thunberg, avec une énergie folle – et une émotion parfois jugée excessive – mais qui a su entraîner des millions de jeunes dans son sillage.