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En 1821, la première enquête officielle sur le changement climatique en France

Les luttes écologiques n’ont pas attendu Greta Thunberg. L’ouvrage collectif « Une histoire des luttes pour l’environnement » retrace trois siècles de résistance à l’idéologie du progrès. En voici un extrait, consacré à la première enquête sur le changement climatique.

Le 06/10/2021 par Alice Pouyat
Carrières dans la forêt de Fontainebleau (1833) par Caruelle d'Aligny. (Crédit Wikimedia)
Carrières dans la forêt de Fontainebleau (1833) par Caruelle d'Aligny. (Crédit : Wikimedia)
Carrières dans la forêt de Fontainebleau (1833) par Caruelle d'Aligny. (Crédit : Wikimedia)

Les grèves pour le climat, les blocages d‘Extinction Rebellion, les succès électoraux des écolos… En ce XXIe siècle, la préoccupation pour le changement climatique ou la biodiversité touche une part croissante de la population. Aboutissement d’une prise de conscience vraiment entamée dans les années 1970 ? Fin d’une longue foi collective dans le progrès née lors de la révolution industrielle ?

Voilà qu’un ouvrage collectif déconstruit ce récit. Une histoire des luttes pour l’environnement met en lumière les nombreux combats et débats environnementaux qui ont parcouru les trois derniers siècles. 

Autant de luttes qui montrent que l’histoire du “progrès” est loin d’être linéaire, que des attachements humains et non humains ont toujours existé, que des voix divergentes se sont toujours élevées.

Une histoire des luttes pour l’environnement, 18e – 20e Trois siècles de débats et de combats, d’Anne-Claude Ambroise-Rendu, Steve Hagimont, Charles-François Mathis et Alexis Vrignon, aux éditions Textuel, septembre 2021, 304 p., 45 euros.

Des luttes loin d’être anodines. On y découvre combien les pollutions inquiétaient les Britanniques au XIXe siècle. Que des peintres français lancèrent une Zad pour protéger la forêt de Fontainebleau. Qu’en 1888 des agriculteurs japonais se mobilisèrent contre les produits toxiques dispersés par l’industrie minière. Que l’on s’intéressa au prix des services rendus par la nature dès les années 1900…

De quoi nourrir la réflexion sur les enjeux d’actualité. Ces combats interrogeant déjà le rôle des citoyens, des scientifiques, la compatibilité entre la croissance économique, la préservation des ressources, les libertés… De quoi inspirer aussi les luttes d’aujourd’hui. 

Un précieux ouvrage donc, nourri pour chaque « combat” d’une iconographie très riche – coupures de presse, peintures, lettres… – qui rend d’autant plus vivante cette histoire des luttes pour l’environnement.

En voici un extrait consacré à la première enquête française sur le changement climatique.

La première enquête officielle sur le changement climatique en France. 1821

Trois années durant, l’éruption du volcan Tambora, en Indonésie, survenue en 1815, bouleverse le climat. En janvier 1820 encore, une vague de froid exceptionnelle dévaste les oliviers du midi de la France. Les productions agricoles européennes en sont très affectées, sans que personne n’en connaisse la cause. Les hivers particulièrement rudes, les sécheresses, les étés froids ou les crues catastrophiques sont-ils entièrement naturels ? Le déboisement, en perturbant le cycle de l’eau, n’en serait-il pas la cause ? 

Depuis l’époque moderne, certains savants et administrateurs s’interrogent sur les relations entre la couverture forestière et le climat, local et parfois plus global. La découverte de climats fort différents sous les mêmes latitudes interroge, tandis que la compréhension de la photosynthèse entre le XVIIIe et le début du XIXe siècle a pour effet de renforcer le statut des arbres.

L’impression que l’on a affaire à un dérèglement complet du temps incite le ministère de l’Intérieur français à lancer, en 1821, une enquête pour comprendre les « variations subites des saisons » depuis la Révolution. Des archives exceptionnelles sont alors produites, exhumées depuis peu par Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher.

Le déboisement mis en cause

Après avoir fourni le combustible industriel essentiel à la première industrialisation française (métallurgie, verreries, tuileries, brasseries, salines) et répondu aux besoins croissants en matière de construction et de chauffage, les forêts atteignent en effet leur minimum historique en Europe : on estime que seuls 13 % de la superficie de la France métropolitaine sont encore boisés au moment de l’enquête.

La Restauration, pour régler la dette publique, a procédé à des ventes de bois, mais elle préfère incriminer les dévastations de la Révolution et des paysans de montagne plutôt que reconnaître sa responsabilité. Les réponses à l’enquête doivent confirmer ces hypothèses. Préfets, sous-préfets, maires, grands propriétaires, sociétés savantes rapportent les fruits de leurs observations locales.

Mais la confusion règne dans les réponses. Pour une même région, certaines d’entre elles notent un adoucissement et d’autres un refroidissement. Les sens et la mémoire ne suffisent pas en effet pour rendre compte de la réalité du climat. L’enquête française ne débouche ainsi sur rien d’autre qu’une certitude, durablement ancrée bien qu’infondée : l’influence néfaste du déboisement des montagnes sur le climat de la nation tout entière.

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