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« Frères des arbres », dans la lutte des Papous contre la déforestation

Le 29/01/2019 par Pauline Vallée

Les internautes ont fait leur choix. Le film “Frères des arbres : l’appel d’un chef papou”  ressort grand vainqueur de la seconde édition du Greenpeace Film Festival. Quinze documentaires écolos étaient accessibles gratuitement en ligne du 14 au 28 janvier 2019, et soumis aux votes du public. Le co-réalisateur et photographe Marc Dozier revient pour We Demain sur le tournage de ce documentaire émouvant, marchant dans les traces du chef papou Mundiya Kepanga et de son combat contre la déforestation.
 

  • We Demain : Le chef Mundiya Kepanga est la figure centrale du film que vous avez co-réalisé avec Luc Marescot. Comment vos chemins se sont-ils croisés ?

Marc Dozier : Nous nous sommes rencontrés en 2001, alors que Mundiya Kepanga me servait de guide pendant une de mes expéditions en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Deux ans plus tard, il me rendait visite en France avec son cousin. Une grande histoire d’amitié a commencé. Nous avons d’abord réalisé ensemble un premier film, « L’exploration inversée », diffusé par Canal+ et qui a été diffusé partout autour du monde, notamment sur National Geographic.

Mundiya est un personnage très charismatique doté d’une très forte personnalité. Il se définit lui-même comme un primitif qui ne sait ni lire ni écrire, et pourtant il est devenu au fil du temps un réalisateur, un conférencier et un activiste engagé pour la défense de l’environnement. Son engagement pour la défense de la nature a des racines personnelles mais aussi traditionnelles. Sa tribu considère que les hommes sont les frères des arbres, son père lui a appris à en planter et il l’apprend à ses enfants. Le film était pour lui un moyen de partager son message avec les “hommes blancs”.

 
  • Comment est née l’idée du documentaire ?

Robert Redford a proposé à Mundiya Kepanga d’intervenir à l’UNESCO au moment de la COP21 en 2015. Nous avons réalisé un premier petit film sur la question de la déforestation qui s’appelait déjà « Frères des arbres ». Ensuite, avec la productrice Muriel Barra de Lato Sensu production, nous avons montré le teaser à Arte qui nous a dit “c’est super, faites-en un film plus long”.

Le tournage a pris un an et demi, avec plusieurs allers-retours entre la Papouasie et la France. Ce qui fait plaisir avec ce film, c’est que les gens s’en emparent, il leur donne envie d’agir. Lors de notre tournée de présentation en mars dernier, des élèves près de Carcassonne ont planté eux-mêmes 200 arbres dans leur village. Et après le message de Mundiya, le maire d’Arcachon a décidé que chaque nouvelle naissance soit l’occasion de planter un arbre.

 
  • Vous tournez de nombreux plans dans une des dernières forêts primaires de la planète. Est-ce un lieu difficile à filmer ?

Luc Marescot a une grande expérience du tournage en forêt et nous avons utilisé toutes sortes d’outils pour donner vie à cet environnement. Le système du “cable cam” (caméra sur câbles) par exemple permet de filmer les arbres au plus près : la caméra frôle les branches et donne des images très belles, sensuelles. Le drone et un système de caméras stabilisées donnent aussi l’impression de voler au milieu des arbres.

Les gros plans sur les animaux demandent également beaucoup de préparation. Filmer la naissance d’un Queen Alexandra, le plus grand papillon du monde, ne s’improvise pas. Il a fallu aller sur place des mois à l’avance pour rencontrer les communautés éleveuses de papillons, leur expliquer notre démarche, demander à voir des chrysalides… Rien n’est laissé au hasard, même si nous avons eu beaucoup de chance de pouvoir assister à une éclosion.

  • Vous parlez de préparation et de hasard, mais l’équipe a aussi pris des risques ! Je pense à la séquence où vous vous introduisez dans une exploitation forestière…

Je m’étais déjà rendu sur place avant le tournage du film, en me faisant passer pour un membre du gouvernement. Les exploitants asiatiques étaient très suspicieux mais m’ont permis d’aller dans le camp au milieu de la forêt. C’était hallucinant, je filmais tout ce que je pouvais en me disant que je ne pourrais jamais revenir.

Lors du tournage de “Frères des arbres”, le fixeur Philippe Gigliotti qui connaît très bien la Papouasie est retourné dans le camp et est parvenu à organiser le tournage en passant par le réseau papou. Ça a fonctionné. Nous avons pu de nouveau nous infiltrer avec nos caméras et nos drones. Les exploitants nous surveillaient, c’était un peu le jeu du chat et de la souris. Tout s’est fait au culot : c’est ce qui nous a permis de tourner des images d’une telle qualité sur un site où nous n’étions clairement pas les bienvenus.

 
  • Comment se sent-on au milieu de ces troncs coupés gigantesques ?

Tout petit. Ces arbres centenaires nous renvoient à notre propre condition humaine. Mais l’objectif du film n’est pas de jeter la pierre. Certains coupent les arbres, d’autres en font le commerce, d’autres les achètent. Tout le monde veut protéger la forêt, mais tout le monde participe aussi à sa destruction d’une façon ou d’une autre.

 
  • La culpabilité n’est donc pas le meilleur moteur pour pousser les gens à agir selon vous…

En voyant le film, on peut être tenté de se dire : “oh les pauvres Papous, on coupe leur forêt sans rien leur demander” ou alors “ils ne devraient pas couper la forêt, il faut la laisser telle quelle”. C’est une vision très occidentale du problème. Personne ne force les Papous à couper leurs arbres, ils le font pour manger et envoyer leurs enfants à l’école. On ne peut pas leur dicter ce qu’ils doivent faire, par contre on peut réfléchir à des alternatives économiques. Le village de Mundiya Kepanga gère une chambre d’hôte depuis dix ans. Si des touristes payent pour venir admirer les oiseaux de paradis, ils ont tout intérêt à préserver ces oiseaux et la forêt où ils vivent.

  • Mais doit-on forcément donner une valeur économique à la Nature pour la protéger ?

Nous, les Occidentaux, avons une vision très romantique de la forêt. La majeure partie des sociétés traditionnelle ne considère pas la forêt comme un espace de promenade mais comme une zone économique. Elle leur fournit des ressources pour vivre, le bois pour construire une maison, les animaux pour chasser. Si vous marchez dans la forêt en Papouasie, vous vous trouvez sur les terres de quelqu’un. Ramasser un gland par terre revient à voler dans son frigo. Nous avons beaucoup de mal à le comprendre, et pourtant nous fonctionnions de la même manière il n’y a encore pas si longtemps. À l’époque des rois, les paysans n’avaient pas le droit d’aller dans la forêt d’un autre village ou encore d’y chasser.
 

  • Les choses ont-elles évolué pour les forêts de Papouasie depuis le tournage en 2016 ?

La loi a changé. C’était un tel pillage que le gouvernement a mené une enquête indépendante et a annulé tous les permis de concession qui avaient été donnés. Le nombre d’exploitations a beaucoup baissé. C’est encourageant. J’aimerais bien faire un second documentaire pour dévoiler le travail de tous les « frères des arbres » qui se battent pour protéger la forêt.

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