Partager la publication "Hubert Reeves : « Que mangera-t-on dans cinquante ans si nous continuons à malmener les sols ? »"
Retrouvez aussi notre enquête « Sauve le ver de terre, il te sauvera », parue dans le numéro d’été de We Demain
- We Demain : Les vers de terre sont-ils en danger ?
Hubert Reeves : Ils le sont dans les sols cultivés selon des méthodes intensives, où sont employés des pesticides, des produits phytosanitaires, des techniques de labour profond et des machines agricoles très lourdes qui compactent les sols. C’est pourtant dans ces sols qu’on a le plus besoin d’eux ! Alors que la population humaine mondiale ne cesse d’augmenter, sauvegarder les vers de terre, comme les insectes pollinisateurs, est devenu un enjeu crucial de notre époque.
- En France, plus de 200 espèces de vertébrés se nourrissent de lombrics (perdrix, taupe, hérisson, crapaud, blaireau, sanglier…). Quels sont les effets de la baisse des populations de vers de terre sur toute cette faune ?
Les vers de terre ont un rôle essentiel dans le maintien de la biodiversité. Il existe dans la nature des équilibres entre les prédateurs et les proies, de sorte que des espèces vivent et évoluent en interdépendance. L’intervention humaine a rompu ces équilibres, le résultat est comparable à un jeu de dominos : une espèce disparaissant d’un milieu, elle en entraîne d’autres avec elle.
- Comment l’association Humanité et Biodiversité, dont vous êtes le président d’honneur, agit-elle pour protéger les vers de terre et alerter sur leur place centrale dans la vie des sols ?
Nous sensibilisons à la nocivité des produits chimiques répandus sur les cultures et dont les effets sur la biodiversité – vers de terre, abeilles, oiseaux, mammifères, végétaux… sont particulièrement graves. Nous multiplions les plaidoyers auprès des élus lors de projets de loi qui mettraient en danger la biodiversité et les milieux naturels – le feuilleton du glyphosate est un bon exemple. Sensibiliser à la défense des lombriciens permet aussi d’aborder un problème majeur de l’humanité : que mangera-t-on dans cinquante ans si nous continuons à malmener les sols, à faire disparaître les vers de terre et la biodiversité ?
- Dans « Mal de terre » (Le seuil, 2013), vous dressiez un bilan précis des menaces qui pèsent sur la planète, dont l’extinction massive des espèces vivantes depuis les années 1950. Où en est-on cinq ans plus tard ?
Nous vivons une situation paradoxale. D’un côté, nous rejetons toujours plus de gaz carbonique, nous produisons plus de déchets, nous détruisons plus de forêts, etc. De l’autre, l’engagement pour protéger l’environnement progresse, des alternatives se développent et de plus en plus de mesures sont prises pour corriger nos dégâts et restaurer les milieux naturels. Un combat immense entre deux grandes puissances prend forme et son issue reste totalement incertaine. Chaque décision prise aujourd’hui influencera la vie humaine et l’état du monde pour les siècles prochains.
- Quelles leçons peut-on tirer de l’étude des astres et de leur formation pour les appliquer à notre manière d’appréhender la biodiversité terrestre et mieux la protéger ?
C’est de l’histoire de la Terre dont nous pouvons plutôt tirer des leçons. Bien que cette fois l’origine en soit humaine, des crises comme celle que nous vivons se sont déjà produites par le passé (réchauffement climatique, hausse du CO2 dans l’atmosphère, extinction des espèces…). Certaines espèces comme les vers de terre ou les tortues, qui existent depuis des centaines de millions d’années, nous apprennent que si nous ne sommes pas capables de nous adapter, alors nous disparaîtrons. Beaucoup d’autres espèces, animales ou végétales, ont disparu car elles n’ont pas réussi. C’est la loi de la nature, et aucune espèce n’y échappe.
Retrouvez aussi notre enquête « Sauve le ver de terre, il te sauvera », parue dans le numéro d’été de We Demain, en exclusivité sur Europe1.fr