Partager la publication "Lutte contre le changement climatique : ces émissions de méthane évitables"
Du méthane, l’on sait généralement que c’est un gaz produit par les ruminants que l’on peut aussi retrouver dans nos gazinières ou notre chaudière. Ce qui est moins connu, c’est ce qu’il est possible de faire pour réduire significativement ces émissions, et l’impact que cela aurait sur le réchauffement climatique actuel. Une restriction qui parait cruciale quand on sait que le méthane est le deuxième gaz à effet de serre responsable de la crise climatique actuelle, après le dioxyde de carbone (CO2).
Mais alors que le CO2 persiste, le méthane réagit avec d’autres molécules présentes dans l’atmosphère. Ainsi, il se dégrade au bout d’environ neuf ans et devient du CO2. Par contre, la molécule de méthane (CH4) a un pouvoir radiatif beaucoup plus important que celle de CO2 : elle cause un réchauffement de l’atmosphère 84 fois plus important sur 20 ans. C’est pourquoi une réduction des émissions de méthane a des effets beaucoup plus immédiats et efficaces sur le climat. Pour exploiter cette opportunité de taille, L’Union européenne (UE) vient récemment d’adopter un texte sans précédent pour réduire nos émissions, mais savez-vous où réside ce potentiel ?
En Europe, les émissions viennent en majorité de l’agriculture (38 % en 2022), issue principalement de produits de fermentation dans les estomacs des ruminants. Cependant, contrairement aux idées reçues, la plupart de ces émissions ne sont pas issues des flatulences ou des rots de ces animaux, mais de leur expiration. Le méthane est plus généralement issu de la fermentation en général, donc émis aussi par nos déchets organiques, ou naturellement par les eaux stagnantes.
Mais une part significative des émissions est anthropique, c’est-à-dire émise par les activités humaines, notamment l’industrie des énergies fossiles qui totalise 30 % des émissions anthropogènes en 2017.
Contrairement au CO2, ce n’est pas en brûlant du pétrole, charbon ou gaz naturel que le méthane se forme. Le méthane est du gaz naturel. Il peut ainsi être directement exploité comme source d’énergie que l’on retrouve dans nos foyers pour alimenter les cuisinières à gaz ou les chaudières. Mais sous la terre, le méthane est toujours présent à côté des gisements de pétrole et de charbon. Ce gaz hautement inflammable est d’ailleurs responsable des « coups de grisou », ces explosions souvent mortelles pour les ouvriers travaillant dans les mines.
Encore aujourd’hui, l’extraction et la distribution de pétrole et de gaz naturel provoquent des fuites de méthane. Des fuites pouvant être minimes, mais aussi parfois à l’origine de rejets accidentels d’une autre échelle, notamment sur les sites d’exploitation. Un puits de pétrole aux États-Unis en 2019 a ainsi éclaté ou plus récemment au Kazakhstan. Dans ce dernier cas, les quantités de méthane émises en 6 mois correspondent à la consommation énergétique annuelle de presque 500 000 foyers.
En Europe, on estime que la majorité des émissions de méthane de l’industrie fossile sont dues aux fuites. Mais il n’a jusqu’à présent jamais été demandé aux opérateurs de contrôler, ou à minima de mesurer ces pertes.
Ainsi, lorsque les états commencent à s’intéresser à ce potentiel de réduction des émissions, les informations fiables viennent à manquer. Or, il est important de connaître ce qui est émis et où pour pouvoir agir le plus efficacement possible. Pour pallier ce manque, les scientifiques combinent les dernières techniques de mesures sur le terrain avec des outils d’intégration pour estimer le plus précisément possibles les émissions à l’échelle régionale.
En 2019, nous nous sommes ainsi intéressés aux fuites de méthane de l’industrie fossile en Roumanie, deuxième producteur de pétrole (derrière l’Italie) et de gaz naturel (derrière les Pays-Bas), de l’Union européenne. Le pays rapporte des émissions de méthane historiquement élevées, qui semblent diminuer avec la baisse de production. Mais des valeurs changeantes figurent sur les inventaires d’une année sur l’autre : par exemple les émissions de 2000 sont presque deux fois plus importantes dans l’inventaire de 2018 que dans celui de 2015.
Pour nous assurer d’apporter de la clarté dans ce flou, nous avons mobilisé 14 équipes de recherche, soit près de 70 personnes, avons déployé avions et drones dans toute la partie sud du pays, là où est située la majorité de la production pétrolière, et avons utilisé 5 méthodes différentes de quantification des flux de méthane à l’échelle locale.
Les résultats sont sans appel : nos estimations des émissions totales de méthane de l’industrie pétrolière roumaine sont 2 à 5 fois supérieures aux chiffres de précédents rapports officiels. Nous avons aussi pu constater directement avec des caméras infrarouges des fuites sur la moitié des sites visités.
Deux méthodes sont utilisées afin de ventiler les gisements pétroliers et miniers :
Or sur les installations visitées, nous avons le plus souvent observé des émissions venant de tube ouvert à l’air libre, libérant du méthane pur dans l’atmosphère (dégazage).
Autre constat frappant : on a trouvé moins d’émissions près de sites où un autre gaz dangereux est naturellement présent : le sulfure d’hydrogène. Cela prouve que quand cela est nécessaire pour des raisons de sécurité, l’entreprise exploitante est capable de surveiller les fuites plus efficacement, mais n’applique pas ces mesures à l’ensemble de ses installations.
Nos conclusions révèlent ainsi l’ampleur du gâchis, mais aussi un potentiel de réduction de ces émissions « inutiles » de gaz à effet de serre.
Ces résultats, ainsi que des études américaines préalables, révèlent une grande opportunité pour réduire immédiatement les émissions de méthane au niveau mondial.
Pour agir dans ce sens, il suffirait de contraindre les exploitants à surveiller les fuites, à les réparer régulièrement, et à entretenir leurs installations pour en éviter de nouvelles. Il faudrait également changer les pratiques et stopper le dégazage et le torchage pour (ré-) injecter le gaz dans le réseau.
Ces mesures seules, ne représentant aucune perte sur investissement, si implémentées avant 2030 sur le secteur du pétrole, gaz naturel et charbon, permettraient de réduire de 0.20 C le réchauffement à l’horizon 2100, et même 0.5 C en considérant l’ensemble des mesures envisageables sur d’autres secteurs d’émissions de méthane.
Le potentiel de la réparation de ces fuites à l’échelle globale est donc immense si on vise toutes les régions productrices de combustible fossile, pour lesquelles on peut s’attendre à ce que la situation soit similaire, voir pire. Déjà, nos observations en Roumanie ont permis l’accélération du débat à l’échelle européenne.
En effet, l’Europe a amené plus de 100 pays à signer le Global Methane Pledge lancé durant la COP26. Le continent étant le premier importateur de pétrole et de gaz naturel au monde, avec une dépendance en gaz de 90 %, et en pétrole de 97 %, il est de notre responsabilité d’imposer des changements rapides dans les pratiques des exploitants aussi en dehors de l’Union. Les entreprises exploitantes ont d’ailleurs intérêt à capturer ce gaz qui peut être valorisé comme énergie, et elles seules ont la capacité d’entretenir leurs installations sans investissement.
En 2020, la Commission européenne annonçait la création de l’observatoire des émissions de méthane internationales. Puis est venue, en novembre 2023, une série de mesures destinées à s’attaquer aux émissions de méthane de l’industrie fossile, dans le cadre de « European Green Deal », et votée le 10 avril 2024 à la majorité. Cela inclut, pour les entreprises exploitantes :
Enfin, le texte inclut l’extension de ces standards à l’international d’ici à 2027, pour les importations de pétrole, gaz et charbon, sous peine de non-renouvellement des contrats.
C’est une victoire que d’avoir enfin obtenu des mesures qui régulent ces émissions superflues, et les exploitants roumains ont déjà débuté leur mise en œuvre. Nous prévoyons cependant de nouvelles campagnes de mesures pour vérifier et quantifier les réductions. L’acquisition de données scientifiques publiques et indépendantes sur ces activités habituellement confidentielles a changé la donne, et doit se poursuivre. Des méthodes permettent maintenant d’intégrer nos résultats aux inventaires d’émissions de gaz à effet de serre, qui servent de base aux négociations.
Les nouveaux standards européens devront, on l’espère, être appliqués systématiquement. Le défi est qu’ils servent de base pour des pratiques plus propres à l’échelle globale. Malgré tout, cela ne reste qu’une étape ; car pour limiter le réchauffement futur, nous devrons surtout réduire drastiquement de notre dépendance à ces ressources qui ont mis des millions d’années à se déposer sous nos pieds.
À propos des auteurs :
Malika Menoud. Postdoc in atmospheric chemistry, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay.
Thomas Röckmann. Professeur en Physique, Utrecht University.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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