Pourquoi l’épidémie est une fausse bonne nouvelle pour la planète

Silence des villes, dauphins qui reviennent dans les ports, baisse générale de la pollution… Alors que près d’un tiers de l’humanité se retrouve confinée pour enrayer l’épidémie de coronavirus, des cartes, photos et vidéos, largement relayées sur les réseaux sociaux, montrent un monde où le ralentissement, voire la suspension, des activités humaines, offre à la nature une respiration.
 

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Certes, la baisse du trafic routier et aérien entraîne une chute temporaire du taux de dioxyde d’azote, un gaz à effet de serre, en Chine et dans le nord de l’Italie. Dans les villes, les oiseaux et petits animaux sauvages investissent les rues et parcs désertés.

L’extension à grande vitesse du virus ainsi que la pénurie de masques mettent aussi en évidence les limites de la mondialisation, amenant certains à proposer une relocalisation de la production. La crise sanitaire change aussi notre regard sur le monde : confinés, nous nous voyons contraints d’adopter un mode de vie plus lent, et peut-être plus humain.

Quand la crise climatique passe au second plan

Voir l’épidémie actuelle comme une chance pour la planète serait toutefois trop optimiste. D’abord parce qu’en saturant les radars médiatiques, et bousculant l’agenda politique, la crise détourne l’attention de la crise climatique.

Plusieurs réunions importantes, comme la 15e Conférence des parties de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique, qui devait se tenir fin octobre en Chine, ou le Congrès mondial pour la nature de l’UICN, prévu pour juin 2020 à Marseille, seront vraisemblablement reportées.
 

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Bien que compréhensible, ce changement de calendrier repousse encore les grandes décisions internationales attendues pour lutter contre le changement climatique et la sixième extinction de masse. Le contexte économique fragilise aussi le Green New Deal européen. Le plan ambitieux à 100 milliards d’euros, annoncé par la présidente de la Commission européenne en décembre dernier pour financer la transition écologique, pourrait être relégué au second plan par les pays membres, davantage occupés à redresser leur propre économie. La Pologne et la République Tchèque ont déjà appelé l’Union Européenne à reporter sa mise en application.

Vers un retour à la hausse des émissions de gaz à effet de serre ?

Il est aussi un autre problème que souligne François Gemenne, chercheur et membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) : celui du caractère éphémère de ces « bonnes nouvelles” environnementales. « Les émissions ont toujours tendance à rebondir, après une crise. On le voit déjà en Chine, on l’a vu après la crise de 2008-2009”, écrit-il sur Twitter. “Le climat a besoin d’une baisse soutenue et régulière des émissions de gaz à effet de serre, pas d’une année ‘blanche’« .
Les réductions d’émissions liées au coronavirus ne sont pas structurelles : elles vont disparaître dès que le transport de biens et de personnes sera rétabli après l’épidémie”, renchérit Félicien Bogaerts, vidéaste et militant écolo, dans une des dernières vidéos publiées sur la chaîne YouTube du Biais Vert. Le gouvernement canadien préparerait déjà un plan massif de plusieurs milliards de dollars pour soutenir les filières pétrolières et gazières.

Dans le pire scénario, les émissions pourraient repartir encore plus fortement à la hausse dès la fin du confinement, grâce au faible prix du pétrole, qui encourage “les acteurs économiques, mais aussi citoyens, à reprendre de plus belle leurs habitudes et pratiques carbo-intensives avec un prix à la pompe qui devrait fortement baisser dans les semaines à venir”, alerte l’économiste Eric Vidalenc sur son blog d’Alternatives Economiques.
 

Décroissance et changement de modèle

Mais le plus grand danger, estime François Gemenne, serait que la crise actuelle “donne aux gens l’idée que la lutte contre le changement climatique demande l’arrêt complet de l’économie”. En entérinant un peu plus la confusion entre récession et décroissance, que Félicien Bogaerts appelle à bien distinguer : “la récession est subie, elle n’est jamais souhaitable, la décroissance est un projet politique”.

“II y a une différence entre se retrouver au chômage du jour au lendemain dans le système actuel, et vivre dans une société décroissante où il convient de moins travailler pour produire moins”, poursuit le militant belge.

La période d’après-crise s’annonce donc décisive. Certains invitent d’ores et déjà à un changement radical de civilisation, comme le neuropsychiatre Boris Cyrulnik : « Etre résilient, c’est aller vers un nouveau développement », rappelle-t-il à We Demain.  L’ancien ministre de l’Environnement Yves Cochet appelle à la création de biorégions décroissantes pour se prémunir des aléas, quelqu’ils soient. Cette crise sanitaire, et notre manque de préparation, pousseront-ils à regarder enfin en face les risques climatiques et environnementaux ?

On peut encore espérer une transformation, mais elle ne viendra pas de la crise sanitaire en elle-même : il faudra un plan de relance inédit qui prenne pleinement en compte l’urgence climatique, environnementale et sociale”, appuie l’ONG Greenpeace. Les associations s’activent déjà pour proposer des mesures post-confinement dans ce sens. En espérant qu’elles seront entendues par les pouvoirs publics…

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