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En parapente, il traque la pollution des Alpes

Équipe de quatre capteurs de particules, le scientifique grenoblois Nicolas Plain survole les Alpes en parapente pour y mesurer la pollution. De quoi réaliser une carte inédite, sans émettre 1 gramme de CO2.

Le 11/02/2021 par Ines Lombardo
L'air des montagnes est-il si pur ? C'est ce que cherche à  étudier l'ingénieur Nicolas Plain. (Crédit : Nicolas Plain)
L'air des montagnes est-il si pur ? C'est ce que cherche à  étudier l'ingénieur Nicolas Plain. (Crédit : Nicolas Plain)

« Tu peux courir ! » L’injonction n’est pas simple à concrétiser dans une pente en pleine montagne. Surtout pour ma première en parapente. Soumis aux bonnes volontés des thermiques, ces courants d’air chauds qui élèvent l’engin, le scientifique parapentiste de 27 ans Nicolas Plain et moi-même rasons les falaises de Saint-Nazaire-les-Eymes (Isère). La crainte que l’aile ne s’encastre dans les roches est vite chassée par la beauté des Alpes françaises. Mes cris de surprise passés, le parapente se met à voler, offrant une vue verdoyante sur la chaîne de Belledonne d’un côté, le massif de la Chartreuse de l’autre, et le Vercors à l’horizon. Au centre, des routes, habitations et zones commerciales. Au-dessus de Grenoble, un épais nuage de pollution.

Cet article a initialement été publié dans We Demain n°27, encore disponible sur notre boutique en ligne.

Déjà, l’un des capteurs que nous avons embarqué indique 75 NO2, un fort taux de dioxyde d’azote résultant de combustions. Nicolas Plain soupire : « Tous les matins, il y a un pic de ce type de particules, très mauvaises pour la santé. Et je ne sais pas d’où ça vient !  » C’est l’un des objectifs de son projet de traversée des Alpes en parapente : localiser les sources de pollution. Avec l’espoir ténu de les éradiquer rapidement….

80 à 100 % des glaciers alpins sont censés disparaître au cours du siècle

C’est l’état de l’environnement, chaque année plus sec et plus pollué, qui a poussé Nicolas Plain à survoler ces montagnes pour mieux les connaître et les protéger. Les Alpes sont les plus touchées par le réchauffement climatique en Europe : 80 à 100 % des glaciers alpins sont censés disparaître au cours du siècle. Depuis 2003, la perte de masse s’accélère. Les glaciers de la Mer de Glace et d’Argentière (Massif du Mont-Blanc) perdent chaque année en moyenne 1,70 et 1,40 mètre d’eau respectivement depuis 2003.

Un phénomène dont la pollution atmosphérique est en grande partie responsable car elle concentre des polluants qui influent directement sur le réchauffement climatique : le dioxyde d’azote, les particules fines, l’ozone.

Au siècle dernier, sécheresses et chaleurs – parfois pires que celles que nous connaissons – existaient déjà. Mais elles étaient dues à un dérèglement climatique naturel. « Le réchauffement actuel est 100 fois plus rapide que les précédents à cause de son origine anthropique, pointe l’Isérois, ingénieur en sciences du climat et de l’environnement. Il rend l’adaptation des espèces très difficile. » À commencer par celle de l’espèce humaine, d’autant que « par le passé, il n’y avait pas 7,5 milliards d’individus sur la planète ! » Le noir de carbone par exemple, est composé de particules issues de la pollution humaine (pot d’échappement, chauffage,etc.). Elles contribuent à accélérer le réchauffement climatique et la fonte des glaciers car très fines et noires, elles absorbent bien les rayons du soleil.

Sa volonté d’agir, un événement l’a accélérée : la COP21. Intégré à l’équipe interministérielle du cabinet de Ségolène Royal dans le cadre de la Conférence climat de 2015, il est témoin de la passivité ambiante : « Les politiques n’avaient même pas le temps de lire les rapports et articles scientifiques ! La vision à long terme d’un changement de comportement est passée
à la trappe. » Selon lui, les crises migratoires actuelles, qui créent tensions et montées des extrêmes en France et en Europe, ne sont « rien par rapport aux réfugiés climatiques futurs ».

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« Laboratoire volant »

L’autre problème, selon Nicolas Plain, vient de la communauté scientifique qui ne partage pas et ne vulgarise pas suffisamment ses travaux. « Nous sommes à un tel point d’urgence climatique que le transfert de nos informations vers la société civile et les politiques devient vital. » L’homme décide alors d’allier son savoir et sa passion du parapente pour réaliser des interviews vidéo de spécialistes du climat… dans les airs ! Il les relaie sur les réseaux, la « seule manière de rendre réceptif un public qui ne s’informe par sur ces sujets. »

Le projet prend son envol lorsque Nicolas Plain entame sa thèse sur les énergies renouvelables à l’université Grenoble-Alpes (UGA), en mars 2017. En contact avec une équipe de chercheurs alors en plein développement de capteurs servant à mesurer la qualité de l’air, il transforme son parapente un « laboratoire volant » auquel il fixe quatre capteurs différents. Grâce à ce dispositif, un vol réalisé cet été au-dessus des Alpes, de Cannes à Salzbourg en Autriche, va lui permettre de dresser une carte de la qualité de l’air dès cet automne. Quatre types de particules seront pris en compte pour calculer l’indice global de la qualité de l’air : les PM10 (particules très fines), PM2.5 (plus fines encore), les NO2 (dioxyde d’azote) et les COV (carbones volatiles organiques). À l’échelle mondiale, ces mesures sont inéditessur un tel territoire. Nicolas Plain
a une obsession en tête : vérifier si l’air de la montagne est aussi pur que prétendu. « Dans certains cas, peut-être, admet-il. Dans d’autres, nous voulons démontrer que malgré la configuration, l’air n’a rien de pur. » Pour le déterminer, il a identifié plusieurs lieux, comme la vallée de L’Arve, où un médecin a constaté une augmentation significative du nombre de patients atteint d’asthme.

La rencontre de spécialistes de la santé des Alpins et des habitants fait partie intégrante de l’expérience de Nicolas et son équipe. En plus des mesures, les scientifiques veulent savoir comment les habitants appréhendent le changement climatique au quotidien.

De ce projet ambitieux est né le film, Il faut sauver les Alpes ». Réalisé par Nicolas Plain et Laurent Liechtenstein, il a reçu le grand prix documentaire du Deauville Green Awards. Il sera rediffusé samedi 13 Février à 10h20 sur TF1. Son objectif : que « scientifiques et populations se mettent au travail ensemble rapidement. »

 

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