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« Il y a une dynamique pour réguler le trafic aérien »

Le 09/07/2019 par Alice Pouyat
La décroissance de l'aviation, voilà  le thème de la première conférence internationale du mouvement Stay Grounded. (Crédit : Capture d'écran de l'affiche de la conférence)''
La décroissance de l'aviation, voilà  le thème de la première conférence internationale du mouvement Stay Grounded. (Crédit : Capture d'écran de l'affiche de la conférence)''

Ils vont converger vers Barcelone, à pied, en bus, en train, mais certainement pas en avion. Du 12 au 14 juillet, les membres du mouvement Stay Grounded (littéralement « Reste à terre ») se retrouvent dans la capitale catalane pour une première conférence internationale.
 
Composé de plus d’une centaine d’ONG, de syndicats, d’universitaires, de militants écologistes et de soutiens au train de nuit, le mouvement Stay Grounded lutte contre le développement massif du trafic aérien et ses émissions de CO2. Un essor très peu régulé jusqu’ici, non évoqué dans le Protocole de Kyoto (1995) ni dans l’Accord de Paris (2015).
 
Leurs premières actions concertées ont eu lieu en 2016 dans les aéroports de Vienne, Londres, Mexico, Istanbul, Sydney et en France sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Puis le mouvement s’est fédéré en réseau international en 2018.

À l’heure des grèves des lycéens pour le climat, du flygskam – ce mot venu de Suède qui désigne la honte de prendre l’avion -, et de la première suppression d’une ligne ( les vols Amsterdam-Bruxelles) pour des raisons climatiques, le mouvement Stay Grounded fait de plus en plus entendre sa voix.

En France, le gouvernement a annoncé le 9 juillet l’instauration d’une écotaxe dès 2020 sur tous les billets d’avion au départ de la France, sauf vers la Corse, l’Outre Mer et les vols en correspondance. Son montant variera en fonction de la distance et de la catégorie du billet (de 1,50 euro en classe économique sur les vols intérieurs, jusqu’à 18 euros en classe affaire sur les vols hors UE).  Les 182 millions d’euros collectés à partir de 2020 devraient être consacrés aux développement des transports plus écologiques, notamment ferroviaires.

  
Avant son départ, en bus, à Barcelone, nous nous sommes entretenus avec Anne Kretzschmar, la coordinatrice de la conférence internationale de Stay Grounded.
 

  • We Demain : Comment expliquez-vous la récente prise de conscience, dans l’opinion publique, de la pollution émise lors des trajets en avion ?

 
Anne Kretzschmar : C’est toujours difficile de dire précisément comment ou pourquoi ces choses là arrivent. Ce qui est certain, c’est que l’engagement sur cette question de certaines personnes connues ont fait une différence. Je pense notamment au commentateur sportif pour la télévision publique suédoise Björn Ferry, qui a rendu publique sa décision de ne plus prendre l’avion dans le cadre de son travail, et qui est à l’origine du mot « flygskam ».
 

  • Que pensez-vous de l’écotaxe annoncée par le gouvernement français ?
     

C’est une mesure bien trop faible ! C’est même l’une des moins ambitieuses d’Europe, comme vous pouvez le voir dans ce graphique. Je pense c’est juste une façon de dire « nous faisons quelque chose », et même peut-être une façon d’empêcher d’autres mesures qui auraient plus d’effets. Comme une forte taxe sur le kérosène. En France, l’exonération de la taxe sur le kérosène dont bénéficie le secteur coûte 3,6 milliards d’euros par an selon une évaluation officielle basée sur un taux réduit. Et si l’on taxait le kérosène au même taux que l’essence ou le diesel, ce montant grimpe à 7,2 milliards.
 
Donc les 182 millions que le gouvernement promet de gagner pour les chemins de fer avec cette taxe sur les billets est ridicule. Désolé pour mes mots forts, mais je ne comprends pas comment les politiciens peuvent mettre autant d’énergie dans le développement de quelque chose d’aussi inutile, qui servira surtout aux compagnies aériennes pour dire « nous venons de mettre en place une nouvelle taxe, nous n’allons pas encore changer ».
 

  • Certains avancent que le trafic aérien ne compte ”que” pour 2 % des émissions en Europe, et que sa régulation ne devrait pas être une priorité dans la lutte contre le réchauffement climatique. Qu’est-ce que ce chiffre vous inspire ?

 
Ce chiffre ne prend pas en compte la croissance exponentielle du secteur. Par exemple, en Allemagne, le trafic de l’aviation civile grossit de 8 % chaque année. En 2050, si rien n’est fait pour l’endiguer, ce secteur sera responsable de 25 % des émissions de gaz à effet de serre du pays. De plus, la présence croissante d’avions dans l’atmosphère contribue à dérégler ce qu’en climatologie on appelle le forçage radioactif, c’est à dire les échanges d’énergie entre la terre et l’espace, qui est aujourd’hui souvent négligé. En déséquilibrant ces échanges, l’aviation civile participe activement au réchauffement de la terre.
 

  • Quelles sont les alternatives possibles ? Est-ce que vous avez l’impression d’une volonté de changement de la part des compagnies aériennes ?

 
Le problème, c’est que les alternatives soi-disant ”green” promues par l’industrie de l’aviation sont elles aussi nocives pour l’environnement. Il y a d’abord les bio-carburants, qui s’appuient sur la culture intensive de maïs, d’huile de palme, mauvaises pour les sols. Il y aussi le système des compensations, souvent cité par les compagnies aériennes, dont la plupart des projets, quand on regarde dans le détail, n’ont pas la valeur écologique annoncée. Et enfin, on parle aussi d’innovations techniques, ce qui est une façon de s’accrocher à l’idée que la technologie va nous sauver, alors qu’il faudrait en premier lieu se concentrer sur la réduction du nombre de vols.
 

  • Pourquoi avoir choisi d’organiser la première conférence internationale du mouvement Stay Grounded à Barcelone, une ville très touristique ?  L’idée était-elle de faire le lien entre aviation et tourisme de masse ?

 
Des villes comme Barcelone sont prises d’assaut par les touristes et sont très affectées par la gentrification. L’idée est de montrer que l’aviation n’est pas un problème isolé. Elle est liée au tourisme, aux conditions de travail, aux injustices globales. On ne peut pas régler ce problème sans prendre en considération le reste. Notre objectif est donc travailler avec les comités de quartier pour promouvoir un tourisme durable.
 

  • Quand on pense aux moyens de réguler le secteur de l’aviation civile, on pense principalement à une taxe sur le kérosène ou encore aux quotas individuels. Au programme de la conférence, on trouve aussi un « moratoire sur les infrastructures aéroportuaires ». En quoi cela consisterait-il ?

 
En 2017, il y avait dans le monde 423 aéroports en cours de construction. Ce qui est une manifestation évidente de la croissance de ce secteur, et pose les problèmes que l’on sait : destruction des écosystèmes, l’accaparement de terres, pollution sonore qui affecte des populations souvent défavorisées car éloignées des centres-villes… D’où l’idée de limiter leur construction.
 

  • Parmi les mesures sur lesquelles vous travaillez en ce moment, laquelle aurait selon vous le plus de chance de voir le jour en premier ?

 
Une seule mesure ne résoudra pas tous les problèmes, mais la taxe sur le kérosène fait en ce moment l’objet d’une initiative citoyenne européenne qui pourrait faire pression sur les autorités de l’UE si elle réunit un million de signatures d’ici mai 2020. Une première étape importante pour changer les mentalités. Nous examinons aussi l’idée d’instaurer des tarifs progressifs : plus quelqu’un voyage, plus le prix du billet d’avion augmente.
 

  • Avez-vous des alliés sur ces questions chez les décideurs politiques européens ?

 
Le néerlandais Frans Timmermans, vice-président de la commission européenne, est favorable à une taxe sur le kérosène. Par ailleurs, nous travaillons de très près avec des ONG à Bruxelles spécialisées en aviation et conteneurs maritimes, mais aussi avec des partenaires comme Biofuel Watch. Il y a une dynamique favorable en ce moment, et il s’agit de ne pas la laisser retomber. Les dernières décennies ont montré qu’on ne pouvait pas faire confiance aux politiciens seuls pour s’emparer des questions climatiques : on a besoin pour cela de la mobilisation de tous.

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