Entre l’échec désormais ouvertement dénoncé de la cible de 1,5 °C, l’affrontement Nord-Sud sur les questions financières ou encore la division Europe-Etats-Unis sur les plans de décarbonation, la lutte contre le réchauffement planétaire prend des allures cacophoniques en Egypte. Tout cela sur fond de multiplication de phénomènes extrêmes, de non-respect des droits de l’homme du pays hôte de la COP27, de guerre en Ukraine, de schizophrénie énergétique et de divisions internationales… Alors qu’au contraire elle nécessite une union mondiale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. C’est le choix résumé par le secrétaire général de l’ONU. António Guterres a prévenu : il faut « coopérer » ou « se suicider » sur « l’autoroute de l’enfer climatique ».
Pour l’instant, nous avançons « le pied sur l’accélérateur » sur cette « autoroute ». Sauf crise grave, comme celle du Covid, les émissions de gaz à effet de serre de l’humanité continuent leur progression. Alors que l’urgence est soulignée depuis des années, aucun Etat ou groupe de pays (Union européenne) dont le plan d’action a été épluché par les analystes spécialisés du Carbon Action Tracker, n’a encore été capable de proposer aux Nations Unies un plan d’actions rentrant dans le cadre de la limitation du réchauffement établi lors de la COP21, à Paris, en 2015.
États-Unis : un plan « massif »…
Outre le plan européen (Fit for 55, pour une réduction des émission d’au moins 55 % à horizon 2030), dont la contribution n’a pas encore été envoyée à l’ONU, le plan le plus massif apparaît être celui des Etats-Unis. L’Inflation Reduction Act (IRA) a été adopté cet été par le Sénat américain. Désirant stimuler l’installation d’entreprises sur le sol américain, ce plan prévoit de consacrer 369 milliards de dollars sur 10 ans pour le climat.
Avec des crédits d’impôts pour faciliter le développement de la génération d’électricité décarbonée, la construction d’usines de technologies bas-carbone (photovoltaïque, éolien), la recherche et développement en matière de captage et stockage du CO2 et d’hydrogène vert. Avec également des aides (prêts, subventions) pour l’achat de véhicules « zéro émission », les rénovations énergétiques des bâtiments des particuliers ou encore les réductions d’émissions de gaz à effet de serre (GES) dans les industries fortement émettrices (cimenteries, aciéries..).
… Mais insuffisant…
Les analystes du Carbon Action Tracker l’ont passé au crible. Certes, il s’agit bien d’un « changement radical dans l’action climatique des États-Unis » qui met « fermement les émissions sur une trajectoire descendante ». Et il envoie « un signal mondial que le plus grand émetteur historique du monde commence maintenant à assumer ses responsabilités ». Mais ce plan n’atteint pas pour autant la cible que les Etats-Unis se sont fixés pour 2030. Qui plus est, il n’est pas en ligne avec l’objectif de limiter le réchauffement planétaire à +1,5 °C. « Nous prévoyons qu’en 2030, les émissions des États-Unis diminueront de 26 à 42 % par rapport aux niveaux de 2005 (hors question des sols), ce qui est encore loin de son objectif de 50 à 52 % par rapport à 2005″, analysent-ils.
… Et montré du doigt par Emmanuel Macron
« Je pense que (ce plan) n’est pas conforme aux règles de l’organisation mondiale du commerce et je pense que ce n’est pas amical », a pour sa part lancé le Président français. Emmanuel Macron s’est exprimé à l’occasion de la réunion organisée avec les dirigeants des 50 sites qui émettent le plus de gaz à effet de serre en France (pétrochimie, ciment, sidérurgie, aluminium, verre, sucre…). Objectif : les pousser à « accélérer » leur décarbonation.
La crainte avec le plan US est de voir filer des entreprises outre-Atlantique pour financer leurs investissements. Emmanuel Macron désire d’ailleurs lui-même développer une « stratégie de réindustrialisation souveraine ».
Un financement « insuffisant » à « gravement insuffisant »
Par ailleurs, si la France se révèle l’un des principaux bailleurs internationaux de la finance climat avec 6 milliards d’euros en 2021, Carbon Action Tracker juge « insuffisants » les plans européens et américains en ce qui concerne l’aide internationale au financement. « L’Union européenne s’est engagée à augmenter son financement climatique, mais les contributions à ce jour ont été faibles par rapport à sa juste part ».
Et elle doit « accélérer l’élimination progressive de la finance » des énergies fossiles. Même constat, jugé même « grave », outre-Atlantique. « Le Congrès américain a approuvé 1 milliard de dollars pour le financement climatique international pour 2022 » alors que l’engagement du président Biden « était de fournir 11,4 milliards de dollars par an d’ici 2024 ».
1000 milliards demandés pour 2030
Voilà donc encore du grain à moudre pour les pays du Sud emmenés par la présidence égyptienne. Celle-ci a publié, mardi 8 novembre, un rapport qu’elle avait commandé et qui fait état d’un besoin d’un besoin de financement de 2400 milliards de dollars par an d’ici 2030 pour financer l’action climatique de ces pays. Sur cette somme, 1000 milliards sont attendus des financements extérieurs: investisseurs, pays développés, institutions multilatérales… Le reste provenant de financements intérieurs au pays du Sud. Et sachant que la promesse des pays développés de 2009 de 100 milliards par an n’est toujours pas atteinte…
Objectif +1,5 °C : le couperet de la mort
L’urgence à « coopérer » signalée par António Guterres n’est jamais apparue aussi aiguë. Avec cette COP27, les déclarations de scientifiques se multiplient pour souligner ouvertement qu’il est trop tard pour espérer atteindre l’objectif de +1,5°C. La présidence égyptienne s’est pourtant donnée pour mission de le maintenir en vie malgré son « faible pouls » déjà souligné par la présidence écossaise de la COP26.
L’explication est politique. Sans cet objectif de 1,5 °C, il n’y aurait pas eu d’accord à Paris en 2015. L’objectif initial de la COP21 était celui de 2 °C. Néanmoins, comme l’ont montré les débats pendant ce sommet, c’est sous la pression des États les plus vulnérables, déjà lourdement touchés, et qui veulent réparations des « pertes et préjudices » irrémédiables déjà subis, que l’objectif 1,5 °C a été ajouté, nécessaire unanimité oblige.
Pour ces pays en effet, au-delà de 1,5 °C, c’est leur existence même qui rentre en jeu. Si aujourd’hui les 1,5 °C sont officiellement déclarés morts, cette perspective sera fatalement pour eux dramatique. Quel pourrait être leur intérêt à poursuivre des négociations vers un objectif de 2 °C les condamnant ? Quel avenir pourraient alors avoir les COP telles qu’elles existent aujourd’hui ?