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Comment Uber est devenu un modèle pour les start-up

TRIBUNE. Par Judith Roussel, auditrice spécialisée dans la mobilité pour le cabinet d’audit canadien WWS.

Le 18/05/2015 par WeDemain
TRIBUNE. Par Judith Roussel, auditrice spécialisée dans la mobilité pour le cabinet d'audit canadien WWS.
TRIBUNE. Par Judith Roussel, auditrice spécialisée dans la mobilité pour le cabinet d'audit canadien WWS.

Vendredi 9 mai, le Wall Street Journal révélait qu’Uber chercherait actuellement à lever entre 1,5 et 2 milliards de dollars supplémentaires. Ce nouveau tour de table valoriserait la société à 50 milliards de dollars et en ferait la start-up la plus chère au monde, devant Facebook. En quelques années, le VTCiste (voiture de tourisme avec chauffeur) n’a cessé de bousculer les codes pour s’imposer dans le secteur du transport, allant même jusqu’à diversifier son activité pour faire fructifier un modèle qui fait des émules.

Du transport individuel à la réservation d’hélicoptères, Uber multiplie les courses. Créé en 2010, ce service de transport avec chauffeur compte déjà plus de 200 millions d’utilisateurs dans le monde. En France, ils sont 500 000 à avoir téléchargé l’application dans les six villes couvertes par les services d’Uber. Second marché européen pour l’entreprise californienne, les Français ont ainsi fait le choix de l’innovation et d’un service de qualité, où la rapidité de prise en charge du client et le prix font la différence face à des taxis parfois perçus comme peu hospitaliers.

UBERRUSH, LA PLATEFORME DE COURSIERS
 
En se lançant à l’assaut d’autres marchés, Uber aspire désormais à transcender son modèle de VTCiste. L’idée, pour ce faire, est de conserver une notion de « service » très marquée. Fin avril, on apprenait ainsi que la société s’apprêtait à lancer un service de livraisons pour des achats effectués auprès de plusieurs centaines de distributeurs le jour-même. Une initiative qui s’appuie sur UberRush, la plateforme de coursiers circulant en vélo ou à pied, lancée en 2014 à New-York.

L’idée d’Uber, dans un futur très proche, est de se positionner comme un incontournable de la livraison :

« Quand vous pouvez livrer une voiture en cinq minutes, il y a beaucoup de choses que vous pouvez livrer en cinq minutes », a déclaré Travis Kalanick, le PDG de l’entreprise. 

L’application de transport se transforme peu à peu en une machine tentaculaire, cumulant les expérimentations et les domaines de compétences. Avec UberEats, on peut déjà se faire livrer des repas dans certaines villes américaines, un service qui est amené à se développer très bientôt à l’international. En France, la société vient de s’associer au spécialiste des vols en giravion Helipass afin de proposer un service de réservation d’hélicoptères nommé UberCopter. Et pour les fêtes de Noël, il est maintenant possible de commander un sapin  et de se le faire livrer via l’application.

Précurseur de l’économie collaborative, Uber est sur tous les fronts et tend à révolutionner ce qu’on appelle « la logistique urbaine » à coup d’innovations. Une ascension qui, en France, suscite des réactions hostiles, cristallisées par la haine des taxis envers les VTC et une législation loin de leur être avantageuse. 
 
QUAND LE DROIT FREINE L’INNOVATION
 
Depuis son arrivée sur le marché français, Uber essuie la grogne des taxis qui n’hésitent pas à qualifier le service proposé par le VTC de concurrence « déloyale ».

« Les écoles de formation de taxis se vident et les chiffres d’affaires des acteurs de la profession chutent. Des sociétés ont perdu entre 20 et 40 % de chiffre d’affaires sur les deux premiers mois de l’année, comparé à celui de l’année dernière », explique Karim Dehak, président de Taxilibres, une association qui réunit les chauffeurs de taxi et les écoles de formations de taxis.

Le mécontentement des taxis, victimes d’une inertie qui les empêche de proposer une prestation comparable à celles des VTC, a donné lieu à de nombreuses manifestations dans tout le pays. Une pression qui a poussé le gouvernement à encadrer juridiquement les sociétés de véhicules avec chauffeur, par le biais de la loi Thévenoud. Adoptée en octobre 2014, celle-ci pose les règles du jeu entre les VTC et les taxis. Loin d’être Uber-friendly, elle interdit par exemple les VTC d’avoir recours à la géolocalisation. Et ce, alors même que l’un des principes clés de l’application est celui permettant à l’utilisateur de repérer les véhicules disponibles à proximité.

UN FAVORITISME PRO TAXIS ?
 
Ce cadre juridique prive également les VTC d’avoir recours à la tarification horokilométrique. Réservée aux taxis, elle permet de déterminer un tarif en fonction de la durée et de la distance parcourue. En jouant sur ces deux aspects clés, la loi Thévenoud tend à dénaturer le service proposé par Uber et les autres VTC. Est-ce là le signe d’un favoritisme pro taxis ? En votant cette loi, le gouvernement fait en tout cas aveu d’immobilisme face à un corporatisme désuet qui préfère rester sur les acquis d’une autre époque plutôt que d’avancer avec le progrès permis par les nouvelles technologies. 

Pour ceux qui ignoraient jusqu’à présent la position de la France face à l’innovation, la loi Thévenoud pourrait constituer un baromètre intéressant, symbole de la difficulté de notre pays face au changement. Alors que le reste du monde et les Français eux-mêmes plébiscitent l’innovation et les services qui en découlent, cette réticence gouvernementale et syndicale est à contre-courant.
 
VERS UNE UBERISATION DE LA SOCIÉTÉ 
 
Le pouvoir public français et les taxis ont beau essayer de ralentir la progression d’Uber, rien ne semble pouvoir arrêter le géant californien. Avec une croissance record, l’application fait des émules à travers le monde, au point que certains spécialistes parlent de phénomène « d’uberisation » de la société, un néologisme sous lequel se cache une économie en pleine mutation. 

Car aujourd’hui, nombreuses sont les entreprises qui se lancent sur le marché avec un mode de fonctionnement calqué sur celui d’Uber. À chaque fois, il s’agit d’applications simples d’utilisation, qui donnent la possibilité à l’utilisateur d’avoir accès à un service ou à un produit en un temps réduit. Aux États-Unis, deux applications sortent ainsi du lot et ont réussi à séduire le public et les investisseurs : l’application de personal shopping Instacart et Dogvacay, qui met à la disposition des « users » un répertoire important de « pet-sitters », autrement dit de garde d’animaux.
 
Elles sont des milliers chaque année à voir le jour et espérer marcher sur les traces dorées d’Uber. Toutes ont fait le choix de mettre le progrès technologique au service du client et de répondre à un besoin. Une tendance dont le développement sera à suivre en France. Tout l’enjeu restant de savoir si ces start-up se heurteront aux mêmes attaques qu’Uber, ou si la France profitera, au contraire, des bienfaits de cette nouvelle économie.

 

Judith Roussel est auditrice spécialisée dans la mobilité pour l’entreprise d’audit canadienne WWS. 

Contact : judith.roussel@outlook.com 

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