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Éric Piolle : « À Grenoble, nous gardons le cap de la transformation sociale et écologique »

Élu en 2014, le premier maire écolo d’une grande ville française a récemment essuyé plusieurs critiques sur sa gestion, notamment budgétaire, de Grenoble. Pour « We Demain », il dresse un premier bilan de son action politique.

Le 11/01/2017 par WeDemain
Élu en 2014, le premier maire écolo d'une grande ville française a récemment essuyé plusieurs critiques sur sa gestion, notamment budgétaire, de Grenoble. Pour "We Demain", il dresse un premier bilan de son action politique.
Élu en 2014, le premier maire écolo d'une grande ville française a récemment essuyé plusieurs critiques sur sa gestion, notamment budgétaire, de Grenoble. Pour "We Demain", il dresse un premier bilan de son action politique.

Il est à la tête de Grenoble depuis bientôt trois ans. We Demain s’est entretenu avec Éric Piolle, le premier maire écolo d’une préfecture française afin de dresser un premier bilan de son action politique. Alors que sa gestion est critiquée par de nombreux responsables politiques, que certaines entreprises s’en détournent et que ressurgit le dossier de la qualité de son air suite au récent épisode de pollution, quelles réponses apporte l’élu ? Le maire de Grenoble répond point par point, à l’approche de la biennale des villes en transition, qui se tiendra du 9 au 12 mars dans sa ville.

We Demain : Vous êtes maire de Grenoble à la tête d’une majorité écologistes-Parti de gauche-Alternatifs depuis bientôt trois ans : Quel premier bilan faites-vous de votre action ? Qu’est-ce qui a changé à Grenoble ?

Éric Piolle :  La grande différence, c’est que la société se prend en main ! Les citoyens, les professionnels, les acteurs publics affrontent les défis du temps présent et de demain : sur les questions de démocratie locale, ou d’espace public urbain qui n’est pas seulement celui de la circulation automobile, comme dans les années d’après-guerre, mais un espace de vie, de projets. Cette même volonté conduit à une politique cohérente des biens communs : Nous fournissons une eau pure et non traitée avec des tarifs sociaux et même gratuits pour les premiers mètres cubes, nous avons monté des coopératives pour produire de l’énergie photovoltaïque renouvelable…

Il faut encore évoquer l’agriculture urbaine, la lutte contre la pollution de l’air à destination d’abord des plus fragiles, qui sont les plus exposés : il y a une corrélation directe entre nos actions et des maladies comme le cancer, donc l’espérance de vie. Notre politique, c’est une approche globale et cohérente qui passe par la politique de la ville, l’organisation des services publics et la politique culturelle pour permettre à chacun une émancipation et la pratique quotidienne de l’art.

Grenoble a été l’une des agglomérations les plus touchées par les pics de pollution de cet hiver. Vous avez pris des mesures de restriction. Allez-vous les systématiser ?
 

Nous systématisons non pas la circulation alternée qui est brutale et souffre de nombreuses exceptions, mais les certificats « Qualité air » du ministère de l’Écologie qui permettent une progressivité : au bout de cinq jours de pollution, on interdit les 8 % du parc auto le plus ancien, puis au bout de 7 jours le quart de ce parc. On couple ces restrictions avec des incitations à utiliser les transports en commun : billet valable toute la journée le 5ème jour, puis gratuité totale. Les effets sont directs : la circulation auto a diminué de 10 % et celle des vélos progresse. Nous avons également pris des mesures structurelles comme des aides au remplacement des chauffages au bois les plus polluants.

D’autres initiatives en matière d’environnement ?
 
Nous avons multiplié par quatre les espaces végétalisés en ville, avec notamment les programmes « Jardinons nos rues », où les habitants eux-mêmes cultivent des plantes d’agrément ou des fruits et légumes pour retrouver le lien et le goût de la nature. Il y a encore les programmes de plantations d’arbres. Entre abattages et replantations, Grenoble perdait 300 arbres par an depuis plus de 20 ans. Nous en avons planté 500 de plus dès la première année, donc un delta de 800 arbres par an qui sert aussi à la régulation thermique : Grenoble est une ville très minérale.

C’est la troisième ville la plus dense de France, ce qui crée des îlots de chaleur. Les arbres permettent la régulation et l’absorption des poussières. L’agriculture urbaine, c’est aussi chaque année, sur d’anciennes friches, un nouveau verger géré par les Grenoblois qui devient un lieu de vie. Nous investissons tous les interstices de la ville.

Votre gestion est néanmoins critiquée : vous avez coupé dans les dotations aux entreprises de nanotechnologies et dans des subventions culturelles. On dit que des entreprises se détourneraient de Grenoble pour s’implanter dans des villes voisines comme Chambéry…
 

Notre singularité politique fait que la réaction des « propriétaires du système » est extrêmement forte. L’opposition socialiste et des Républicains signent des lettres communes. Mais aucune entreprise n’a déménagé. Elle trouvent à Grenoble des compétences humaines – 60 000 étudiants, 20 à 30 000 chercheurs – des réseaux, et une qualité de vie qui profite aux salariés. Notre action en faveur de l’environnement évite que la pollution devienne, aujourd’hui ou demain, un facteur de perte d’attractivité.

Les difficultés budgétaires de Grenoble sont sérieuses : vous avez vous-même évoqué la faillite et lancé un plan de sauvegarde avec diminution de postes d’assistantes sociales, des coupes dans les subventions au théâtre, à l’orchestre, la fermeture de trois bibliothèques… Ce qui a provoqué une fronde y compris parmi ceux qui vous soutiennent…
 
Lorsque nous sommes arrivés en 2014, Grenoble était dans une très grande difficulté financière : une épargne nette négative, les impôts les plus élevés de France, et dans le top 5 pour la dette ! Se sont rajoutées les baisses de dotation de l’État, qui ont représenté pour Grenoble 20 millions d’euros, soit l’équivalent d’un mois de fonctionnement. Hors éducation, où nous avons ouvert 30 classes en 3 ans, tous les budgets – espace public,  social, culture, sport – ont été réduits pour nous adapter à cette politique d’austérité et de récession que nous combattons.

Mais nous étions obligés de respecter ces règles comptables pour ne pas tomber sous la tutelle préfectorale. Toucher à des symboles génère des frustrations qui peuvent être instrumentalisées. Mais nous maintenons le cap de la transformation démocratique, de qualité de vie et de transition sociale et écologique.

Quels sont vos principaux projets pour les années à venir ?
 
Nous allons poursuivre dans le partage de l’espace public avec l’élargissement du centre ville, pour qu’il soit à la dimension d’un bassin de 700 000 habitants, avec plus d’espaces réservés aux piétons, aux vélos –dont les locations ont doublé en deux ans – et aux transports en commun qui progressent de 10 % par an. Et puis nous allons continuer la transformation de la démocratie. Après avoir réduit nos indemnités d’élus et diminué le nombre de voitures de fonction et de chauffeurs, nous avons mis en place des conseils de citoyens indépendants, des budgets participatifs et des systèmes  d’interpellation et de votation citoyennes.

Quels en sont les résultats ?

Ça marche : les budgets participatifs choisissent des programmes auxquels les politiques publiques n’auraient pas pensé : de nouvelles aires de jeu, des murs d’escalade sur les berges, des pigeonniers contraceptifs et beaucoup d’autres idées qui émergent de leurs expériences ou de leurs envies. À partir de 2 000 signatures, une proposition peut être déposée au conseil municipal, qui soit la reprend, soit déclenche une votation comme cela a été organisé sur les tarifs de stationnement… Nous avons une singularité : nous sommes la seule grande ville à être dirigée sans l’une des deux grandes forces de gouvernement de droite et de gauche, en France et même en Europe, puisqu’en Espagne par exemple, à Madrid et Barcelone Podemos cohabite avec le parti socialiste. Cela nous donne une responsabilité particulière… 

Nous sommes en campagne présidentielle. Comment jugez-vous la place faite aux questions environnementales, et avez-vous choisi votre candidat ?
 
À droite, c’est pathétique, il n’y a pas eu un mot sur l’environnement durant la primaire. Juppé aurait pu se démarquer en les portant. Ce n’est pas un sujet aujourd’hui, alors que ça l’avait été en 2007 quand Nicolas Hulot avait proposé sa charte aux candidats. Les socialistes et les républicains sont enfermés dans la conquête et la gestion du pouvoir, avec les résultats que l’on connaît. Et il y a une incapacité pour les écologistes et la gauche non productiviste à créer un espace politique qui fasse envie, comme à Grenoble. Je m’attèle en coulisse à créer cette galaxie qui soit celle de l’ouverture et de la mise en œuvre d’un programme de transformation sociale. Rien ne se fera sans Jean-Luc Mélenchon : il a un espace politique et une pensée écologique, mais il a encore des difficultés à s’ouvrir et à s’étendre.

Vous ne soutenez donc officiellement personne pour l’instant.

J’ai porté la candidature de Nicolas Hulot qui, lui, pouvait fédérer. J’attends aujourd’hui que la poussière retombe pour voir où ma contribution peut être utile, sans être seulement un pion derrière quelqu’un. Je suis en contact avec Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, Nicolas Hulot, Christiane Taubira, ou Pierre Larrouturou. J’ai même discuté avec François Bayrou en rentrant à Grenoble !

Et que pensez-vous d’Emmanuel Macron ? Est-il écolo-compatible ?
 
Je viens de lire son livre Révolution. Ca a été une torture, j’ai mis des post-it sur tous les sujets creux qu’il aborde ! Il est sans doute très intelligent, il occupe en termes de nouveauté et de format politique ce dont la société a envie. De ce point de vue, sa démarche est positive. Mais sur le fond, outre qu’il est libéral et même ultra libéral sur les questions sociétales et économiques, il est en total décalage, d’une incroyable vacuité avec le titre Révolution de son livre. Je ne sais toujours rien de ce qu’il pense vraiment…

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