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Written by 22 h 32 min Déchiffrer, Planete

Francis Joyon (The Arch) : « Nous, marins, sommes aux premières loges du réchauffement climatique »

Le marin Francis Joyon largue les amarres pour un tour d’Europe qui permettra de découvrir 100 solutions innovantes en faveur de la transition écologique dans le cadre du projet The Arch.

Le 16/03/2023 par Florence Santrot
Francis Joyon
Francis Joyon s'est associé à The Arch pour promouvoir et accélérer la transition écologique. Crédit : The Arch.
Francis Joyon s'est associé à The Arch pour promouvoir et accélérer la transition écologique. Crédit : The Arch.

Premier marin à boucler un tour du monde sur multicoque en solitaire et sans escale en 2004, Francis Joyon est engagé dans l’aventure The Arch. Il s’agit d’un événement européen itinérant qui vise à accélérer la transition écologique et sociale des territoires. Il s’agit d’un projet initié en France par un groupe d’entrepreneurs, de citoyens, de gens de mer et de l’événementiel. Un projet qui bénéficie du label de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne.

À bord du maxi-trimaran Idec Sport, le navigateur va larguer les amarres samedi 18 mars 2023. Il partira de Nantes à 16 heures pour un tour d’Europe des initiatives en faveur de la transition écologique. Il sera notamment accompagné de la navigatrice et députée européenne Catherine Chabaud. Jusqu’en juin, le bateau naviguera le long des côtes européennes. Il fera escale dans neuf villes : Copenhague, Concarneau, Malaga, Marseille, Ajaccio, Naples, Athènes, Lisbonne et Saint-Nazaire.

WE DEMAIN : Comment avez-vous rejoint le projet The Arch ?

Francis Joyon : Je connais bien Damien Grimont, qui est l’initiateur de The Arch. Il a été mon équipier il y a 30 ans. Nous avons fait quelques trajets océaniques ensemble. Et puis, nous nous sommes perdus de vue avec le temps. Nous avons repris contact lors de The Bridge, en 2017 [Une transatlantique organisée entre maxi-multicoques et le paquebot Queen Mary 2. Le but était de célébrer 100 ans d’amitié entre la France et les États-Unis, NDLR]. C’était lui qui organisait la course. À cette occasion, il a commencé à me parler de The Arch. Mais, à l’époque, je n’avais pas bien compris de quoi il s’agissait. Ce n’est qu’à l’arrivée à New York, sur un ponton, qu’il m’a détaillé le projet. C’est là que j’ai compris tout l’intérêt de cette initiative et qu’il m’a convaincu.

Qu’est-ce qui vous a convaincu de participer à l’aventure The Arch ?

Au départ, j’étais un peu effrayé par l’ampleur de cette grosse machine. Mais j’ai fini par comprendre tous les enjeux et cette nécessité d’accélérer la transition écologique. Nous, marins, sommes naturellement très engagés pour la protection de l’environnement. Nous sommes aux premières loges du réchauffement climatique. Moi comme les autres membres de l’équipage du bateau, que ce soit Bernard Stamm ou encore Christophe Houdet. Nous voyons les coraux qui blanchissent quand on va plonger à l’arrivée de la Route du Rhum en Martinique. Nous sommes témoins des cétacés qui viennent s’échouer sur les plages… Tout cela fait mal au cœur.

D’où votre envie de faire de votre maxi-trimaran le bateau ambassadeur de The Arch…

Oui. Nous allons partir pour un périple le long des côtes d’Europe. Le but est de faire connaître les 100 solutions en faveur de la transition écologique. Le but est de faire bouger les lignes en allant récupérer ces solutions dans neuf villes. Comme un climatiseur qui consomme dix fois moins d’énergie ou des plantes luminescentes pour éclairer les villes. Nous partons ce week-end et finirons notre périple début juin. Ensuite, ces idées seront présentées au Parlement à Bruxelles.

Quels sont les défis de ce parcours maritime à escales ?

Nous avons un équipage de sept personnes mais nous ne serons que 5-6 à bord simultanément pendant les deux mois et demi de cette aventure. En mer, au large, il n’y aura pas de problème. En revanche, chaque escale présentera toujours des risques. Nous avons opté pour un voyage avec un impact carbone minimal. Donc nous devrions partir avec peu ou prou 20 litres de gazole seulement. Et un petit moteur de 40 chevaux seulement. Le but est de naviguer au maximum à la voile et d’être le plus autonome possible. Il faudra donc parfois attendre au large si la météo n’est pas favorable pour approcher les pontons. Et nous n’aurons que deux petites annexes [petite embarcation gonflable] pour accoster, ce ne sera pas simple !

À titre personnel, à quand remonte votre implication écologique ?

J’ai eu le déclic quand j’avais 14-15 ans. C’était alors les débuts de l’écologie et cela nous parlait, à mon frère et moi. Nous avons eu l’idée de créer un potager bio. Depuis, nous avons toujours été sensibles à cette idée. Au cours de ma carrière de navigateur, j’ai parfois fait des entorses en raison de certains sponsors, par exemple. Aujourd’hui, je ne veux plus participer à des courses au large, si ce n’est pour défendre des causes environnementales. Avec d’autres skippers, comme Arthur Le Vaillant, Gwénolé Gahinet, Corentin de Chatelperron ou encore François Gabart, nous partageons la même idée de notre sport. Une version plus sobre et respectueuse de l’environnement.

La construction de bateaux neufs est notamment très polluante…

Oui, au cours de ma carrière, j’ai eu l’opportunité de créer un bateau neuf mais je n’ai pas adhéré à cette idée. Je n’avais aucune envie d’envoyer plusieurs tonnes de carbone dans la nature. En revanche, il y a des innovations intéressantes. Des pistes à suivre comme la fabrication de bateaux sans carbone, en fibre de lin. Et je suis en accord avec les suggestions du collectif La Vague qui milite pour des courses beaucoup plus écologiques. Je trouverais intéressant d’intégrer un coefficient environnemental dans les courses. Par exemple, un bateau qui utiliserait des ressources naturelles, mais serait plus lourd en conséquence, pourrait bénéficier d’un bonus temps de 10 %. Ce qui bloque aujourd’hui, c’est qu’on est sur la performance pure…

Vous croyez au réemploi et à l’économie circulaire dans votre sport ?

Oui et c’est particulièrement intéressant de chercher des solutions pour réduire au maximum l’empreinte carbone des bateaux construits. Cela intéresse aussi les constructeurs, comme Bénéteau par exemple, qui y voit des opportunités pour améliorer la filière. Ce qui fonctionnera pour les grandes courses au large pourra être réutilisé pour les bateaux de plaisance. Mais cela ne nécessite pas toujours énormément d’innovation. C’est encore mieux si on recycle.

Sur la 10e Route du Rhum [en 2014, il a fini 6e à bord d’Idec Sport, NDLR], j’ai fait la course avec un bateau conçu à partir de morceaux récupérés de-ci, de-là. Les flotteurs du catamaran Elf-Aquitaine avaient été mis au rebut alors qu’ils étaient encore bons. Ils se délitaient derrière un entrepôt, nous les avons récupérés et retapés. Nous avons aussi réparé un mât qui s’était brisé en trois. Tout ce qu’on a pu récupérer à droite, à gauche, on l’a fait. À l’époque, je ne m’en étais pas vanté car ce n’était pas franchement dans l’air du temps. Le réemploi n’était pas à la mode mais ça a parfaitement fonctionné. Tout le monde n’y a vu que du feu. Et le bateau était performant !

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