Déchiffrer  > La « vague verte » des municipales peut-elle déferler sur les futures élections ?

Written by 14 h 14 min Déchiffrer • 4 Comments

La « vague verte » des municipales peut-elle déferler sur les futures élections ?

Strasbourg, Lyon et Bordeaux… Plusieurs grandes villes ont été conquises par les écologistes, dimanche, lors du second tour des élections municipales. Pour Daniel Boy, politologue et professeur à Sciences Po Paris, ces victoires sont le résultat d’un processus entamé lors des européennes de 2019. Un phénomène qui pourrait s’étendre aux régionales, mais plus difficilement à la présidentielle.

Le 29/06/2020 par Morgane Russeil-Salvan

Dimanche, lors du second tour des élections municipales, la « vague verte » a emporté sept villes majeures : Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Poitiers, Tours, Annecy et Besançon. À Grenoble, l’écologiste sortant Eric Piolle a été réélu tandis qu’à Rennes et à Nantes, ce sont des alliances entre les Verts et les Socialistes qui ont permis aux édiles de conserver leur siège. À Lille également, la victoire extrêmement serrée de Martine Aubry sur le candidat d’EELV Stéphane Baly, à 227 voix près, semble illustrer le début d’une nouvelle ère politique, où les écologistes sont capables de tenir tête aux partis traditionnels que sont le PS et les Républicains.

Le politologue Daniel Boy, professeur à Sciences Po Paris, le confirme : malgré un taux d’abstention record – 58,4 %, selon le ministère de l’intérieur, soit près de 20 points de plus qu’au second tour des élections municipales de 2014 – cette poussée des écologistes est un phénomène inédit… et aura des répercussions au delà des municipales.
 

  • We Demain : Comment expliquez-vous cette « vague verte » ?
 

Daniel Boy : C’est un mouvement général, qui commence à partir des européennes de 2019, avec une montée des valeurs environnementales sous l’effet de plusieurs phénomènes, notamment les alertes scientifiques, les mobilisations citoyennes… Tout cela va aboutir, après un mécanisme un peu compliqué, au basculement de plusieurs grandes villes. Mais ce processus n’a pas commencé hier, même s’il a été plutôt rapide.
 

  • Avant cela, EELV était un parti essentiellement européen. Pourquoi ?

   
L’écologie politique parvenait à avoir de bons résultats aux européennes parce qu’il s’agit d’un scrutin proportionnel et qu’il est assez facile de s’y présenter. Il y a, en plus, des enjeux écologiques importants au niveau de l’Europe : l’Union Européenne réglemente beaucoup l’environnement. Les écologistes ont donc toujours eu de bons résultats aux élections européennes. Aux élections locales, ils étaient plus souvent autour des 10 %. Aujourd’hui, il sont nettement au-dessus : là où ils récoltaient environ 10 % des suffrages, ils obtiennent aujourd’hui 16 %.
 

  • Comment peut-on expliquer ce changement d’échelle ?
 

En 2019, EELV a récolté 13,5 % des suffrages aux européennes : c’est un gros score, mais ce qui est important c’est surtout qu’au même moment, le Parti Socialiste s’est trouvé très très affaibli, de l’ordre de 6 %, ce qui change les rapports de force à l’intérieur de la gauche ! C’est à dire que durant les 30 dernières années, les rapports de force internes à la gauche – j’y range les écologistes – était toujours en faveur des socialistes.

À partir des européennes de 2019, ce rapport s’inverse et permet aux écologistes de présenter aux municipales, dans des grandes villes, des listes d’union de la gauche dirigées par des écolos et non plus par le Parti Socialiste. Ça, c’est tout à fait nouveau. C’est une conséquence des européennes et cela s’est produit dans une trentaine de villes de plus de 30 000 habitants. 
 

  • On parle de « basculement » et de « vague verte », mais cette lecture est-elle pertinente étant donné le taux record d’abstention ?

 

Effectivement, quand on regarde les villes telles que Tours, Grenoble, Poitiers, Bordeaux, Annecy, Besançon, où les succès sont très apparents, le taux de participation est en deçà des 40 %, entre un tiers et 38 %. Ce n’est pas beaucoup : c’est même moins que la moyenne nationale, parce que l’on vote toujours moins dans les grandes villes. Donc la question de savoir si ce vote est représentatif du corps électoral mérite d’être posée. D’autant plus que l’on soupçonne les personnes âgées – qui d’habitude votent beaucoup – de former la majeure partie de ces absentions, par peur du coronavirus. On pourra donc toujours dire – même s’il faut encore le prouver – que l’écologie a été favorisée du fait que les personnes âgées – qui ne sont pas du tout enclines à voter écolo – n’ont pas fait le déplacement.
 

  • Cette « vague verte » risque donc de rester cantonnée à l’échelle municipale ?

 

Est-ce qu’une élection avec 40 % de participation, c’est le même corps électoral qu’une élection avec 50 % ou 80 % de participation ? L’année prochaine, il y aura les élections régionales, où l’on compte à peu près 50 % de participation. Ce ne sera donc pas très différent, et cela permettra de vérifier si les écologistes obtiennent les même scores que ceux que l’on observe aujourd’hui.

 
  • Cela augmente-t-il leurs chances de réussite aux régionales, voire à la présidentielle de 2022 ?
 

Pour ce qui est des régionales l’année prochaine, il y a de bonnes chances qu’ils obtiennent de bons résultats. En France, 5 régions sont tenues par le PS : on peut imaginer des accords avec les Verts pour, par exemple, donner la tête de liste à des écologistes. L’année d’après, c’est la présidentielle : scrutin majoritaire à deux tours et seulement deux candidats au deuxième tour. Pour être au deuxième tour, il faut donc avoir un score vraiment élevé au premier ! Sachant que le Rassemblement National est certainement au-dessus des 25 %, que pour l’instant Macron – s’il se représente et bien qu’il ait une faible popularité – est quand même au-dessus des 25 % … La première condition pour qu’une condition gauche et écolo atteigne le second tour, c’est qu’il y ait un candidat unique à gauche !
 

  • Est-ce seulement envisageable ?
 

Deux conditions devront être réunies : il faut que la gauche PS et les Verts s’entendent sur une candidature commune. Ce n’est pas fait. Pourtant, le secrétaire du PS actuel Olivier Faure a dit – assez vite, mais il l’a dit – qu’il était prêt à s’incliner devant une candidature écolo à la présidentielle. Ce n’est quand même pas réglé. La seconde condition, c’est qu’il n’y ait pas d’autre candidat de gauche ! Et évidemment il y a la France Insoumise. Or il est extrêmement improbable qu’elle ne présente pas de candidat à la présidentielle.
 

  • En Suisse, les Verts ont doublé leurs scores lors des dernières élections fédérales et en Autriche, ils ont recueilli suffisamment de suffrages pour être intégrés au gouvernement, mais au prix d’une alliance avec les conservateurs. Peut-on alors parler d’une « vague verte européenne » ou s’agit-il de situations trop différentes pour être comparées ?
 

Pour l’essentiel, les partis écologistes européens sont très proches : ils mobilisent les même catégories sociales, ils ont les mêmes valeurs socio-politiques et culturelles… Il y a malgré tout une différence entre les Verts de France, d’Allemagne et d’Autriche. En France, EELV est très fortement ancré à gauche – je parle des adhérents, pas des électeurs – et refuse toute alliance avec le centre et la droite : mis à part à Annecy, il n’y a pas eu d’accord entre LREM et les écolos. Pour les Verts, ces alliances sont considérées comme une faute politique éventuellement sanctionnée.

Ça n’est pas le cas en Allemagne ou en Autriche, où l’état d’esprit est plus pragmatique et consiste à dire qu’au niveau des Länder, il peut très bien y avoir des accords avec les libéraux, avec la démocratie chrétienne… Ils admettent l’idée de faire un contrat de gouvernement local, même avec un parti qui est autre chose que social-démocrate.
 

  • Si la victoire des écologistes aux municipales françaises est liée à l’affaiblissement du Parti Socialiste, est-ce également le cas dans les autre pays européens ?
 

Prenons le cas de l’Allemagne, toujours très comparable à la France. On y remarque un succès des Verts encore bien supérieur à celui de la France et aussi un très très fort affaiblissement de la social-démocratie. Maintenant, la question est : pourquoi la social-démocratie est-elle en difficulté ? Je crois qu’elle s’est heurtée à deux problèmes.

D’abord le problème du libéralisme économique, sur lequel elle n’a pas su trancher. Faut-il camper sur les positions de la gauche traditionnelle ou est-ce qu’il faut – comme a essayé de le faire Hollande en France – faire certaines concessions au libéralisme pour aller plus loin ? La voie n’a pas été trouvée à mon sens.

Le deuxième obstacle, c’est justement que la social démocratie ne traitait pas réellement le problème de l’environnement et de l’écologie ! Il le sous-traitait aux écolos. Et ça, c’est une erreur stratégique extrêmement importante. Ne pas avoir pris suffisamment au sérieux l’enjeu environnemental.

A lire aussi :