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Justice climatique : ces « Affaires du siècle » qui éclatent partout dans le monde

L’Etat français vient d’être reconnu coupable d’inaction climatique dans l’Affaire du siècle. Un jugement historique qui fait écho à des recours de plus en plus nombreux dans le monde contre des États pour les pousser à respecter leurs engagements contre le réchauffement.

Le 03/02/2021 par Alice Pouyat
Affaire du siècle
(Crédit : l'Affaire du siècle)
(Crédit : l'Affaire du siècle)

Un jugement historique. Et la formule n’est pas galvaudée. Pour la première fois en France, l’État a été reconnu coupable d’inaction climatique dans « l’Affaire du siècle »

À lire aussi : L’Affaire du Siècle : l’État français condamné pour inaction climatique

Souvenez-vous : il y a deux ans, quatre ONG déposaient un recours contre l’État pour « carence fautive » face au réchauffement devant le tribunal administratif de Paris (Notre Affaire à Tous, Greenpeace, Oxfam et la Fondation Nicolas Hulot). Un recours soutenu par plus de 2, 3 millions de citoyens, soit la pétition la plus signée de l’histoire!

Le délibéré de « ce premier grand procès climatique » est tombé le 3 février. Et la justice a reconnu que l’Etat a commis une « faute » en se montrant incapable de tenir ses engagements de réduction des gaz à effet de serre. Pour cela, il est condamné à un verser un euro symbolique aux associations requérantes.

Une affaire pionnière en France, mais qui fait écho à d’autres litiges assez proches dans le monde. Au total, plus de 1 200 recours contre des États ont été déposés (la plupart aux États-Unis), calcule Christel Cournil, professeure de droit public à Sciences Po Toulouse, conseillère juridique de Notre Affaire à Tous, et auteure d’un ouvrage sur ces procès climatiques.

« Avant le climat était surtout une affaire de négociations internationales. Là, on repart de la base, des citoyens, qui saisissent le 3e pouvoir pour faire valoir leur droit à un environnement sain.« 

Voici, à travers le monde, quelque uns de ces litiges emblématiques qui posent peu à peu les bases d’une « justice climatique ».

Urgenda aux Pays-Bas : la première « Affaire du siècle »

Souvent cité en exemple, le procès Urganda aux Pays-Bas, a directement inspiré l’Affaire du siècle : en juin 2015, cette association de défense de l’environnement porte plainte au nom de 886 citoyens contre l’État néerlandais. Elle demande qu’il réduise les émissions du pays d’au moins 25 % d’ici à 2020 par rapport à 1990.

Contre toute attente, le Tribunal de la Haye lui donne raison, et le jugement est confirmé en appel le 9 octobre 2018. La justice fait valoir le devoir de « diligence » de l’État, c’est à dire son obligation d’exercer une vigilance pour ne pas créer de dommage futur à l’environnement mais aussi aux citoyens. Un précédent historique.

Surtout, le procès a le mérite de pousser diverses formations politiques à s’accorder sur une loi très ambitieuse de réduction des émissions de gaz à effet de serre. « En Europe, les procès ont moins vocation à réparer un litige passé qu’à créer un effet politico-juridique. C’est une façon de pousser l’État à agir dans le futur », souligne Christel Cournil.

En France, on peut d’ailleurs penser que l’Affaire du siècle a déjà pesé dans la création de la Convention citoyenne et la rédaction de la future loi climat.

Au Pakistan, la victoire d’un fermier

Toujours en 2015, c’est un seul homme, un fermier pakistanais, dont les récoltes sont ravagées par les intempéries, qui attaque l’État. Ashag Leghari dénonce le retard dans l’application de textes signés en 2012 relatifs à la lutte contre le changement climatique. Il fait valoir que ce retard met en péril la sécurité alimentaire de sa famille et donc le droit à la vie et à la dignité humaine, inscrits dans la Constitution pakistanaise. Un préjudice très concret. Le 4 septembre 2015, le tribunal de Lahore lui donne raison et ordonne la création d’une commission pour accélérer la politique environnementale du pays. « Une sorte de Convention citoyenne », explique Christel Cournil.

En Colombie, les jeunes font plier l’État

En Colombie, c’est un groupe de 25 jeunes âgés de 7 à 26 ans, accompagnés par l’ONG DeJusticia qui monte au front contre la déforestation. Le 5 avril 2018, la Cour suprême nationale délibère en leur faveur. Elle reconnaît le devoir de l’État de protéger la nature et le climat au nom des générations futures. Et donne cinq mois au gouvernement pour mettre en place un programme d’arrêt de la déforestation. « Là aussi, c’est la même logique, l’État a été condamné à corriger son plan d’action. »

Aux États-Unis, le recours d’enfants en suspens

Aux États-Unis, ce sont encore des jeunes, âgées de 8 à 19 ans, qui lancent en 2015 un recours très médiatisé : l’affaire Juliana (du nom de l’aînée des plaignants). Avec l’appui de l’association Our Children’s Trust, ­les 21 jeunes accusent l’État de violer la doctrine américaine du public trust, selon laquelle le gouvernement est garant de la protection des ressources naturelles communes. En janvier 2020, le tribunal fédéral de l’Oregon rejette leur demande. Les chances de gagner sont désormais minces mais « les 21 » ont annoncé qu’ils continueront leur combat.

Et bien d’autres encore

Récemment, nous vous parlions aussi du recours pour « négligence climatique » contre l’État suisse déposé par les Aînées pour la protection du climat, un collectif de 200 femmes retraitées, devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Une Cour qui a jugé recevable la plainte déposée contre 33 pays européens, dont la France, par des jeunes portugais.

Greta Thunberg et 15 autres militants ont eux intenté une action en justice contre 5 pays, dont la France, invoquant la Convention de l’ONU sur les droits de l’enfant, qui stipule que les États doivent assurer dans la mesure du possible la survie et le développement de l’enfant.

« Et le succès de l’Affaire du siècle pourrait encore encourager d’autres citoyens à saisir la justice », conclut Christel Cournil.

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