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Maxime de Rostolan: « La loi alimentation a été tuée par le Conseil Constitutionnel »

TRIBUNE. Par Maxime de Rostolan, directeur de l’association Fermes d’Avenir et fondateur de Blue Bees.

Le 06/11/2018 par Maxime de Rostolan
TRIBUNE. Par Maxime de Rostolan, directeur de l'association Fermes d'Avenir et fondateur de Blue Bees.
TRIBUNE. Par Maxime de Rostolan, directeur de l'association Fermes d'Avenir et fondateur de Blue Bees.

Anticonstitutionnellement !?
Pour la première fois de ma vie, et je ne pensais pas que cela arriverait, je suis en situation d’écrire ce mot et lui donner sa place dans une phrase. Le seul, des 11 amendements que j’ai poussés pendant des mois, qui avait finalement été validé par l’Assemblée et le Sénat, s’est vu censuré par le Conseil Constitutionnel car il aurait été, selon eux, présenté anticonstitutionnellement.
Diantre !

Contexte :
Les engagements pris lors des Etats Généraux de l’Alimentation, bien qu’en dessous des attentes de toute personne consciente et sensée ou des espoirs des citoyens, ont fait l’objet de longues discussions pour élaborer la loi EGAlim qui a été votée le 2 octobre dernier.

De nombreux lobbys, associatifs et donc d’intérêt général pour certains, privés et donc souvent critiquables pour d’autres, ont ainsi rencontré tout au long du processus les parlementaires pour leur soumettre des propositions d’amendements afin de moduler le texte final.

J’ai fait partie de ces ‘lobbyistes’ et ai échangé avec plusieurs dizaines de députés pour leur suggérer nos propositions accessibles à ce lien ]. Seule la Proposition 1 faisait consensus, les autres relevant plus du projet de loi de finance, de la loi PACTE ou d’un véhicule législatif dédié au foncier. Autrement dit, ces 10 autres propositions sont toujours sous notre coude et attendent le bon moment du calendrier pour être défendues.

« Demander la remise d’un rapport gouvernemental sur les modalités d’évaluation des services écosystémiques rendus par les agriculteurs et les modèles de rémunération qui pourraient y être adossés. »
Voilà donc la proposition, premier jalon à poser pour envisager, à terme, de payer le vrai travail des agriculteurs qui produisent une alimentation saine et préservent les écosystèmes.

« Certains dispositifs existent déjà en ce sens », nous dit-on d’abord.
– Oui, mais ils ne concernent que le carbone, pas la biodiversité, la santé, l’emploi, la qualité de l’eau…
– Ah, c’est vrai, l’agriculteur a en effet des impacts sur ces sujets-là…cela ne paraît pas idiot de réintégrer ces externalités dans le giron agricole.
– Merci Madame la, ou Monsieur le, Parlementaire. Du reste, les mesures existantes (MAEC) ne permettent qu’une relation bilatérale entre l’agriculteur et l’Etat, or nous pensons que bien d’autres acteurs s’intéressent à ces sujets et seraient susceptibles de contribuer à cette dynamique : des citoyens prêts à payer le juste prix pour des produits vertueux, des entreprises comprenant l’intérêt de préserver la biodiversité, des collectivités locales soucieuses d’offrir du bio et local dans leurs cantines…
Ce que nous proposons permettrait cela, de définir leur rôle, mais il faut, pour ce faire, constituer un groupe de travail, et rédiger un rapport gouvernemental sur la question.
– C’est une bonne idée, merci et bravo à vous. C’est entendu, je soutiendrai votre amendement.
Plusieurs députés et sénateurs tiennent parole.
Victoire.

Après une suppression de l’amendement par les députés sur demande du Gouvernement, puis sa réintroduction en séance publique, nous ne lâchons rien, argumentons et obtenons finalement gain de cause. La proposition figure dans le texte de loi !
Merci aux Parlementaires, à Helene Le Teno, à toutes les personnes qui nous ont guidés dans ces méandres..
Belle réussite collective de bon sens.
Eh bah non.

Notre démocratie a le bon goût de séparer les pouvoirs : le Gouvernement propose des lois, les Parlementaires amendent, débattent et votent, l’Exécutif se charge ensuite de faire respecter.

C’est sans compter sur cet OVNI de nos institutions de la V° République : le Conseil Constitutionnel.
Lorsque les lois sont entérinées à l’Assemblée, reste une petite formalité, à la discrétion de certaines personnalités et de députés ou sénateurs mécontents : le tampon du Conseil Constitutionnel.

Cette instance composée de 9 membres éminents, anciens Présidents de la République ou personnalités nommées par le Président, en gros, a en effet la possibilité de retoquer ce qu’elle souhaite parmi les lois votées démocratiquement par les parlementaires.

Sur ce projet de loi, en tout bout de course, donc, ces 9 personnes ont pioché dans le texte ce qui les intéressait, ou non.
Par une décision du 25 octobre 2018, le Conseil constitutionnel a donc validé les quelques articles critiqués par les sénateurs auteurs de la saisine, mais, de son propre chef, a censuré 23 articles de la loi EGAlim, soit un quart du texte, pour « des raisons de procédure ». Ces articles seraient donc « anticonstitutionnels ».

Parmi les dispositions éjectées, plusieurs concernent l’environnement :

  • Article 12 relatif à un rapport du gouvernement sur les paiements pour services environnementaux (la nôtre),
  • Article 32 sur l’affichage environnemental portant sur les huîtres,
  • Article 33 relatif à un rapport du gouvernement sur la durée de vie des produits alimentaires,
  • Article 37 sur la promotion des produits n’ayant pas contribué à la déforestation importée,
  • Article 43 sur l’étiquetage des miels composés de mélanges,
  • Article 49 relatif à un rapport du gouvernement sur la définition de la déforestation importée et les pistes pour la réduire,
  • Article 56 sur la représentation des associations de protection de l’environnement dans les comités nationaux de l’Institut national de l’origine et de la qualité,
  • Article 78 relatif à la cession à titre onéreux de variétés de semences relevant du domaine public,
  • Article 86 sur l’intégration de la biodiversité et de la préservation des sols à l’enseignement agricole.
Les « sages » ont considéré, sans justification ni motivation, ces dispositions comme des cavaliers législatifs, c’est-à-dire « ne présentant pas de lien, même indirect, avec le projet de loi initial ».
Des dispositions très similaires, portant sur des sujets connexes et ne présentant manifestement pas plus de lien avec le projet de loi initial, ont été maintenues dans le texte, sans plus de justification ni motivation. Consternant.
Scandale.

La seule prérogative concrète des députés et sénateurs, qui représentent ensemble le pouvoir législatif, est celle d’amender des projets de loi. C’est ce pour quoi nous les élisons, c’est ce qui justifie leur mandat et qui confère à nos institutions l’appellation de « Démocratie ».

Le Conseil Constitutionnel, nommé sans notre accord, a donc le pouvoir de réduire à néant, de saper tout le travail et donc la légitimité, l’utilité, des parlementaires élus au suffrage universel.

Il est totalement fou dans un pays comme la France de laisser 9 personnes, interpréter à leur guise et raboter un texte sans justification, car elles ne nous en fournissent pas.

L’explication fournie (cavalier législatif : « ne présentant pas de lien, même indirect, avec le projet de loi ») est fumeuse et fallacieuse.

Fumeuse car les articles censurés ont bien un lien avec le projet de loi initial, pas plus ou moins que d’autres articles non censurés (les pailles plastiques ou les abattoirs mobiles).

Fallacieuse car dès 2008, ce pouvoir démesuré du Conseil Constitutionnel avait été limité, en permettant aux parlementaires de proposer des amendements n’ayant qu’un lien « indirect » avec le projet de loi.

C’est donc bien le Conseil constitutionnel qui censure sans aucun lien, même indirect, avec la Constitution.
Bref.

Le Conseil Constitutionnel ne respecte pas lui-même la Constitution.
Anticonstitutionnel toi-même : ça doit changer.
Indignation, résistance.

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