Partager la publication "Scandale des méga-bassines : ces retenues d’eau géantes qui assèchent les nappes phréatiques"
Le mois de janvier 2022 a enregistré une pluviométrie 41 % sous la normale. Celui de février de 38 % et mars s’annonce dans la lignée. Le bilan de l’hiver 2021-2022 en France est sans appel. Dans la plupart des régions françaises, la saison de recharge – entre septembre et mars – est déficitaire. Elle n’a pas permis aux nappes phréatiques de se remplir via l’infiltration des pluies de l’automne et de l’hiver. On s’oriente donc vers une période de sécheresse importante dans les mois à venir. Avec toutes les conséquences que cela peut avoir : impact sur les exploitations agricoles, incendies, coupures d’eau, faune et flore en souffrance, etc.
Pour bénéficier d’eau l’été, même en cas de sécheresse, des coopératives agricoles créent depuis quelques années des « méga-bassines ». Concrètement, cela se présente sous la forme de bassins de rétention d’eau géants. Le fond de ces étangs artificiels est recouvert d’une bâche en plastique noir pour empêcher l’eau de se disséminer.
Méga-bassines : des rétention d’eau XXL
Certaines de ces méga-bassines peuvent accueillir 240.000 m3 d’eau et plus. Et elles s’étendent sur une surface de sept à dix terrains de football pour une profondeur allant jusqu’à 15 mètres. « Il s’agit d’immenses bassins privés creusés dans la terre et alimentés par des pompages dans les nappes phréatiques et les cours d’eau alentour, résume pour WE DEMAIN le journaliste Gilles Luneau, spécialiste du monde agricole.
En outre, il précise que « cela n’a rien à voir avec les retenues d’eau ‘collinaires’ qui récupèrent l’eau de pluie, comme on a pu en faire dans le passé. Ici, l’eau est pompée en profondeur. C’est donc une atteinte grave à la ressource en eau car on altère la recharge hivernale des nappes et des zones humides. »
Une pétition est organisée en ligne pour dénoncer cet « accaparement de l’eau par le lobby agro-industriel« . A l’initiative de l’association « Agir pour l’Environnement », elle a déjà réuni près de 30 000 signataires :
Stop aux méga-bassines ! Non à l’accaparement de l’eau par le lobby agro-industriel ! Jamais les mesures compensatoires ne restaureront un milieu naturel fonctionnel. On veut protéger les paysans et la biodiversité, oui ou non ? https://t.co/jJqvcSLnPs
— Ghislaine Senée (@GhislaineSenee) March 28, 2022
Le Marais Poitevin particulièrement ciblé par les méga-bassines
Dans les Deux-Sèvres, 17 projets de méga-bassines sont en cours, dont une vient d’entrer en activité. A terme, le but est de fournir en eau 220 exploitations du département. Même chose dans la Vienne où on dénombre « plus de quarante bassines pour plus de 11 millions de m3 d’eau », affirme Gilles Luneau. Si la région Poitou-Charentes est particulièrement concernée, près de 1 000 projets de méga-bassines se déploient sur le territoire français. Et la grogne monte du côté des défenseurs de l’environnement.
Ce week-end, samedi 26 mars, 5 à 7 000 manifestants anti-bassines se sont réunis à La Rochénard, dans les Deux-Sèvres. Ils dénoncent la « privatisation de l’eau par l’agro-industrie ». En novembre dernier, à Cram-Chaban (Charente-Maritime), des militants écologistes s’étaient introduits sur un terrain pour y vandaliser une méga-bassine. Ils ont provoqué de gros dégâts sur cet ouvrage d’une valeur de 400 000 euros environ, rapporte France Bleu La Rochelle.
La pompe qui puise l’eau dans la nappe phréatique a été déconnectée et les bâches retirées. La bassine se vide. pic.twitter.com/LP08Ifg0nB
— France Bleu Poitou (@Bleu_Poitou) November 6, 2021
Des recours en cours au niveau de la Commission européenne
Les agriculteurs qui s’unissent pour créer ces méga-bassines bénéficient d’aides de l’Etat. Un soutien financier qui peut aller jusqu’à 70 %, à condition de réduire l’usage des produits phytosanitaires et de replanter des haies. Toutefois, dans les faits, nombre de ces exploitants agricoles pratiquent une agriculture intensive. Une situation dénoncée par plusieurs associations et personnalités politiques : Yannick Jadot (EELV), Jean-Luc Mélenchon (LFI) ou encore Cécile Duflot (EELV).
Surtout, la Commission européenne vient de dénoncer à son tour ces projets pharaoniques de séquestration de l’eau en Poitou-Charentes. Mardi 23 mars dernier, l’ensemble des requêtes déposées par le collectif « Bassines non merci » a été validée par la commission des pétitions du Parlement Européen. Le collectif affirme que ces projets de retenues d’eau enfreignent pas moins de neuf directives européennes. « On est plein d’espoir. Ça va être l’occasion d’une mobilisation très très large. C’est un combat emblématique, on ne se bat pas que pour notre rivière ou nos bassins« , a expliqué à France 3 Julien Le Guet, porte-parole de « Bassines non merci ».
« Un accaparement de la ressource en eau »
Benoît Biteau, député écologiste au parlement européen, se réjouit de ce soutien et rappelle les dangers de tels projets. « Avec des projets comme ceux-là, quelques agriculteurs mobilisent plus de deux fois le volume d’eau consommé par l’ensemble de la population. C’est de la mainmise, de l’expropriation de bien commun. C’est insupportable. »
Outre le collectif « Méga-bassines non merci », le syndicat agricole de la Confédération paysanne, la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO), Attac, Europe Ecologie Les Verts ou encore La France Insoumise s »‘opposent également à ce genre de projets. « Ce type d’irrigation pérennise l’agriculture intensive et l’usage de fertilisants et de produits phytosanitaires qui dégradent la qualité de l’eau et la santé des écosystèmes, expliquent la LPO dans un communiqué. Par ailleurs, de telles pratiques encouragent la monoculture, le remembrement, et l’arasement des haies. Cela affecte la biodiversité dans nos campagnes, où un tiers des oiseaux a disparu en moins de 15 ans ». Et d’ajouter : « Ces méga-bassines posent aussi la question de l’accaparement de la ressource en eau par quelques uns. Au détriment d’une majorité d’agriculteurs responsables et soucieux de préserver la nature.«
Désormais, l’Etat français et la région Nouvelle-Aquitaine disposent de 90 jours pour présenter à la Commission européenne les clarifications demandées.
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