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Noël Mamère : « Les écologistes ont une responsabilité historique »

L’écologiste Noël Mamère publie une bande dessinée, « Les terrestres », co-signée avec l’illustratrice Raphaëlle Macaron. Un tour de France de 5 initiatives qui inventent le monde de demain. Interview.

Le 22/10/2020 par Sofia Colla

Dans leur bande dessinée Les terrestres, parue en septembre aux éditions du Faubourg, l’écologiste Noël Mamère et l’illustratrice Raphaëlle Macaron partent à travers la France explorer cinq lieux qui inventent le monde de demain. Des plus connus, comme Notre-Dame-des-Landes, le projet La Bascule à Pontivy, le village de Langouët et son maire antipesticide, aux plus confidentiels, comme cette famille qui a autoconstruit une maison autonome en énergie, ou cette communauté qui a retapé une ferme dans le Béarn pour vivre du maraîchage…

Au fil de leurs rencontres, les auteurs se questionnent sur notre modèle de société et ses possibles évolutions. L’ancien élu et journaliste Noël Mamère partage avec nous ses réflexions et revient sur cette aventure dessinée.

  • We Demain : Lorsque vous discutez d’effondrement avec Raphaëlle Macaraon dans la BD, vous précisez qu’il ne s’agit pas de la fin du monde mais de la fin d’un monde. Quelle différence faites-vous ?

Noël Mamère : Raphaëlle Macaron n’est pas une militante écolo, donc il ne s’agissait pas de faire un livre didactique, mais de croiser deux regards, les regards de deux générations. Celui d’une jeune femme, qui découvre l’urgence écologique et qui est assez ébranlée. Tellement ébranlée qu’elle y voit la fin du monde. Et le mien, qui lui explique que « la fin du monde » c’est une forme d’illuminisme et de conception apocalyptique de la société, ce qui n’est pas du tout le cas de la théorie dite de l’effondrement.

Nous vivons bien des effondrements : celui de la biodiversité, nous en sommes pratiquement à la sixième extinction de masse, celui de la ressource en eau, de l’arrière-pays niçois avec le réchauffement climatique, celui causé par une pandémie mondiale qui révèle la fragilité de notre société et notre interdépendance… Il y a des sommes de petits effondrements qui peuvent mener à un effondrement plus important. Mais des solutions existent.

  • Pour vous, il est donc possible de changer de modèle de société dans les années à venir ?     

Comme l’explique très bien Pablo Servigne, que nous interviewons à la fin de la bande dessinée, parler d’effondrement c’est accepter de faire le deuil du système actuel, mais aussi mettre en place les jalons d’un monde qui permette de trouver une issue de secours.

Donc oui, c’est possible. Par exemple, le moratoire à propos de la 5G demandé par la Convention citoyenne pour le climat, et réclamé aussi par des maires et des écologistes, a suscité un débat très intéressant sur la question du progrès, et sur le sens que nous devons lui donner.

  • Les initiatives locales, comme celles que vous présentez dans la BD, sont-elles la solution ? 

Ce sont des pistes. Elles expérimentent des formes de liberté, de vie en commun, d’échange de savoir. L’histoire montre que les sociétés ne bougent que par le bas. C’est la somme des luttes qui permettra de faire quelque chose. En revanche je ne sais pas si la somme de ces projets, qui se multiplient partout dans le monde, suffira à faire société.

  • La « vague verte » lors des dernières municipales marque-t-elle un début de changement ? 

Elle est un signe oui. Le signe qu’aujourd’hui, la transformation de nos sociétés se fera autour des questions que posent les écologistes. L’écologie n’est plus condamnée à être en bas de la liste. Elle fait partie, avec la santé et l’emploi, des trois premières priorités des Français.

Ce qui ne veut pas dire que les écologistes doivent être les seuls à apporter des réponses : je considère qu’ils ont une responsabilité historique, celle d’être les moteurs d’un rassemblement de tous ceux qui souhaitent une transition juste à la fois écologiquement et socialement.

  • Selon vous, la crise sanitaire a-t-elle permis de remettre l’urgence climatique au cœur du débat ou, au contraire, l’a-t-elle éclipsée

La crise est un accélérateur, dans les deux sens. En négatif, comme le montre les enquêtes qui disent que la pandémie a des effets dévastateurs sur les couches les plus modestes de la société. Il y a aussi la question de la restriction de nos libertés due à l’état d’urgence sanitaire. Sans doute est-elle nécessaire, mais il y a déjà eu un état d’exception après le terrorisme, dont certaines dispositions sont aujourd’hui rentrées dans le droit commun…

Et d’un autre côté, la pandémie nous a permis de prendre conscience de notre fragilité, de notre interdépendance. Elle devrait nous servir de leçon. Il faut espérer qu’à partir de ce constat, nous arriverons à mettre en œuvre des modes de gouvernance différents.

Mais on voit bien que les humains ont beaucoup de difficultés à tirer les leçons de ce genre d’évènements tragiques. Tchernobyl ou Fukushima n’empêchent pas la France de continuer tête baissée dans le nucléaire. Nous vivons dans des sociétés amnésiques.

  • De manière générale, vous restez toutefois plutôt optimiste. Contrairement à beaucoup d’écolos, vous affirmez même dans la BD qu’il faut continuer à faire des enfants…

J’avais justement fait un débat avec Laure Nouhalat pour We Demain sur la question de la surpopulation. Beaucoup de gens croient que nous sommes trop nombreux sur la planète. Non, nous ne sommes pas trop nombreux.

La surpopulation est un écran de fumée des conservateurs pour éviter de se poser les vraies questions sur notre modèle de société. Par exemple, nous consommons beaucoup trop de viande. Il faut donc réduire la part de notre consommation de protéines animales et développer d’autres modes d’agriculture pour nourrir la planète.

La situation est peut être difficile mais elle n’est pas désespérée. L’éco-anxiété existe. Cela ne doit pas produire de la résignation, mais plutôt être un moteur pour l’action. Nous devons nous mobiliser.

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