Partager la publication "Pierre Larrouturou : « Sans un changement radical, nous allons vers le chaos »"
Des milliards d’euros débloqués pour les banques, des plans de relance pour éviter une nouvelle crise financière… Les questions européennes, notamment celles liées au budget et à la fiscalité, restent bien souvent floues dans l’esprit du commun des mortels. Or, si l’Union Européenne peut parfois sembler être une entité lointaine, elle a un impact direct sur notre quotidien… et notre avenir.
Pour rendre tout cela intelligible, l’économiste Pierre Larrouturou publie un nouvel ouvrage Aujourd’hui, l’esprit se révolte – Crise sociale, crise climatique : 7 solutions pour éviter l’effondrement. Rencontre avec le fondateur du parti Nouvelle Donne, à l’origine du Pacte Finance-Climat, aujourd’hui député européen et rapporteur général du budget de l’UE.
- WE DEMAIN : Les budgets de l’Union Européenne sont en train d’être décidés. Vous écrivez dans votre livre que « pour l’Europe, c’est l’heure du tournant, […] l’heure du changement, […] l’heure de vérité ». En quoi ce moment est-il si important ?
Pierre Larrouturou : Nous nous trouvons à un moment crucial pour l’avenir de l’humanité. Allons-nous lentement, mais sûrement, vers le suicide de l’humanité ? Ou sommes-nous capable d’un sursaut, d’un changement dans nos modes de vie personnels et collectifs ?
Il est possible de changer les règles du jeu européen une fois tous les sept ans. Cela veut dire que si nous poussons très fort, nous pouvons décider de mettre plus d’argent pour le climat, l’emploi, la santé, l’agriculture, l’accueil des réfugiés… Tout cela se joue maintenant. J’ai écrit ce livre pour expliquer la gravité de la crise et surtout rappeler que, malgré la crise économique, la crise écologique n’est pas en train de ralentir.
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- Vous proposez « sept solutions pour éviter l’effondrement ». Celle dont on entend le plus parler aujourd’hui est la mise en place d’une taxe sur la transaction financière (TTF). De quoi s’agit-il concrètement ?
Nous payons tous des impôts : des impôts locaux, des impôts nationaux… Même les plus pauvres s’acquittent des 5,5 % de TVA. Comment expliquer que les marchés financiers soient, eux, taxés à 0 % ?
Nous avons réussi à la mi-septembre à obtenir un consensus au sein du Parlement européen pour exiger des chefs d’État la mise en place d’une taxe sur la transaction financière. Nous travaillons main dans la main avec les ONG climat et les syndicats. Nous avons une fenêtre de six semaines devant nous pour gagner cette bataille.
Évidemment ce n’est pas la seule solution, mais cette taxe représenterait tout de même 50 milliards d’euros par an. Ce serait un beau symbole pour montrer que l’on peut changer le système.
C’est pourquoi j’ai réaffirmé au Parlement qu’en tant que rapporteur général du budget, et en conscience, je ne pourrai pas voter le prochain budget si nous n’obtenons pas ces 50 milliards annuels supplémentaires pour le climat et pour l’emploi. Si nous voulons que le Parlement tienne bon, qu’Emmanuel Macron, Angela Merkel et les autres bougent, il faut que les citoyens s’engagent massivement.
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- À quoi serviraient ces 50 milliards ?
Le Parlement aimerait utiliser davantage de ressources propres, c’est-à-dire qui ne proviennent pas de la poche des citoyens. C’est pour cela que l’on parle d’instaurer une taxe plastique, une taxe carbone aux frontières, une taxe sur les grandes entreprises du numérique, et surtout cette taxe sur la spéculation. Cela voudrait dire plus d’argent pour isoler les maisons, pour les transports en commun, pour l’agriculture… sans que vous n’ayez à débourser un centime.
Reste la question du plan de relance [suite à la crise du Covid-19 ndlr]. La France va « gagner » 40 milliards d’euros, c’est très bien, mais elle va devoir les rembourser, avec 27 milliards d’intérêts, à la BCE. Qui finance cette relance finalement ? Est-ce monsieur et madame tout le monde via leurs impôts ?
Ce que l’on propose, c’est que ces 67 milliards soient remboursés par la taxe sur les transactions financières. La France n’aurait alors plus rien à rembourser et pourraient allouer cette somme au financement de la santé et des retraites. Tout est fait pour que les citoyens ne comprennent rien, mais c’est très concret.
- Vous insistez sur l’importance d’une mobilisation citoyenne forte face aux enjeux européens. Mais comment peuvent-ils s’impliquer à leur échelle ? Les marches pour le climat, qui devraient reprendre ce vendredi 25 septembre, sont-elles un bon exemple ?
Nous avons lancé une initiative avec un très grand nombre d’ONG climat en France, de partis politiques, de l’ensemble des syndicats européens. Notre appel a déjà rassemblé plus d’un million de signataires. Celui-ci présente trois solutions pour financer le Pacte Climat-Emploi [stopper toutes les subventions et tous les investissements fossiles, créer une Banque européenne du Climat et de la Biodiversité et constituer un Budget européen pour le Climat et la Biodiversité, ndlr]. Nous allons relancer cet appel dans les prochaines semaines pour mettre la pression aux chefs d’États.
Quant aux marches pour le climat, c’est un autre excellent moyen. Un exemple : je me trouvais l’autre jour à un événement avec Nicolas Hulot, le co-président du parti politique écologiste belge Jean-Marc Nollet, et le ministre des Finances de la Belgique Jean-Luc Crucke. Ce dernier a expliqué qu’il avait lu mon précédent ouvrage Finance, Climat, Réveillez-vous !, co-écrit avec Jean Jouzel et Anne Hessel, justement « parce qu’il y avait les manifestations des jeunes tous les vendredis ». Nous appartenons à deux familles politiques différentes, et pourtant nous sommes devenus des alliés.
Cet exemple montre à quel point expliquer, partager est important. Des solutions sont possibles. Je pense qu’on peut s’en sortir, que le chaos est évitable. Mais s’il n’y a pas un changement radical, nous allons en plein dedans.