Partager la publication "Portrait-robot des climatosceptiques sur Twitter"
Ce lundi 13 février 2023, une étude couvrant deux années de publications sur Twitter et portant sur « Les nouveaux fronts du dénialisme et du climato-scepticisme » a été publiée par l’ISCPIF (l’Institut des systèmes complexes, une unité d’appui et de recherche du CNRS). Ses conclusions permettent de constater une forte remise en question des thématiques autour du changement climatique. Les climatosceptiques sont sur-représentés sur Twitter.
« Le débat mondial sur le changement climatique sur Twitter est fortement bipolarisé avec environ 30 % de climato-dénialistes parmi les comptes Twitter qui abordent les questions climatiques », constatent les auteurs de l’étude. Réfutation de la cause humaine pour expliquer la hausse des températures, discrédit porté sur les conclusions des scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec)… les occasions sont nombreuses pour instiller le doute. Mais à quoi ressemblent ces climatosceptiques ?
Antivax, militants pro-Kremlin et climatosceptiques vont de pair
Dans ce portrait-robot de celles et ceux qui nient les conclusions issues des sciences du climat, l’étude souligne que l’on retrouve bien souvent la même mouvance que ceux opposés aux vaccins depuis la pandémie de Covid-19 et ceux qui défendent la ligne russe dans le conflit en Ukraine. « Le principal influenceur de la communauté dénialiste française est nouvellement acquis à cette cause après avoir été antivax. La transition s’est faite au moment de l’invasion de l’Ukraine et il a un temps relayé la propagande pro-Poutine. »
Les conclusions de l’ISCPIF soulignent aussi que, d’un côté, les personnes qui évoquent le plus souvent les sujets de l’environnement ont un certain profil d’expertise (ils s’expriment principalement sur ce sujet et pas sur d’autres). De l’autre, la communauté « dénialiste » présente des formes « inauthentique d’expertise ». En effet, elle a tendance à s’exprimer sur une large variété de thématiques.
L’étude souligne que « les experts du GIEC et des communautés pro-climat concentrent leurs prises de parole sur leurs domaines d’expertise. Alors que la communauté dénialiste présente des formes inauthentiques d’expertise« . On a souvent affaire à « un noyau dur de comptes qui s’expriment sur une multitude de sujets, concentrent une présumée expertise et fabriquent la majorité des narratifs en circulation. Certains sujets de prédilection des dénialistes révèlent une planification de mise à l’agenda public décorrélée de l’actualité. »
Émergence depuis 2019, forte accélération à l’été 2022
Dans cette étude, les chercheurs ont également constaté que les comptes dénialistes aux comportements inauthentiques a fortement augmenté depuis 2019. Et évoque de « possibles opérations d’astroturfing », appelé aussi « similitantisme ». Ce sont des faux mouvements créés pour donner l’impression qu’une opinion publique s’est naturellement formée autour d’un sujet. En réalité, ce mouvement est le fait d’un petit nombre qui utilise des méthodes critiquables pour amplifier leur discours. Tels que retweet en masse, création de faux comptes, etc. L’étude estime que pas moins de 6 % des comptes dénialistes sont « probablement bot », de simples robots.
Mais c’est véritablement depuis l’été 2022 que le mouvement a pris de l’ampleur en France. « Une importante communauté dénialiste française s’est structurée », notent les chercheurs. Cette communauté est nombreuse. La proportion de comptes inauthentiques des dénialistes français est 2,8 fois supérieure à celle de la communauté française du GIEC. Elle est aussi très active puisqu’elle publie ou relaie 3,5 fois plus de messages toxiques que la communauté GIEC. Enfin, elle est aussi davantage dans les extrêmes. L’étude souligne qu’il y a dix fois plus de comptes comptes suspendus par Twitter parmi cette communauté dénialiste.
Pourquoi un bond à l’été 2022 spécifiquement ? « Il y a eu un été exceptionnellement chaud avec beaucoup de catastrophes naturelles dans tous les coins du globe. Et donc, assez mécaniquement à chaque fois qu’on reparle du climat dans l’actualité, les dénialistes s’activent pour essayer de contrer les discours pro-climat », explique à Ouest-France David Chavalarias, directeur de recherche CNRS et co-auteur de l’étude. Si on ajoute à cela la COP27 qui s’est tenue début novembre 2022 et le lobbying permanent des industries fossiles, on obtient un terreau parfait pour expliquer cette suractivité des climatosceptiques depuis la mi-2022.
Des éléments langages venus des États-Unis, traduits et relayés en France
Comme le souligne la scientifique paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte dans un thread Twitter sur le sujet, « L’analyse des comptes les plus actifs de cette ‘nouvelle communauté' »‘ (pas si spontanée) montre qu’ils servent de passerelle pour propager la désinformation déjà relayée aux USA, traduire et adaptée en français. »
N’appartenant à une mouvance politique en particulier (même si on note une légère surreprésentation de Reconquête), ces personnes qui relaient ces informations erronées sont majoritairement des « comptes ayant participé à de nombreuses campagnes de contestation antisystème/antivax pendant la pandémie. De plus, sur 10 000 comptes, près de 6 000 ont relayé la propagande du Kremlin sur la guerre en Ukraine. », indique l’étude.
Beaucoup de « bruit » qui gêne la dissémination des connaissances scientifiques
Le problème est que tout ce « bruit » et ces informations inauthentiques propagées sur Twitter « freinent probablement la dissémination des connaissances scientifiques et des conclusions du GIEC en agissant de manière négative sur l’activité en ligne des scientifiques des sciences du climat et du changement climatique », conclut l’étude.
La solution pourrait venir de Twitter. À condition que le réseau social modifie son algorithme de recommandation. Mais il est peu probable qu’Elon Musk, qui flirte avec les communautés inauthentiques en tout genre, opte pour cette solution. D’autant plus que le nouveau patron de Twitter a dissous plusieurs équipes de modération ces dernières semaines. La solution pourrait venir de Horus, une extension de navigateur développée par les auteurs de cette étude. Celle-ci vise à sensibiliser les internautes aux distorsions et biais induits par Twitter (ou tout autre réseau social). Comment ? En permettant de comparer les contenus mis en avant par la plateforme avec ceux des comptes auxquels ils se sont activement abonnés.
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