Déchiffrer  > Ultra fast fashion et e-commerce low-cost : Temu, encore pire que Shein ?

Written by 18 h 34 min Déchiffrer, Societe-Economie • 2 Comments

Ultra fast fashion et e-commerce low-cost : Temu, encore pire que Shein ?

Marque chinoise comme Shein, Temu joue la même partition : des vêtements en pagaille, à prix très bas et de mauvaise qualité. Mais l’application pousse le curseur encore un peu plus loin.

Le 29/10/2023 par Florence Santrot
Temu
En quelques mois, à coup de matraquage publicitaire, l'application Temiu est devenue N°1 des téléchargements dans les stores des smartphones. Crédit : WD/Canva.
En quelques mois, à coup de matraquage publicitaire, l'application Temiu est devenue N°1 des téléchargements dans les stores des smartphones. Crédit : WD/Canva.

Depuis quelques mois, vous avez certainement dû voir passer des publicités pour une nouvelle application nommée Temu (prononcez « ti mou »). Elle tire son nom de l’expression « Team Up, Price Down » (Faites équipes, baissez les prix). D’origine chinoise, cette enseigne – créée en 2022 et lancée en France depuis avril 2023 – propose un très large catalogue de produits. Mode, tech, bricolage, instruments de musique… tout est vendu à des prix incroyablement bas. C’est là son principal avantage : proposer un T-shirt à 89 centimes, un sac en similicuir à 6 euros, un appareil photo vendu à peine plus de 10 euros ou encore une montre connectée à moins de 15 euros.

Derrière ce détaillant chinois, on retrouve la même holding, PDD, que la plateforme Pinduoduo. Cette dernière est aussi spécialisée dans le e-commerce aux étiquettes défiant toute concurrence. La différence ? Quand Pinduoduo s’adresse au marché chinois, Temu est davantage ouvert à l’international. Mais comment vendre à si bas prix ? Son argument est de « supprimer les intermédiaires ». Grâce à eux, les vendeurs chinois peuvent donc commercer directement avec des clients français, allemands ou américains. Et ce, sans devoir passer par un revendeur et un entrepôt basé en Europe ou aux États-Unis.

Ventes flash, jeux crétins et parrainage envahissant

N°1 des téléchargements sur l’AppStore français pour les applications gratuites en octobre, Temu compterait 9,5 millions d’utilisateurs dans l’Hexagone. Elle vous promet de « shop like a billionaire » (« achetez comme un milliardaire »). À vous les dépenses sans compter, tant les tarifs sont bas. Une promesse particulièrement séduisante en période inflationniste. Qui plus est, le succès de l’appli est basé sur la peur de passer à côté de la bonne affaire. Un peu les mêmes principes, mais en encore plus agressifs, que le géant de la mode à petit prix Shein. Selon un rapport des Républicains du Congrès cité par le Guardian, quelque 30 % des petits colis entrant sur le sol américain seraient expédiés par Shein et Temu. Mais Temu génèrerait déjà deux fois plus de vente que son concurrent.

Pas un jour sans des ventes flash avec des remises parfois affichées à 80 % ou plus, des promos temporaires et des promesses de gains dans le cadre de petits jeux crétins où on accumule les points pour récupérer des récompenses… Les récompenses ? Des réductions sur Temu pour consommer à des prix encore plus bas que bas. Enfin, un système de parrainage ultra rodé – et insistant – encourage à solliciter ses proches jusqu’à ce qu’ils finissent par craquer et télécharger l’appli Temu.

Des pertes abyssales pour faire connaître Temu

Derrière « le boucher des prix », comme on le surnomme, une réalité bien différente. Selon le site américain Wired, Temu perdrait 30 dollars par commande (28,5 euros environ). Sans parler des dépenses marketing monstres. Lors du dernier Super Bowl aux États-Unis, Temu a investi 7 millions de dollars pour une campagne publicitaire de 30 secondes. Pour sa part, China Merchants Securities estime les pertes annuelles de la plateforme chinoise comprises entre 540 et 880 millions d’euros. Chaque trimestre, Temu investirait près de 500 millions d’euros pour sa publicité.

À ce rythme, même pour faire son trou en Europe et aux États-Unis, Temu ne pourra pas continuer longtemps. D’ailleurs, il a déjà commencé à se retourner vers ses partenaires marchands. Et revient sur ses contrats : finie la prise en charge à 100 % des frais de transport et terminé le stockage gratuit dans ses entrepôts. Oubliées aussi les campagnes de publicité offertes pour promouvoir des produits de la plateforme. Et bonjour la pression pour des prix toujours plus bas… les vendeurs chinois commencent à grincer des dents. Certains ont même choisi de se retirer de Temu, ne pouvant plus réaliser le moindre bénéfice dans ces conditions… Les délais de paiements à rallonge de la plateforme ne jouent pas non plus en sa faveur.

Problèmes de qualité, service clients négligé…

Si l’offre de Temu est alléchante, bon nombre de clients déchantent. Sur le site Trustpilot, l’application obtient la note de 3,3 sur 5 sur près de 9 000 votes. Même chose aux USA, où la plateforme obtient des évaluations comprises en moyenne entre 2,5 et 3 sur 5. Commandes non livrées ou incomplètes, remboursement tardif ou partiel, produits de mauvaise qualité, annonces trompeuses… les critiques sont nombreuses et variées. Y compris des suspicions d’espionnage et de revente illégale des données des personnes qui ont installé l’application sur leur smartphone.

Forcément, pour obtenir de tels prix, les fournisseurs sont obligés de rogner sur tout, y compris les conditions de travail des employés. Ainsi, Temu est fortement soupçonné de profiter du travail forcé des Ouïghours. Officiellement, la plateforme a fait signer aux vendeurs une charte interdisant le recours au travail forcé mais, dans la réalité, aucune initiative n’est prise pour vérifier ces déclarations sur l’honneur.

Temu : une aberration écologique

Derrière la question des droits des travailleurs et la qualité des produits, se pose bien évidemment la question de l’écologie. En vendant des produits à si bas prix et en jouant sur la peur de passer à côté d’une offre alléchante, Temu incite à l’achat compulsif. On est ici à l’exact opposé de la sobriété nécessaire pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

Sans parler de la pollution engendrée par la fabrication des produits vendus sur la plateforme. Ils sont bien souvent en plastique et à base de dérivés du pétrole (nylon, polyester, etc.). Ces objets et vêtements sont aussi fabriqués dans des usines où les énergies renouvelables ne font pas ou peu partie de l’équation.

Une douteuse « compensation carbone » sans rien de concret

Sur son site, Temu prétend pourtant prendre la question de la durabilité en compte. Dans ses FAQ, on peut lire : « La responsabilité sociale est l’une des valeurs fondamentales de Temu. La durabilité environnementale est l’un des moyens par lesquels nous démontrons notre engagement. Par exemple, pour chaque livraison effectuée sur Temu, nous compensons les émissions de carbone afin de faire notre part pour protéger la planète. » Nous n’en saurons pas plus sur cette prétendue « compensation carbone ». Aucun porte-parole ne donne de détail sur cette question.

En raison de la piètre qualité des produits vendus, que ce soit en termes de mode, de gadgets tech ou d’objets pour la maison, il y a de fortes chances pour que leur durée de vie soit courte. Très courte. Derrière, ce sera bien souvent la déchetterie avec une proportion de pièces recyclées très faibles. Donc des déchets en pagaille avec tout ce que cela implique pour la planète. La meilleure chose à faire est donc assez claire : ne pas installer Temu sur son téléphone. Mieux vaut opter pour des solutions plus durables, comme l’allongement de vie des objets que l’on possède déjà. Ou encore la seconde main, mais toujours avec sobriété.

SOUTENEZ WE DEMAIN, SOUTENEZ UNE RÉDACTION INDÉPENDANTE
Inscrivez-vous à notre newsletter hebdomadaire
et abonnez-vous à notre magazine.

A lire aussi :