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Jungle : visite d’une ferme verticale à deux pas de Paris

L’entrepôt de 4 000 m2 est situé à Château-Thierry dans l’Aisne, juste à la sortie de l’autoroute A4. La ferme verticale de la start-up Jungle sous-loue une partie du plateau de logistique de la marque William Saurin. Le lieu a été choisi pour son emplacement stratégique. Situé à l’Est de Paris, il permet un accès rapide – en 1h30 seulement – au marché de Rungis et à toute l’île-de-France. Chaque année, cette ferme verticale produit 160 tonnes de plantes et a les capacités de doubler sa production.

Depuis 2019, la jeune société française y exploite une des seules fermes verticales de France. Elle emploie au total une quarantaine de personnes, dont une partie non négligeable est dédiée à la R&D. Jungle produit principalement des herbes aromatiques, vendues par des magasins Monoprix d’île-de-France. Elle cultive aussi des plantes qui entrent dans la fabrication de parfums et cosmétiques. Les fruits et légumes, eux, sont en cours de développement.

Jungle peut faire 14 récoltes de basilic par an quand, en pleine terre, le nombre est limité à 3-4. Crédit : Florence Santrot.

Hydroponie à tous les étages

On est ici bien loin de l’image d’Epinal de l’exploitation agricole et de ses terres alentour. Ici, justement, la production se fait en hydroponie. C’est-à-dire hors sol et principalement grâce à de l’eau enrichie en nutriments et un éclairage à LED pour un rendement millimétré. À l’origine de cette ferme verticale, on retrouve deux hommes.

« Avec Nicolas Seguy, nous avons créé Jungle en 2016, explique Gilles Dreyfus. Moi, à l’origine, j’étais dans la finance et lui était entrepreneur. Il a notamment cofondé la marque de baskets Feiyue. Nous aspirions tous les deux à créer quelque chose qui fasse sens et qui ait un impact. J’ai découvert le concept d’agriculture verticale et je me suis rendu à une conférence aux États-Unis pour en apprendre plus. À mon retour en France, j’ai tout plaqué pour lancer Jungle. »

Un jet d’eau enrichi en nutriments alimente régulièrement les pousses. Crédit : Florence Santrot.

Ferme verticale : tout est sous contrôle

Contrairement à une exploitation agricole classique qui est soumise à bon nombres d’aléas, notamment climatiques, la ferme agricole permet de garder tous les paramètres sous contrôle. « Nous maîtrisons la nutrition, l’irrigation, la luminosité, la qualité de l’air, la température, l’humidité et même le vent », détaille Gilles Dreyfus. En effet, lorsqu’on pénètre dans la ferme verticale sous environnement contrôlé, il faut enfiler blouse, protection pour les chaussures et charlotte sur les cheveux pour faire rentrer un minimum de germes et de saleté dans l’entrepôt.

La culture des plantes et légumes se fait sans aucun herbicide, pesticide ou fongicide. La culture hors-sol en hydroponie permet une irrigation très régulière enrichie en nutriments et un système d’éclairage à LED horticoles aux réglages précis pour optimiser la pousse. « Nous respectons la naturalisé et le cycle jour-nuit car c’est important pour que les plants s’expriment. De même que nous recréons une petite brise à l’aide de souffleries. Car c’est important pour renforcer les racines de nos herbes aromatiques. Tout est sous contrôle : le taux de CO2 dans l’air, l’intensité et le spectre de la lumière selon le niveau de pousse, l’humidité ambiante, etc. Résultat : notre productivité est généralement de 20 à 40 % supérieure à ce qui se fait de mieux dans la nature », assure Gilles Dreyfus.

À lire aussi : Cette ferme verticale va produire des légumes locaux pour 24 millions d’habitants

Une ferme verticale pilotée par ordinateur

À l’intérieur de l’entrepôt en environnement contrôlé, tout est calme et l’endroit relativement désert. Il faut dire que ce type d’agriculture ne nécessite que très peu d’intervention humaine au niveau de la production. Tout est géré par des ordinateurs, des algorithmes mis au point par des ingénieurs agronomes en amont. Nous faisons aussi appel à de l’intelligence artificielle. Dans des tours d’une hauteur de 14 mètres sous plafond, les plants poussent sur des plateaux. On en compte une dizaine par tour, installés les uns au-dessus des autres. Ils bénéficient tous d’un système d’arrosage et d’éclairage intégrés. 

Des semences de basilic germent quelques jours avant d’être installés dans une tour de la ferme verticale. Crédit : Florence Santrot.

Selon le niveau de maturité et les types de pousses, l’éclairage va varier en couleur et en intensité. Un robot va chercher les plateaux situés en hauteur pour les faire descendre. Là, un technicien, fermier d’un nouveau genre qui a suivi 3 mois de formation, vient récupérer les plants arrivés à maturité ou assurer le peu d’entretien manuel nécessaire. Des caméras permettent de surveiller chaque niveau en permanence pour limiter les manipulations. Dans une pièce à part et surchauffée, les semences – qui proviennent à 80 % de France – germent dans l’ombre pendant quelques jours avant d’être transférées dans la ferme verticale. In fine, les pertes sont minimes, bien moindre qu’en plein champ.

Une fois les plants à maturité, des personnes se chargent de l’emballage. Dans un souci d’empreinte carbone minimum, le packaging n’utilise pas de plastique ni de colle. Un peu de carton et un film transparent d’origine végétale suffisent. Tout est géré manuellement car la production est encore trop limitée pour que cela nécessite l’installation de machines automatisées.

De la coriandre prête à être vendue dans un Monoprix d’Île-de-France. Crédit : Florence Santrot.

Une agriculture complémentaire aux méthodes classiques

Plus efficace mais pas moins onéreuse et avec une empreinte carbone bien supérieure à l’agriculture classique, la ferme verticale n’a pas pour ambition de remplacer les méthodes traditionnelles mais d’être un complément et une alternative sous certaines conditions. « Nous avons l’avantage de pouvoir produire plantes et légumes toute l’année sans avoir à les faire venir de l’autre côté de la Terre ni avoir une empreinte carbone colossale comme les cultures sous serre qui nécessitent beaucoup d’énergie. Nous pouvons faire 14 récoltes par an de basilic vert contre 3-4 en terre en Italie, par exemple », souligne le cofondateur de Jungle. Une production locale mais aussi une sécurité alimentaire. Actuellement en France, 70 % des herbes aromatiques consommées sont de l’import…

Des plants de coriandre arrivent à maturité sous les lumières LED et embaument tout l’entrepôt. Crédit : Florence Santrot.

Insensible à la sécheresse, aux fortes variations de températures, aux catastrophes naturelles, une ferme verticale a aussi l’avantage de pouvoir garantir une production constante, été comme hiver. Mais cela a un coût. « Nous consommons très peu d’eau car nous récupérons l’eau sur le toit de l’entrepôt et nous la faisons recirculer en circuit fermé. À production égale, nous consommons en moyenne 1 % de l’eau nécessaire en agriculture classique. En revanche, nous sommes bien plus gourmands en électricité. Et, du fait de l’entrepôt loué, nous ne pouvons pas installer de panneaux photovoltaïques. Mais ce sera un prérequis non négociable pour toutes les prochaines fermes verticales que nous aiderons à créer dans le futur », affirme Gilles Dreyfus.

FAAS, Farm As A Service

Les ambitions de la start-up Jungle sont en effet de proposer leur savoir-faire à de grands exploitants et des coopératives agricoles pour qu’ils développent leurs propres infrastructures. « Nous vendons la ferme et le service pour opérer la ferme sur un contrat de long terme mais nous ne serons pas directement propriétaires ni opérateurs. Notre avenir se situe dans la R&D pour mettre au point les systèmes de production les plus efficaces et les moins énergivores tout en développant des semences prévues pour la culture indoor. »

Trois de ces fermes seront ainsi créées l’an prochain, dans le domaine des parfums et cosmétiques, très demandeurs de cette production sécurisée et garantie de plants de qualité aux caractéristiques sous contrôle.

Au centre, ce robot va chercher les plateaux de plants à plusieurs mètres de hauteur. Crédit : Florence Santrot

Un véritable atout pour les parfums et cosmétiques

L’industrie des cosmétiques et de la parfumerie peine de plus en plus à se fournir en plantes spécifiques en raison du réchauffement climatique. « Pour avoir suffisamment de roses pour produire certains parfums nécessite de faire venir des fleurs de l’Est de l’Europe et du Kenya pour compléter la production du Sud de la France. De plus, les roses sont différentes donc il faut un traitement chimique pour lisser le tout et obtenir à chaque fois le même parfum. Qui plus est, dans certains pays comme Madagascar par exemple, la sécheresse impose une gabegie de consommation d’eau et un épuisement des terres qui ont un réel impact sur la planète. La production indoor permet de s’affranchir de nombreux écueils. »

Jungle a ainsi produit du muguet en très grande quantité pour la création d’un parfum pour le compte d’une marque de luxe française qui prévoit son lancement en 2023. « Le muguet est très localisé, principalement en France, et fleurit sur une très courte période, un à deux mois. Jusqu’à présent, il n’était donc pas possible de créer des parfums à base d’essence de muguet naturel. Il fallait toujours le reproduire artificiellement. Le parfum à venir sera le tout premier avec des essences naturelles, créées à partir de plantes entièrement poussées indoor », s’enorgueillit Gilles Dreyfus.

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