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La Vallée de la Millière, laboratoire de biodiversité à ciel ouvert imaginé par Yann Arthus-Bertrand

Avec son fils Tom, Yann Arthus-Bertrand a investi depuis 2020 quelque 30 hectares dans la Vallée de la Millière pour en faire un lieu de réensauvagement – une réserve de protection de la biodiversité – et un laboratoire d’expérimentations des techniques agricoles. Né à Paris, le célèbre photographe – fondateur de GoodPlanet – avait l’habitude de se promener enfant dans ce coin des Yvelines, en bordure de la forêt de Rambouillet. Situé à 45 km à l’ouest de la capitale, il vit depuis plusieurs décennies dans le lieu-dit « La Millière », près du village des Mesnuls, d’où sa famille est originaire.

Le Covid sera le déclic. En se baladant sur la parcelle, où se mêlaient déjà forêts et prairies, il constate que la nature a profité des confinements pour reprendre ses droits. Yann Arthus-Bertrand acquiert alors le terrain pour 1,5 million d’euros. « L’idée est de rendre la liberté à la nature. Sans aucune intervention humaine, nous voulons étudier la manière dont la nature reprend ses droits, explique-t-il. C’est à la fois utopique et passionnant. »

Un havre de biodiversité où écologie rime avec pédagogie

Cette « zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique », appelée « Vallée de la Millière », est née ainsi, d’une volonté de « réensauvagement ». Yann Arthus-Bertrand fonde en 2021 une association éponyme, noue un partenariat avec l’Université de Paris-Saclay (laboratoire Ecologie Systématique Evolution), le parc naturel régional (PNR) de la Haute Vallée de Chevreuse mais aussi avec la maison Guerlain, qui devient mécène du lieu. Le lien avec le parfumeur est logique car ce sont d’anciennes terres qui ont appartenu à la famille Guerlain. À côté des 28 hectares rendus totalement à la nature, un jardin pédagogique de 1,4 hectare a vu le jour, piloté par Tom Arthus-Bertrand.

Jardinage sous paillage, en lasagnes, sur buttes… Tom Arthus-Bertrand testent différentes techniques agricoles afin de voir les bénéfices et inconvénients de chacune. Crédit : Florence Santrot.

« L’objectif de ce projet est de montrer aux particuliers qu’une autre agriculture est possible et qu’ils peuvent, eux aussi, s’en inspirer chez eux car nous mettons un point d’honneur à conserver un aspect esthétique à nos réalisations. C’est un jardin qui produit mais qui est aussi beau », explique le fils du photographe Cet espace est divisé en trois grandes zones : agroforesterie, maraîchage et forêt-jardin. Permaculture, maraîchage sur sols vivants, jardinage en lasagnes, sur buttes mais aussi test de bâches plastique pour protéger et conserver l’humidité des sols… ce Jardin des Partages est un véritable laboratoire à ciel ouvert, qui sera bientôt ouvert au grand public, gratuitement sur rendez-vous. Il sera possible de venir visiter le lieu et de découvrir les ruches. Car ce jardin, c’est aussi le paradis des abeilles.

L’abeille comme symbole de biodiversité

Le réensauvagement n’a commencé qu’il y a deux ans, mais les premiers effets se font déjà sentir sur la biodiversité. Environ 600 espèces végétales et animales ont été recensées en 2024 quand elles étaient 350 en 2020. « Rien que depuis 2021, nous avons identifié 43 nouvelles espèces animales et une vingtaine de plantes qui n’avaient pas été observées auparavant. Toutes ne sont peut-être pas nouvelles mais nous ne les avions pas vues auparavant », précise Tom Arthus-Bertrand. Après un état des lieux en 2021, une étude des sols est réalisée chaque année pour suivre, chiffres à l’appui, l’amélioration de la biodiversité au fil du temps.

L’apiculteur Romain, à gauche, explique le fonctionnement d’une ruche et le rôle des abeilles selon leur degré de maturité. Le projet de sensibilisation du public est réalisé avec l’aide du mécénat Guerlain. Crédit : Florence Santrot.

Le Jardin des Partages, né du mécénat de Guerlain et avec l’aide du Maître Parfumeur de la Maison, Thierry Wasser, a aussi été pensé pour les abeilles avec des plantations pensées pour attirer les pollinisateurs. Des ruches sont installées aux abords du Jardin des Partages. Elles n’ont pas pour vocation à produire du miel mais servent de sentinelles. « C’est fou tout ce que l’on peut savoir sur l’état de la biodiversité en analysant le comportement des abeilles et ce qu’elles produisent », explique Romain, apiculteur de la Vallée de la Millière. Il travaille pour cela avec la start-up belge Beeodiversity, capable, à l’aide de l’IA, de mesurer la qualité de la biodiversité environnante et le niveau de pollution.

Préserver les insectes pollinisateurs pour préserver notre nourriture

« Si on perd les insectes pollinisateurs, on perd 60 % de notre nourriture, y compris les fruits, le cacao, le café, certains légumes, des graines et semences et la quasi totalité des fleurs sauvages », met en garde Oriane Martin, apicultrice en Provence, qui a fait partie de la première promotion du programme « Women for Bees », initié par Guerlain et l’Unesco. Il vise à former chaque année, partout dans le monde, des femmes à l’apiculture durable afin de promouvoir non seulement la sauvegarde des abeilles mais aussi de soutenir l’entrepreneuriat au féminin.

Il existe quatre grands groupes d’insectes pollinisateurs. Outre les hyménoptères (guêpes, abeilles…), les coléoptères (coccinelles notamment), lépidoptères (papillons) et diptères (mouches) contribuent à collecter et transporter le nectar et le pollen des fleurs. « Ils font un travail vital, rappelle Oriane Martin. Il faut les préserver si on ne veut pas être obligés, comme dans certaines régions de Chine tel que le Sichuan, de faire appel à de la main-d’œuvre humaine pour polliniser des vergers tant l’utilisation des pesticides a décimé les pollinisateurs. »

Les abeilles sont essentielles pour la pollinisation de bon nombre de plantes. Crédit : Florence Santrot.

Un laboratoire des plantes à parfum

Le Jardin des Partages est aussi pour Guerlain un terrain de jeu pour tester différentes techniques pour cultiver les plantes à parfums (rose, pivoine, muguet, lila, iris…) et voir comment faire en sorte qu’elles s’adaptent au mieux au changement climatique. « Nous avons déjà pris en compte les mises en garde du GIEC en la matière pour les décennies à venir mais il faut maintenant affiner les projections pour estimer quelles plantes sont les plus en danger afin d’agir dès à présent. Le Jardin des Partages peut nous inspirer en cela », souligne Clément Renaudet, Responsable Climat et Biodiversité chez Guerlain.

Dans le Jardin des Partages, l’allée des senteurs sert aussi de laboratoire d’expérimentation pour Guerlain. Crédit : Florence Santrot.

La Maison s’est fixée en parallèle pour objectif une réduction de 57 % d’ici 2030 (vs 2019) sur le scope 3 des émissions indirectes (transports, emballages…) et de 47 % sur les scopes 1 et 2 (émissions directes et émissions indirectes liées à l’énergie). Les parfums contiennent d’ores et déjà entre 90 % et 95 % d’ingrédients d’origine naturelle. En outre, 50 % de l’alcool utilisé dans la fabrication des fragrances (de l’alcool de betterave) est issu de l’agriculture biologique et produit en France. « Ce sera 100 % d’ici 2025 », assure Clément Renaudet.

Le système des recharges – pour limiter les packaging dans un objectif de réduction d’impact et d’économie circulaire – va aussi être progressivement déployé sur toutes les gammes. « Nous avons déjà des retours intéressants, y compris dans des pays qui semblent peu sensibilisés aux questions environnementales, cela est très encourageant », conclut le responsable Climat et Biodiversité.

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